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13 avril 2015

« Peu de Palestine reste. Pas à pas, Israël l’efface de la carte »
Eduardo Galeano

par Eduardo Galeano *

 

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

Article publié dans Aporrea.org le 26 novembre 2012.
Et dans El Correo le 28 novembre 2012.
Eduardo Galeano

Pour se justifier, le terrorisme de l’État fabrique des terroristes : il sème de la haine et récolte des alibis. Tout indique que cette boucherie de Gaza, qui selon ses auteurs veut en finir avec les terroristes, réussira à les multiplier. Depuis 1948, les palestiniens vivent condamnés à l’humiliation perpétuelle. Ils ne peuvent même respirer sans permission. Ils ont perdu leur patrie, leurs terres, leur eau, leur liberté, leur tout. Ils n’ont même pas le droit de choisir leurs gouvernants. Quand ils votent pour celui pour lequel ils ne doivent pas voter, ils sont punis. Gaza est punie. C’est devenu une souricière sans sortie, depuis que le Hamas a proprement gagné les élections en 2006. Quelque chose de semblable était arrivée en 1932, quand le Parti Communiste a triomphé aux élections d’El Salvador.

Baignés dans le sang, les habitants du Salvador ont expié leur mauvaise conduite et depuis ce temps-là ont vécu soumis à des dictatures militaires. La démocratie est un luxe que tous ne méritent pas . Enfants de l’impuissance sont les roquettes « maison » que les militants du Hamas, parqués à Gaza, lancent maladroitement sur les terres qui avaient été palestiniennes et que l’occupation israélienne a usurpées. Et le désespoir, au bord de la folie suicidaire est la mère des bravades qui nient le droit à l’existence d’Israël, des cris sans aucune efficacité, tandis que la guerre très efficace d’extermination nie, depuis des années, le droit à l’existence de la Palestine. Peu reste de la Palestine. Pas à pas, Israël l’efface de la carte.

Les colons envahissent, et après eux les soldats corrigent la frontière. Les balles sacralisent la spoliation, en légitime défense. Il n’y a pas de guerre agressive qui ne dit pas être une guerre défensive. Hitler a envahi la Pologne pour éviter que la Pologne envahisse l’Allemagne. Bush a envahi l’Irak pour éviter que l’Irak envahisse le monde. Dans chacune de ses guerres défensives, Israël a avalé un autre morceau de la Palestine, et les déjeuners suivent. La dévoration se justifie par les titres de la propriété que la Bible a octroyée, par les deux mille ans de persécution dont le peuple juif a souffert, et par la panique que les palestiniens génèrent au guet. Israël est le pays qui ne tient jamais les recommandations ni les résolutions des Nations Unies, celui qui ne respecte jamais les sentences des tribunaux internationaux, celui qui se moque des lois internationales, et est aussi l’unique pays qui a légalisé la torture de prisonniers.

Qui lui a offert le droit de nier tous les droits ? D’où vient l’impunité avec laquelle Israël exécute le massacre de Gaza ? Le gouvernement espagnol n’aurait pas pu impunément bombarder le Pays Basque pour en finir avec l’ETA, ni le gouvernement britannique aurait pu raser l’Irlande pour liquider l’IRA. Est-ce que la tragédie de l’Holocauste implique une assurance d’impunité éternelle ? Ou ce feu vert provient-il de la puissance, le grand manitou qui a en Israël le plus inconditionnel de ses vassaux ? L’armée israélienne, la plus moderne et sophistiquée du monde, sait qui elle tue. Elle ne tue pas par erreur. Elle tue par horreur. Les victimes civiles s’appellent dommages collatéraux, selon le dictionnaire d’autres guerres impériales.

A Gaza, sur chaque dix dommages collatéraux, trois sont enfants. Et s’ajoutent par milliers, les mutilés, les victimes de la technologie de l’écartèlement humain que l’industrie militaire essaie avec réussite dans cette opération de purification ethnique. Et comme toujours, toujours la même chose : à Gaza, cent pour un. Par chaque cent palestiniens morts, un Israélien. Des gens dangereux, avertit l’autre bombardement, pour le compte des médias de masse de manipulation, qui nous invitent à croire qu’une vie israélienne vaut autant que cent vies palestiniennes. Et ces médias nous invitent à croire aussi que sont humanitaires les deux cents bombes atomiques d’Israël, et qu’une puissance nucléaire appelée Iran a été celle qui a anéanti Hiroshima et Nagasaki.

La soi-disant communauté internationale : existe-t-elle ? Est-elle quelque chose de plus qu’un club de marchands, de banquiers et de guerriers ? Est-elle quelque chose de plus que le nom scène que prennent les États-Unis quand ils font du théâtre ? Devant la tragédie de Gaza, l’hypocrisie mondiale brille encore une fois. Comme toujours, l’indifférence, les discours vides, les déclarations creuses, les déclamations ronflantes, les postures ambiguës, rendent un tribut à l’impunité sacrée. Devant la tragédie de la Gaza, les pays arabes se lavent les mains. Comme toujours. Et comme toujours, les pays européens se frottent les mains.

La vieille Europe, si capable de beauté et de perversité, répand quelque larme tandis qu’elle célèbre secrètement ce coup de maître. Parce que la partie de chasse aux Juifs a toujours été une coutume européenne, mais depuis un demi-siècle cette dette historique est demandée aux palestiniens, qui sont aussi sémites et qui n’ont jamais été, ni ne sont, antisémites. Ils paient, par le sang comptant et trébuchant, un compte des autres. (Cet article est consacré à mes amis juifs assassinés par les dictatures latinoaméricaines qu’Israël avaient conseillées).

Eduardo Galeano

Aporrea.org. Caracas, le 26 novembre 2012.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi.

*Eduardo Galeano, est un écrivain et journaliste uruguayen, célèbre pour avoir écrit « Les veines ouvertes de l’Amérique Latine ». Gagnant du prix Stig Dagerman, il est considéré comme l’un des écrivains les plus remarquables de la littérature latinoaméricaine.

El Correo. Paris, 5 août 2014.

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