recherche

Accueil > Fil rouge > "Ni chiens ni latinos"

5 avril 2004

"Ni chiens ni latinos"

 

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

Samuel P. Huntington

Il y a un demi siècle nombre d’endroits au Texas annonçaient : "Ne sont admis ni les chiens ni les mexicains". Sûrement le renommé professeur Samuel P Huntington, de l’Université de Harvard, n’approuverait pas ce veto. Mais par amour des chiens, non pas des mexicains, contre lesquels il peste de manière entêtée dans son récent et polémique livre « Qui sommes-nous ? ». Selon sa thèse, les mexicains en particulier et les latinos en général, forment une culture peu disposée à s’intégrer dans la société, dont la langue et la doctrine représentent de graves menaces contre les Etats-Unis.

Il dit textuellement : "Le défi le plus immédiat et sérieux contre l’identité traditionnelle de l’Amérique (comprendre les Etats-Unis) vient de l’immigration continue et immense de latino-américains, spécialement du Mexique, et de son taux élevé de fertilité, comparé avec celui des ressortissants". Cette supposée horde obscure qui envahit à l’Amérique anglo-saxonne et forme au sein du Paradis une planète distincte se caractérise, selon le professeur, par être peu cultivée, parler une autre langue, représenter une culture différente, enlever le travail des indigènes, constituer une charge pour l’État, rejeter les autres et appeler ses fils (littéralement) José et non Michael.

La doctrine anti-hispanique s’achève par une question de nature fascisante :

Comment seraient- les Etats-Unis sans eux ?
 Et il répond : beaucoup mieux : il y aurait moins de pauvres et ils parleraient Anglais.

Son raisonnement, évidemment, omet ce que perdrait la société américaine - dont la force émane d’ être au carrefour des cultures - si elle se passait de ce que signifie la latininité, exemple historique de métissage pacifique et riche par mille aspects : depuis la gastronomie et la musique jusqu’à l’écologie. La proposition de ce gourou de la droite, donc, n’est pas d’intégrer mais d’expulser ; elle n’est pas de consolider mais de séparer.

Plusieurs contradicteurs ont attaqué les pré-supposés de Huntington. Le romancier Carlos Fuentes l’a appelé "Le Raciste Masqué" et le journaliste Andres Oppenheimer signale comment Miami prouve que la prospérité n’est pas ennemie de l’esprit immigrant latino. Les statistiques démontrent que les latinos donnent plus que ce qu’ ils reçoivent à l’État et à la sécurité sociale étasunienne, et qu’il est faux qu’ils ne sont pas intégrés dans la société d’accueil. Ce qu’ils ne veulent pas c’est de renier leur culture originale, et ils l’ajoutent l’une à l’autre, comme ils ont appris à le faire cinq siècles auparavant.

Les mexicains ont assez d’arguments pour justifier leur émigration.

 D’abord, leur société a démontré qu’ elle est capable de se mélanger aux races et aux cultures, chose que ne peuvent pas affirmer en leur faveur les fils des pionniers étasuniens, parce que leurs pères ont simplement exterminés les indigènes sans se mélanger avec eux.

 Deuxièmement, s’il y a quelqu’un qui a une plus grande vocation américaine que les Huntington - aussi blancs, protestants et illustres qu’ils soient - ce sont ces descendants des habitants millénaires du continent.

 Troisièmement, personne ne doit être étonné de ce que les Jiménez et les Morenos se soient assis au milieu quand ils circulent par des territoires dont été dépouillés leurs prédécesseurs : n’est pas plus euphonique un San Antonio ou Los Angeles, un José qu’un Michael ?

 Quatrièmement, la même globalisation qui propulse le capital du nord à acheter des entreprises dans le sud, envoie le travail du sud à des marchés mieux rémunérés dans le nord. Ne disent-ils pas qu’il s’agit d’abolir les barrières économiques ?

 Et, cinquièmement, mexicains et latinos ne volent l’emploi à personne, mais, pour la plupart, exécutent des tâches que les autres dédaignent. Selon John Kenneth Galbraith, "si les sans papiers sont expulsés, l’effet sur l’économie américaine serait désastreux".
Huntington alimente les fantasmes depuis longtemps. Il y a plusieurs années, il parlait d’une "Guerre de Civilisations" entre l’islam et le christianisme, que l’histoire récente et les essayistes judicieux comme son collègue Stanley Hoffmann se sont chargés de réfuter. Plus qu’un combat religieux bipolaire, le monde assiste à de nombreux chocs internes et à une confrontation entre des moyens globaux de lutte : le terrorisme et la loi. Sa nouvelle cible est plus modeste et sans défense qu’une civilisation : les latinos. Mais il persiste avec son obsession d’accuser les autres des maux qu’il voit autour de lui. La menace est toujours étrangère, externe et d’une autre culture.

Ce sont des temps dangereux pour qu’il nous sorte un racisme idéologique, parce que certaines circonstances le ravivent. En Espagne, la responsabilité d’une bande fanatique marocaine dans l’attentat du 11 mars a promu une crainte générale des arabes. C’est injuste. Des innocents payent pour des criminels, parce que dans le massacre ont péri sept Marocains et 47 étrangers. Pendant ce temps, l’intégrisme juif d’Israël refuse 130 visas à des religieux Catholiques, et en Irak les ennemis de l’invasion partent à la chasse aux blonds.
Dans ce sens, Huntington ne fait pas plus que donner un appui théorique aux instincts les plus primaires. Triste rôle pour qui fait partie d’un monde où l’humanisme devrait être « la » pierre angulaire.

Traduction pour El Correo : Estelle et Carlos Debiasi

Éditorial du El Tiempo
El Tiempo, Bogota, 1° d’avril le 2004

Retour en haut de la page

El Correo

|

Patte blanche

|

Plan du site