recherche

Accueil > Réflexions et travaux > La dictature de nos orgueilleuses démocraties

2 avril 2024

La dictature de nos orgueilleuses démocraties

par Jorge Majfud *

 

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

« Milei exhorte Maduro à organiser des élections libres au Venezuela », titrent les journaux du continent. Pour compléter l’effet de propagande, il a offert un refuge aux opposants, comme si leur vie était en danger, à l’instar des dictatures libérales qu’il admire, comme celle de Pinochet, admiré par ses admirateurs Milton Friedman et Friedrich von Hayek qui, au Chili, en 1981, ont été plus que clairs : « Je préfère une dictature libérale à une démocratie qui ne respecte pas le libéralisme ».

Je ne vais pas défendre ici l’interdiction d’élection des hommes politiques dans quelque pays que ce soit, mais rappelons-nous que la femme d’affaires María Corina Machado [1], en raison de ses antécédents connus de complot de coup d’État et de reddition, aurait également été interdite d’élection dans de nombreux pays tels que les États-Unis. Dépassons l’endoctrinement historique et systématique des médias hégémoniques et le discours cristallisé par des siècles de tradition impériale (parmi les idéo lexiques détournés les plus efficaces figurent « liberté » et « endoctrinement », qui doivent être sauvés sans timidité).

Les élections ne sont pas non plus libres lorsque les grandes entreprises achètent les politiciens à travers des milliards de dollars de dons, rédigent leurs lois, emmènent les juges de la Cour suprême en vacances, dominent les médias qui créant des réalités parallèles et sont les premiers à embaucher les mercenaires du type Team George qui manipulent les électeurs au profit du plus offrant - qui, ce n’est pas une coïncidence, partagent souvent la même idéologie que les grandes entreprises, tout cela au nom de la « liberté, liberté » et contre « l’endoctrinement d’enfants innocents ».

L’invocation hypocrite de « nous sommes une démocratie » a servi depuis le XIXe siècle aux empires occidentaux pour imposer leur brutalité génocidaire aux colonies qu’ils ont vampirisées et exterminées, se soldant par un bilan de centaines de millions de morts. Une histoire qui se poursuit aujourd’hui avec les enfants esclaves en Afrique et dans la plupart des nations stratégiquement endettées, fanatisées et endoctrinées du Sud. L’État d’Israël et les sionistes chrétiens utilisent le même argument pour justifier les violations historiques des droits de l’homme commises à l’encontre des Palestiniens depuis un siècle.Ils ont du mal à comprendre la confusion stratégique créée par la machine de propagande impériale.Quelque chose d’aussi simple que le fait de pouvoir voter dans mon pays ne me légitime pas à imposer ma volonté à d’autres pays, qu’ils soient ou non des démocraties libérales.Et encore moins de les bombarder et de les massacrer au nom de la démocratie et de la liberté.

Au moins sur un point, je suis d’accord avec Vargas Llosa, qui a dit que toutes les dictatures sont mauvaises .Bien sûr, dans l’abstrait. Mais toutes les dictatures ne sont pas identiques. Je ne suis pas d’accord pour dire que la dictature de Pinochet ou celle de Castro étaient la même chose. Il y a des différences radicales et ce n’est pas une question de « prospérité », car l’une a été créée et financée par l’empire de l’époque ; l’autre a été harcelée, envahie, soumise au blocus, diabolisée, affamée et sabotée pendant des décennies à l’aide de bombes, d’armes biologiques et d’attaques terroristes de toutes sortes - je développerai ce point dans mon prochain livre qui doit être publié cette année, bien que l’on me dise que je n’aurai pas l’occasion de le voir.

Les nombreuses dictatures du Sud depuis le XIXe siècle étaient des dictatures coloniales et bananières, soutenues par les empires de l’Atlantique Nord.En Amérique latine, elles ont toutes été les enfants de Washington et de ses patrons, les multinationales.Comme nous l’avons déjà expliqué à plusieurs reprises, la révolution cubaine n’était pas seulement une révolution d’indépendance contre la dictature pro-mafieuse et pro-Washington de Batista, mais aussi contre une histoire d’interventions humiliantes, d’appropriations et de privatisations de l’île.Comme l’avait prévenu Ernesto Che Guevara, s’ils autorisaient une démocratie ouverte, ils seraient détruits comme la démocratie d’Árbenz au Guatemala, et la solution consistait donc à empêcher la manipulation des médias par les « champions de la liberté ». Le fiasco de la Baie des Cochons lui a donné raison, l’invasion et le blocus conduisant à un partenariat avec l’Union soviétique.

C’est la même histoire pour le coup d’État contre Hugo Chávez en 2002, auquel des chefs d’entreprises comme Corina Machado ont participé et qui a été soutenu par la presse nationale et internationale, comme le New York Times, raison pour laquelle Chávez s’est opposé à ces lobbies et conglomérats kleptofascistes qui évangélisent chaque jour au nom de la liberté, un paradoxe similaire aux terroristes comme les Contra ou le Bataillon Atlácatl [2] qui ont été définis par Reagan comme des « combattants de la liberté ».

Comme nous l’avons déjà dit, les pires dictatures racistes, génocidaires et impérialistes étaient de fières démocraties. Suis-je contre les démocraties ? Au contraire, je suis pour la démocratisation des démocraties, contre ce discours vide et rituel créé par leurs médias hégémoniques.

Il y a quelques jours, un cargo a percuté et fait effondrer le pont de la baie de Baltimore, tuant six personnes. Il a fallu plusieurs jours à la presse pour dire qu’il s’agissait d’ouvriers qui réparaient le pont pendant la nuit. Il a fallu plus de temps pour dire qu’ils étaient originaires du Guatemala, du Salvador, du Honduras et du Mexique. Elle n’a jamais mentionné que certains d’entre eux étaient sans papiers. Mais il suffit qu’une personne sans papiers, quelque part dans le pays, commette un crime pour que les médias s’en fassent l’écho. Alors les masses répètent l’évangile selon le capitalisme qui criminalise ses propres déchets humains (les travailleurs), surtout les plus pauvres qui ne peuvent même pas voter.

Hier, une amie vénézuélienne s’est rendue dans une salle de sport et a ecouté deux hommes se musclant en regardant Fox News. L’un d’eux a dit :

 Les Vénézuéliens qui arrivent sont tous sur la liste du FBI.

Il est évident que si c’était le cas, ils n’auraient pas la folie de venir ici. Sauf si, comme ce fut le cas pendant des décennies avec la mafia cubaine (Bosch [3], Posada Carriles [4], Ricardo Morales [5] et des centaines d’autres) ils travaillaient pour la CIA.

D’autres expliquent que « les Vénézuéliens fuient la dictature de Maduro ».Ils ne disent pas que Washington a encouragé cette immigration en interrompant la décennie de croissance économique et de réduction de la pauvreté d’Hugo Chavez par des blocus commerciaux successifs, des restrictions de crédit qui ont fait exploser l’inflation et coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes lors de la pandémie due à l’interdiction de Washington de permettre au Venezuela de retirer trente tonnes de son propre or des banques londoniennes.

Il en va de même pour la loi « Pieds secs, pieds nus », qui a permis aux Cubains de ne pas se rendre au consulat américain de La Havane pour demander des visas légaux, mais de risquer leur vie en mer en émigrant illégalement, car lorsqu’ils arrivaient en Floride, ils bénéficiaient d’une résidence automatique et Miami bénéficiait d’une publicité sûre.

« Les socialistes ont deux poids, deux mesures », a conclu le président argentin. « Si les dictateurs sont des leurs, tout va bien ». Le président a laissé tomber son propre double standard. Il pourrait se souvenir de la maxime de Jésus, celle de la paille dans l’œil d’autrui, mais peut-être ne s’en souvient-il pas. Milei ne se lasse pas de citer Moïse (qui n’était pourtant pas un libéral, mais un dictateur qui distribuait les terres des autres , jamais sous le régime de la propriété privée), mais il ne cite pas Jésus parce qu’il est trop communiste à son goût.

Jorge Majfud* pour Estudios Críticos

Estudios Críticos. Giorgia Usa, mars 2024

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi.

El Correo de la Diaspora. Paris le 2 avril 2024

Notes

[1Post note : María Corina Machado

[2Note d’El Correo : Bataillon Atlácatl

[3El Correo : Orlando Bosh

[4El Correo : Posada Carriles

[5El Correo : Ricardo Morales

Retour en haut de la page

El Correo

|

Patte blanche

|

Plan du site