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20 septembre 2004

Quand émerge le Titanic : Un chantier naval récupéré

 

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Le chantier naval SANYM, dans l’Île Maciel, est depuis quelques mois aux mains de la coopérative des travailleurs Amiral Brown, qui a pu le remettre à flot et lui ouvrir un horizon productif. Le principal promoteur de la coopérative fut aussi le protagoniste d’une incroyable histoire pendant la plus sombre période du pays. Comment se marient passé, présent et futur, en devisant sur la vie et la politique au bord du Riachuelo ("Le Ruisseau").

Par LaVaca
22 octobre 2003

La conversation est une occupation étonnante

Dans l’Île Maciel, au bord du liquide dense qui forme le Riachuelo, auprès des autoroutes qui le traversent, des péniches qui le défient, et des grues qui ressemblent à des dinosaures morts debout, la conversation courait sur la coopérative Amiral Brown qui avait récupéré un chantier naval en faillite et qui, en six mois, était passée de 48 à 62 travailleurs.

Mais soudain, l’histoire des luttes ouvrières dans les chantiers navals s’entremêla à la vie de cinéma (cinéma de terreur, en partie du moins) de César González, 64 ans, victime du pire de l’histoire argentine, mais aussi protagoniste de ce type d’expériences qui, peut-être, font partie du meilleur.

L’affaire du chantier naval ne contient pas les ingrédients scéniques des autres luttes pour la récupération d’usines. Ici, il n’y a pas de petits partis avec leurs grands drapeaux, il n’y eut pas de résistance héroïque, de policiers abominables, ni de patrons délinquants, jusqu’à présent.

Le visiteur doit descendre du vieux pont qui relie La Boca et Avellaneda. Une station service est le point de rencontre pour qu’un membre de la coopérative tienne lieu de guide et de sauf-conduit dans l’Île Maciel, où l’on parvient après avoir évité des piliers d’autoroutes et traversé des rues que les producteurs d’Hollywood devraient connaître lorsqu’ils veulent tourner des scènes de crimes, de poursuites et de suspense dans des zones portuaires : sans chauvinisme, ce paysage est beaucoup plus inquiétant.

Une erreur de calcul, dépasser un pâté de maisons ou déboucher dans une rue incertaine, et vous pouvez vous retrouver dans un « no man’s land », selon les habitants mêmes de la zone. No man’s land veut dire être attaqué, ou pire, selon ces derniers. L’une des rues qui arrive au chantier naval semble appartenir à une "conteinera", comme on appelle l’entreprise Expolgan qui charge et décharge les containers, qui arrête les camions et les fouille en interrompant la circulation sans ménagements et qui a même coupé toute la rue Juan Díaz de Solis qui borde le Riachuelo (on pense d’habitude que les rues sont publiques). Par bonheur, ces messieurs d’Expolgan n’ont pas encore décidé de percevoir un péage ou de demander qu’on présente ses papiers, dans ce pays si étrange.

Le chantier naval Amiral Brown occupe 36.000 mètres carrés. Il y a des hangars sans fin pour fabriquer des navires, il y a des chaînes gigantesques aux chaînons démesurés, il y a un échouage pour les réparations où l’on tire avec des chaînes les bateaux hors de l’eau, et il y a un paysage de mansuétude trompeuse et d’eau pâteuse qui lèche les vieux bateaux et les grues mortes. En haut, on voit les voitures qui volent sur les autoroutes et les ponts du Riachuelo.

De l’autre côté, se trouve une île appelée Buenos Aires.

Le chantier naval SANYM travailla pendant une trentaine d’années, jusqu’en juillet 2001 où il fut à son tour victime du modèle économique. L’oeuvre de Menem. Dans ses hangars, quatre navires et des ponts grues de 10 et 15 tonnes, des grues mobiles qui portent jusqu’à 90 tonnes, un quai de 120 mètres et un échouage pour des bateaux jusqu’à 600 tonnes et 110 mètres de long. Il n’a pas seulement la capacité de remettre à neuf tout engin flottant, mais les hangars se destinent aussi à la construction de bateaux.

Tout ceci sombra comme un Titanic après un choc contre l’iceberg économique qui figea et mit en panne tant d’industries. Le dogme du change à un [peso] contre un [dollar] fit de l’Argentine l’un des pays les plus chers au monde, et n’importe quel armateur préfère confier ses réparations ou passer ses commandes à d’autres pays plus abordables.

Le président de la coopérative, Horacio Rodríguez (31 ans), raconte la tentative du fondateur et propriétaire, Raúl Poetti, qui obtint des travaux comme celui des "ponts rouges" qui permirent d’élargir la General Paz, de Buenos Aires, et celui des ponts tournants de Puerto Madero. Mais il le fit au prix d’un si faible budget qu’il ne put respecter le schéma de la compagnie, et dut s’endetter pour mener à bien les travaux. Après le menemisme vint la phase de catalepsie sous la direction de Fernando de la Rúa. Le 17 juillet 2001, les 120 travailleurs du chantier naval reçurent leurs télégrammes de licenciement.

Ils percevaient leurs salaires, ils perçurent à peu près leurs indemnités et se mirent à chercher un autre travail. Certains purent être embauchés par les entreprises dont SANYM était le fournisseur. Mais la majorité resta à traîner sur le Dock Sud, dans l’Île Maciel, et dans les rues d’Avellaneda, sans réponse sur leur propre destin.

Horacio, qui était délégué syndical, avait acheté une bicyclette pour aller au chantier naval et en revenir sans dépenser l’argent de deux autobus. Ses fils ont 6 et 4 ans. Il est de ceux qui ne trouvèrent pas de travail. Il avait commencé comme manoeuvre, le premier échelon au chantier naval, mais il était passé ensuite à la chaudronnerie, travail d’un rang et d’un prestige plus élevés.

L’autre délégué, César González, resta lui aussi à l’extérieur de la grille, avec son expérience de sexagénaire et de syndicaliste de toute une vie, ses yeux plissés derrière des lunettes, et avec une idée qu’il profèrait avec calme et rapidité : "Nous devons faire une coopérative".

On ne l’écouta pas trop à ce moment-là. Une longue année plus tard, en septembre 2002, González continuait de répéter son conseil, mais il y avait quelque chose de différent : la parité du change s’était rompue, et permettait de penser au projet du chantier naval comme à quelque chose de plus qu’un rêve fou. Ils furent 14 travailleurs à se réunir sur une place de Camino General Belgrano y Pasco, à Ezpeleta. Ils se proposèrent de tenter l’aventure de la coopérative. Ils parlèrent avec un avocat spécialiste de cette question, le docteur Luis Caro. Le Syndicat argentin des ouvriers navals, SAON, collabora au projet. Ils parlèrent aussi avec l’intendant d’Avellaneda, prirent quelques contacts au gouvernement de la province de Buenos Aires, avec le ministère de la Production.

Une idée s’imposa : offrir au propriétaire de louer le chantier naval. Rodriguez explique : "Poetti accepta, et nous fit grâce de 6 mois. Ensuite, il percevrait mensuellement 5% de ce que nous facturerions ". Pourquoi tant de générosité ? Deux hypothèses de Rodriguez : "La première c’est, je crois, qu’il aime tout ça, et qu’il ne se résigne pas à le voir fermé. Il vient régulièrement, il prend un petit café, bavarde un instant. L’autre, c’est qu’il pense peut-être que si on remet le chantier en marche, ça lui profitera et qu’il pourra à un certain moment le récupérer ou le vendre ". Oscar Selser, un autre membre de la coopérative, ajoute : "Gare à ne pas tomber en faillite peu de temps après avoir loué le chantier naval. Il y en a pour 4 millions de dollars. Il se pourrait que quelqu’un rachète la faillite pour garder le tout ".

En tout cas, toute proposition qui ne tiendrait pas compte des membres de la coopérative aurait une issue qu’ils annoncent sans forfanterie : "Conflit".

Toutefois, ce mot ne figure pas jusqu’à présent dans le dictionnaire de cette affaire. "La lutte ne fut pas dure, c’est plutôt le contraire. Il y avait un contrat de location, nous nous sommes constitués en coopérative, nous avons commencé à avoir pas mal de travail, d’abord avec deux bateaux de pêche de mar del Plata, et à partir de là ça s’est assez bien passé pour nous " dit Rodriguez. Il y a actuellement 62 membres dans la coopérative, contre 48 en décembre 2002 quand on est retourné au chantier naval. Chacun gagne entre 800 et 1.000 pesos ou un peu plus, selon le mois. "Ici, c’est le contraire de Brukman ; là-bas, il y a des conflits, ici non" dit Rodriguez, une phrase qu’il prononce d’un ton neutre, comme une information.

Pourquoi César González a-t-il tant insisté sur la coopérative ? Avec un sourire espiègle, il dit : "Parce que je suis vieux. J’avais fait l’expérience d’autres coopératives et je venais d’une vieille école. Dans l’industrie navale, le coopératisme n’est pas nouveau. On l’a toujours essayé. Parfois avec succès. Il y a eu une coopérative ici à la Ribera, La Unión, qui est arrivée à 300 ouvriers. A l’époque des militaires, ils ont décliné, il y a eu des persécutions, et aussi une pression de chefs d’entreprise réactionnaires, disons ".

César dit que cette expérience fut importante "de par la solidarité, même avec des militants licenciés de leur travail, ou qui avaient fait de la prison". César précise qu’il n’a pas travaillé à La Unión. Il était secrétaire à l’organisation et aux affaires corporatives du SAON, mais après le coup d’État de 1976 le syndicat fut mis sous surveillance. César retourna à son poste dans le chantier naval Príncipe, Menchi y Penco.

Là-bas, il travaillait avec le père d’Horacio Rodríguez, l’actuel président de l’Amiral Brown, qui écoute l’histoire de César dans un silence tendu.

Un matin au point du jour, il croit que c’était le 19 septembre 1976, des voitures se sont arrêtées devant la maison de César González, à Ezpeleta. Il avait deux fils de 5 et 3 ans. Ils allaient au jardin d’enfants. En 1975 il était resté veuf. Chez lui vivait sa belle-soeur, qui s’occupait des enfants. César croit que les arrivants étaient de la police, et quelques-uns de l’armée. Il y eut des coups frappés à la porte, ils le frappèrent lui aussi, ils mangèrent les fruits qu’il y avait dans le réfrigérateur, ils emplirent des valises avec tout ce qu’ils purent voler, ils lui chourèrent même un porte-monnaie, et ils le traînèrent jusqu’à la camionnette.

Ce matin-là, il devint un disparu.

Combien de temps est-il resté disparu ? "Peu de temps", répond-il. " 25 jours environ", dit-il dans le style nullement plaintif de celui qui sait qu’au moins il est vivant pour le raconter. Il suppose que c’est l’Armée qui l’a arrêté, et qu’ils l’ont placé dans un centre clandestin de la police de Buenos Aires. "Ce devait être la police montée de Wilde, d’après certaines informations dont j’ai eu connaissance".

Que s’est-il passé pendant ces semaines de séquestration ? César, sans jamais se départir de sa sérénité, dit qu’ils ne le torturaient pas tous les jours. "Ils ont dû me torturer cinq ou six fois. Ils te déhabillaient, ils t’attachaient, te mettaient la gégène dans les oreilles, sur la poitrine, sur les testicules, partout. Mais pas seulement à moi : à tous ". Il le précise comme pour ne pas exagérer sa propre souffrance.

Quelquefois les ravisseurs de González avaient des éruptions de créativité : "Une fois, ils m’ont fait asseoir sur des papiers imbibés d’essence. Le militaire a allumé un briquet. Il m’a dit : ’Tu veux fumer ?’ Je lui ai dit : ’je ne fume pas’. ’Tu mens’ m’a-t-il répondu, ’j’ai bien vu un paquet de cigarettes sur ta table de nuit’. Je lui ai dit : ’oui, mais j’ai arrêté depuis".

González le raconte en souriant. Avec du recul, c’est presque une anecdote sympathique, bien qu’il n’ait pas oublié l’odeur du combustible, ni la sensation de voir cette flamme de près.

En regardant vers l’un des hangars du chantier naval, César dit avoir été très impressionné que dans l’espace d’un mètre sur deux où ils l’avaient mis avec deux autres personnes, les yeux bandés comme lui, ils jetaient des morts. Il corrige : "Pas des morts. Des gars qui agonisaient. Moi, ils m’ont jeté un vieux qui avait parlé avec moi auparavant. Ils voulaient qu’il dise où étaient ses fils. Il disait qu’il ne savait pas. Ils l’ont harcelé toute la nuit. Au matin ils l’ont jeté dans mon cagibi. Et il est mort à côté de moi, cet homme ".

On entendait en permanence les cris provoqués par les tortures. Toute la journée, par roulement. "C’était une usine de torture" dit César, qui forge là une définition parfaite. Il y avait tout au plus deux heures de repos certains matins, mais les cris reprenaient ensuite. "Ils en ont torturé plusieurs jusqu’à la mort. Mais parfois ils appelaient un médecin : ils voulaient que certains restent en vie". Que voulaient-ils savoir ? "Si tu connaissais untel ou untel. Des choses comme ça".

La nourriture était immangeable, dit-il. "Une espèce de son de maïs de polenta cru. Même si tu avais faim, ça t’écœurait, tu avais envie de vomir ". Une nuit, ils leur apportèrent cet empois. "Mais le policier a dit à propos d’un autre gars qui était là : ’n’en donnez pas à celui-là ’. Je ne me rappelle pas quels mots il a employés, mais j’ai compris qu’ils allaient le tuer. Je me rappelle encore que le militaire a dit ça, et que j’ai entendu le gars avaler sa salive ".

César González ne regarde plus par la fenêtre vers le hangar, mais il nous fait face, debout et les mains dans ses poches. Le chantier naval a cessé d’exister. Il se rappelle deux situations en particulier.

La première :

"Une nuit, ils ont amené une dizaine de personnes, ils les ont fait descendre à coups de pieds, ils les ont torturées toute la nuit. Tu étais là, près de la cloison, tu entendais tout. Ils les ont tuées en les torturant. Ensuite, ils les ont saisies comme des sacs et ils les jetées dans une camionnette. Ce fut la nuit la plus terrible de ma vie ".

La deuxième :

"Un jour que j’étais seul dans le cagibi, ils y mettent une gamine nue. Elle devait avoir 17 ou 18 ans. J’avais les yeux bandés, mais je voyais un peu à travers la toile. Je lui ai demandé tout bas ce qui lui était arrivé. Elle m’a dit qu’elle avait une amie militante, mais que c’est elle qu’ils avaient emmenée. Sa mère la grondait à cause de ces amis. Elle m’a raconté qu’ils l’ont mise dans le coffre d’une voiture, ils l’en ont sortie, ils l’ont poussée sur le siège arrière, et 6 ou 7 militaires l’ont violée. Il m’a dit ’moi, ils vont me relâcher, parce que je ne me mêle de rien, je n’ai rien à voir avec ça. Mais une chose retenait beaucoup mon attention : elle n’avait pas de cagoule. Et là, quand tu n’as pas de cagoule, ton compte est bon" dit González, sans un geste.

Le lendemain, ils ont emmené la fille. Peu après, un policier s’est approché du cagibi, et d’un ton complice : "Tu ne te l’es pas faite ?". ’Non’ balbutia González. Le policier lui dit : "T’es un con, elle n’existe déjà plus".

César dit : "Je n’ai jamais pu me rappeler comment cette fille s’appelait. Je le regrette encore parce qu’on pouvait en tirer un renseignement. Mais je n’ai jamais pu me le rappeler ".

César González croit devoir la vie à l’intervention de l’ambassadeur allemand de l’époque, et aussi de l’évêque de Quilmes, Antonio Quarracino, influencé à son tour par la démocratie chrétienne allemande. "Si bien que j’avais été en Allemagne, invité comme syndicaliste pour visiter des entreprises coopératives qui avaient des systèmes de gestion différents, avec un contrôle ouvrier plus important". Ce sont de telles démarches, aux yeux des marins eux-mêmes, qui semblent avoir obtenu sa libération, laquelle eut lieu sur les bords de la rivière Sarandí.

"Avec moi était tombé le secrétaire de la corporation et député national Ricardo de Luca. Il s’en est mal sorti, pauvre, très touché. Il n’a plus les idées très nettes. Ça fait un moment que je ne l’ai pas vu, mais il allait mal, il oublie beaucoup, il dit des choses incohérentes. Et un autre délégué, Estanislao Vallejo, a eu une hémiplégie. Au moins il ne s’en est pas mal sorti mentalement. Je ne sais pas si je m’en suis bien ou mal sorti. Mais je m’en suis sorti".

Don César a besoin de préciser qu’il n’était pas guérrillero. "Je me battais avec ceux de l’ERP et j’avais des parents dans les Montoneros, mais je leur disais qu’ils allaient tous nous mettre dans la merde. ’Ils vont foutre en l’air tout un mouvement révolutionnaire parce que nous ne sommes pas en état de les affronter ’. Et il en fut ainsi. Il n’y avait pas de logique dans ce qu’ils faisaient. J’étais dans le corporatif, ce qui concerne les coopératives, nous avions la possibilité d’avancer dans nos revendications et dans les luttes. Ce n’était pas Cuba, pour faire une révolution à partir d’en bas ".

De la Sarandí, César rentra chez lui ; peu après, on lui intima de retourner travailler au chantier naval. Il y retourna. Un peu plus tard, un camarade lui conseilla de s’en aller. "Ils vont te tuer", lui fit-il savoir avec une certitude qui convainquit González. Il partit pour Corrientes, et là il entra dans une coopérative, elle-aussi appelée Amiral Brown, où il travailla jusqu’à l’arrivée de la démocratie.

C’est peut-être pour cette raison même, de travailler à Corrientes, que son histoire ne fut jamais racontée devant les journalistes, et qu’elle ne figure pas non plus dans les registres de la Commission Nationale sur la Disparition de Personnes (Conadep). Il suivit le jugement des juntes militaires. "Ce fut une joie indescriptible".

Le chantier naval pour lequel travaillait la coopérative fit faillite, et Don César retourna à Buenos Aires, et à son vieux syndicat, comme responsable de l’oeuvre sociale.

L’administration Alfonsín commença le déclin de l’industrie, comme Don Cédar l’a vécu, et elle liquida ce qui en restait. "C’est que Menem avait le même plan que les militaires avec Martínez de Hoz et Alsogaray. Ils sont tous pareils. Tous très soigneusement surveillés par les Américains. Ce qu’ils n’ont pas fait avec les militaires, ils l’ont fait en allant chercher celui-ci ". Don César se sent péroniste de toute sa vie, "bien qu’avec beaucoup de questions, je te le confesse, sur ce que signifie être ou ne pas être" susurre-t-il, dans ce qui pourrait bien être un courant politique majoritaire en Argentine : le hamlétisme.

Le chantier naval, le Riachuelo, le futur émergent à nouveau. Don César dit qu’il voit de l’avenir au chantier naval, si le pays parvient à se relancer. Horacio Rodriguez, qu’il traite comme un fils, commente qu’ils sont sur le point de conclure une affaire avec une mine colombienne, où un Argentin a découvert qu’on pourrait diminuer les coûts en transportant le charbon sur des péniches au lieu de faire passer des centaines de petits camions par les défilés des montagnes. La construction des péniches pourrait représenter dans les 900.000 dollars.

Don César dit que, ce dont il doute, c’est que l’establishment économique laisse le processus de récupération d’usines et d’entreprises se développer. "Ici, le modèle n’a pas changé, il continue à faire grand cas de la propriété privée, de la sécurité juridique et ils vont vouloir y mettre un terme. Il faudra voir ce que font ceux qui gouvernent. Et il faudra aussi voir ce que nous faisons, les travailleurs " dit-il en plissant les yeux d’un sourire.

Sa théorie est que le modèle néoconservateur n’a rien obtenu de productif. "Et ici nous démontrons que nous savons faire les choses nous aussi. Il y a même eu des camarades qui travaillaient ailleurs et qui sont venus ici. Vous savez pourquoi ? Parce qu’ici l’homme se sent plus libre et plus créatif ". Pourquoi ? "Parce que personne ne lui met la pression, il se la met lui-même pour bien faire les choses. Et créatif parce qu’avant, s’il manquait quelque chose, du matériel, l’homme s’asseyait en attendant qu’on le lui apportent. Maintenant en revanche, nous le fabriquons nous-mêmes. Il manque un tuyau, une pièce, nous cherchons comment la remplacer sans avoir à l’acheter. C’est joli ça, c’est une question de règles de l’art".

De quoi ont-ils besoin ? Du permis pour utiliser les terres, auxquelles prétend aussi le gigantesque voisin Expolgan qui, s’ils les obtenait, pourrait avoir un quai plus commode. Ils ont aussi besoin d’accéder à des crédits raisonnables, pour l’achat de matériels. Ils ont besoin que le sénat de Buenos Aires ratifie la demie sanction des députés d’expropriation des biens meubles. Et plus que tout ils ont besoin qu’on les laisse tranquilles, qu’on les laisse travailler, sans leur créer d’obstacles.

Pour Don César la solidarité, c’est la chose suivante : "Nous étions 40, nous sommes maintenant 60, et nous pouvons arriver à 400. En vivant et en gagnant tous plus ou moins bien".

Il se montre des plaques, et comment on les transforme en pièces pour bateaux. "Vous voyez ? Avec ces choses, quand il ne nous reste rien, nous inventons des solutions nouvelles ".

Après avoir prononcé un tel programme politique et social, l’homme met les mains dans ses poches, et il tourne le dos au Riachuelo. Avec sa courtoisie d’un autre siècle, il présente ses excuses pour avoir interrompu l’étonnante occupation de la conversation.

Il y a une raison que les lecteurs - parvenus à ce point - sauront apprécier à sa juste valeur : don César doit aller travailler.

Traduction pour El Correo : Hapifil

Traductions en français de l’espagnol et de l’anglais
Contact : hapifil@yahoo.fr

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