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7 novembre 2005

De Clichy-sous-Bois à Epinay-sur-Seine...

Mourir en banlieue

 

Par Claude Askolovitch
Le Nouvel Obs
Semaine du jeudi 3 novembre 2005 - n°2139 - France

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« Tolérance zéro », annonce Sarkozy depuis plus de trois ans. Mais la violence persiste et le slogan sonne creux

« J’irai en Corée », avait dit Eisenhower pour se faire élire président des Etats-Unis en 1952. Nicolas Sarkozy, lui, s’annonce en banlieue, commandant en chef sur le front des cités. La guerre des banlieues, mère des batailles du sarkozysme ? Celle-ci s’engage mal. Dans la cacophonie, la confusion et l’impuissance.

Ainsi le drame de Clichy-sous-Bois. Les adolescents électrocutés en se cachant dans un transformateur EDF ont été présentés par les autorités comme des délinquants qui fuyaient la police, puis comme des innocents ayant paniqué. Des émeutes ont éclaté. Une grenade lacrymogène a été lancée sur une mosquée - bavure démentie, puis reconnue par le ministre. Des associations musulmanes ont encadré, avec la mairie, le deuil et la protestation des amis des jeunes gens...

Le communautarisme a encore marqué des points. Pis encore : un ministre, Azouz Begag, a protesté contre l’emploi par Sarkozy du mot « racaille » pour désigner les casseurs. Begag, nommé au gouvernement pour démontrer la volonté d’intégration de la droite, s’est retrouvé en porte-à-faux, reprenant à son compte ce malaise des cités, qui se sentiraient attaquées dans leur ensemble quand les autorités prétendent stigmatiser les délinquants...

Etrange résultat pour Sarkozy, l’apôtre de la « discrimination positive ».
« Quand on veut apurer une situation, seul le recours à la justice, à une enquête menée par un juge d’instruction, permet d’être crédible », affirme Me Jean-Pierre Mignard, avocat des familles. A la place, les autorités ont proclamé leurs vérités successives. La mise en avant systématique de Sarkozy - le chef sanctionne - souligne cette dérobade face à l’Etat de droit. Jeu délibéré ? Sarkozy, depuis 2002, s’est positionné pour bénéficier de l’insécurité en prétendant être le seul capable d’y mettre un terme.

La délinquance, loin de l’affaiblir, nourrissait son argumentaire. Mais trois ans ont passé, et le ministre est comptable de la situation. La surexposition du ministre-candidat illustre plus son impuissance - celle de l’Etat - que sa volonté. « Tolérance zéro », annonce Sarkozy, mais ce slogan est le sien depuis plus de trois ans sans qu’on en voie le résultat. Car sur le fond rien n’est réglé. L’Etat de violence ne recule pas. Les trois morts de la semaine dernière attestent de la maladie de la société française.

Trois morts, en effet - et non deux seulement. Car aux deux jeunes électrocutés de Clichy-sous-Bois s’ajoute ce père de famille battu à mort devant les siens, pour avoir pénétré une cité « interdite » avec un appareil photo, à Epinay-sur-Seine. L’illustration même de la logique mortifère de la ghettoïsation, l’enchaînement du patriotisme de groupe, de la violence banalisée, de l’inconscience criminelle d’apprentis caïds.

Et ce constat : un citoyen ordinaire, un M. Tout-le-monde, peut mourir sous les coups, en plein jour, en dépit de l’affirmation sécuritaire de Sarkozy. « Si on avait assassiné un homme de cette manière quand la gauche était au pouvoir, j’imagine quelles conclusions en aurait tirées la droite », s’interroge le député PS d’Epinay-sur-Seine Bruno Leroux.

Mais cette fois le laxisme des socialistes n’est pas en cause. Le deuil est à tout le monde, la mort ne peut profiter à personne. Même pas à Sarkozy.

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