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10 mars 2004

Mondialisation financière : l’heure des doutes

 

Après des années de libéralisation des mouvements de capitaux, la pression se renforce pour un retour à une régulation publique de la finance internationale.

Par Christian Chavagneux
Alternatives Economiques,

Depuis 1973, la finance internationale a connu deux fois et demie plus de crises que dans la période 1880-1913, qui avait été marquée par une importante vague de mondialisation financière. Ces crises à répétition ont ébranlé tant les systèmes bancaires et les marchés boursiers des pays du Nord que le financement des pays du Sud. En a-t-on tiré les leçons ? Pas tout à fait, même si le vent de la finance internationale a commencé à tourner. Après avoir vanté les bienfaits innés de la libéralisation internationale des mouvements de capitaux, les libéraux commencent, en effet, à en douter.

Maîtriser les risques

 Premier dossier : la maîtrise des risques pris par les grandes banques internationales. Après avoir fait confiance aux grands établissements bancaires pour qu’ils surveillent eux-mêmes les risques qu’ils prennent sur les marchés financiers, la Banque des règlements internationaux [1] cherche en ce moment à mettre en place un dispositif plus contraignant de maîtrise des risques financiers liés aux crédits que ces banques octroient. C’est le signe de son inquiétude devant le comportement des banques : leurs prêts ont en effet nourri les différentes bulles spéculatives - tant boursières qu’immobilières - dans de nombreux pays.

Les grands banquiers se sont mobilisés contre ces contraintes supplémentaires. Ils ont déjà fait reculer le projet à plusieurs reprises, mais il devrait être finalement prêt en juin 2004 et entrer en vigueur fin 2006. Ils cherchent aussi à le vider de sa substance.

Pour cela, ils mettent en avant le fait qu’une banque qui prête de l’argent dans de nombreux pays et à de nombreux secteurs n’a pas tous ses œufs dans le même panier ; elle devrait donc être obligée de mettre moins d’argent de côté pour les mauvais jours (ce qui ne rapporte rien) qu’un établissement trop spécialisé, par exemple dans l’immobilier d’un seul pays, qui, lui, prendrait de plein fouet une crise dans son domaine d’activité.

Cet argument paraît frappé au coin du bon sens, mais il passe sous silence un élément important des crises financières contemporaines : dans les moments de grande panique, les financiers veulent détenir, non pas seulement des placements moins risqués, mais des liquidités, de l’argent mobilisable tout de suite, en attendant des jours meilleurs.

Résultat : une crise née sur un marché financier se transmet par contagion, non pas seulement à d’autres marchés où s’échange le même type de titres (par exemple lors de la crise asiatique de 1997, entraînant le retrait des capitaux dans d’autres pays émergents, comme le Brésil), mais aussi à des marchés financiers a priori sans rapport avec celui où la crise est apparue.

L’argument des banques ne tient donc pas : quand une forte crise touche un marché risqué, tous les autres marchés risqués peuvent être touchés par des retraits des investisseurs, ce qui fait chuter les prix des actifs sur de nombreux marchés et multiplie les pertes. Un risque qu’Andrew Large, le vice gouverneur de la Banque d’Angleterre, avait désigné, en mars 2003, comme l’une des plus grandes sources d’instabilité, en réclamant l’invention de nouveaux mécanismes de régulation des marchés financiers.

Revoir le financement du Sud

 Deuxième dossier : les crises de financement du développement des pays émergents. Là aussi, le débat a changé de nature. Le Fonds monétaire international (FMI) ne se demande plus si les flux de capitaux à destination de ces pays doivent être régulés, mais comment ils doivent l’être. Anne Krueger, numéro deux du FMI, avait mis sur la table une proposition radicale, visant à mettre en place une sorte de droit des faillites pour les Etats. Cette proposition aurait permis aux pays qui se trouvent au bord d’une crise d’arrêter de rembourser leurs dettes, de contrôler les sorties de capitaux et de forcer les investisseurs internationaux à s’asseoir autour d’une table, pour annuler une partie de leurs créances et payer ainsi une part du coût de la résolution de la crise, provoquée en fait par leurs placements hasardeux.

Là encore, la mobilisation politique des financiers, largement relayée par l’administration Bush, a été efficace : ce projet a été enterré en avril dernier. Mais la proposition du FMI a suscité de nouveaux débats et le sujet reviendra probablement sur le devant de la scène, plaçant désormais les investisseurs internationaux sur la défensive.

Des annulations de dettes trop timides

 Troisième dossier où la pression monte : la dette des pays les plus pauvres. Après avoir longtemps refusé toute annulation de leurs créances, le FMI et la Banque mondiale ont dû se résoudre à lancer une initiative de réduction de la dette des pays pauvres très endettés.

Sans excès de zèle, puisque seuls neuf pays en ont bénéficié depuis le lancement de cette initiative à la fin 1996, et dix-neuf autres sont toujours en attente. Si toutes les promesses sont tenues, un petit tiers de la dette aura été éliminé… laissant ces pays aussi vulnérables qu’avant : au moindre choc extérieur d’importance (augmentation des prix du pétrole, ralentissement de l’économie mondiale...), leur dette redevient très difficile à rembourser.

Une étude récente de l’organisation non gouvernementale britannique Jubilee Research [2] a montré que le FMI, par des ventes d’or, et la Banque mondiale, en piochant de petits montants dans ses coffres, pourraient annuler sans problème toutes leurs créances sur les pays les plus pauvres. Resterait à déterminer les critères de sélection des pays pouvant en bénéficier, afin d’éviter que cela ne serve qu’à remplir les coffres de dirigeants corrompus.

Le plus gros obstacle à une régulation plus efficace de la finance mondiale reste les Etats-Unis, premier centre des déséquilibres financiers mondiaux. Leurs déficits des échanges extérieurs courants représentaient, à eux seuls, 75,5 % des déficits mondiaux en 2002, captant ainsi, pour les financer, environ 7 % de l’épargne mondiale ! L’administration Bush n’a pas tiré les leçons des crises financières des années 90. Elle préfère enfourcher les chevaux de bataille des financiers américains hostiles à toute réglementation, au détriment de la sécurité financière mondiale, et donc de la croissance de l’économie de la planète.

Le cas américain

Les déséquilibres de la finance américaine exercent une forte influence sur le reste du monde. Les exemples abondent : au début des années 70, la crise du dollar s’est traduite par la fin du système de Bretton Woods et le passage des taux de change fixes entre les principales monnaies aux changes flottants ; à la fin des années 90, ce fut l’éclatement de la bulle boursière de la nouvelle économie ; aujourd’hui, une nouvelle crise couve avec la chute du billet vert.

Or, l’efficacité des autorités de régulation de la finance étatsunienne, Securities and Exchange Commission (SEC) en tête, a été faible. Depuis l’affaire Enron d’octobre 2001 et la révélation du trucage des comptes de nombreuses entreprises, la liste du non-respect de la régulation financière ne cesse de s’allonger : des cabinets d’audit condamnés pour avoir certifié de faux comptes et organisé une vaste fraude fiscale ; des banques accusées de s’être entendues avec les agences de notation financière sur le dos des investisseurs ; la Bourse de New York dont le patron, Dick Grasso, a dû démissionner ; les pratiques frauduleuses des fonds d’investissement (mutual funds) révélées en septembre dernier et les intermédiaires véreux sur le marché international des changes, arrêtés, menottes aux poignets, en novembre. Dans tous ces événements, les gendarmes financiers n’avaient rien vu et rien entendu.

D’une manière générale, le gouvernement américain reste très en retrait en matière de régulation financière, aussi bien en interne qu’au niveau international : produits financiers sophistiqués, fonds spéculatifs, paradis fiscaux, contrôle des banques, obligation des investisseurs de participer au coût de résolution des crises financières dans les pays émergents…, l’administration Bush s’aligne systématiquement sur les positions antiréglementation des acteurs financiers privés.

Un président des Etats-Unis avait déclaré en parlant des financiers : « Confrontés à une faillite du crédit, ils n’ont rien su proposer d’autre que de prêter encore plus d’argent. Ne pouvant plus persuader les gens de les suivre dans la mauvaise voie par appât du gain, ils ont eu recours aux exhortations, demandant avec des sanglots dans la voix qu’on leur fasse à nouveau confiance. Ils ne connaissent que les règles d’une génération d’égoïstes. Ils n’ont pas de vision, et là où il n’y a pas de vision, le peuple périt. » Mais c’était le samedi 4 mars 1933, et il s’agissait de Franklin Delano Roosevelt.

Notes

[1Banque des règlements internationaux (BRI) : créée en 1930, elle regroupe les gouverneurs des banques centrales des principaux centres financiers du Nord et des pays émergents. Son comité de Bâle pour le contrôle bancaire est chargé de proposer les règles de maîtrise des risques pris par les grandes banques internationales.

[2« Can the World Bank and IMF Cancel 100 % of Poor Country Debts ? », septembre 2003, www.jubileere search.org

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