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27 avril 2003

Le triangle du Pouvoir
Le pourquoi des resultas des elections en Argentine.

par Heinz Dieterich Steffan

 

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En décembre 2001 les forces populaires et la classe moyenne argentine se sont rebellées avec succès contre la politique néo-libérale du gouvernement, obligeant au président Fernando de la Rúa à s’enfuir de la Casa Rosada en hélicoptère. Comme toujours, le prix du sauvetage de la souveraineté du peuple a été payé par le sang : plus de trente citoyens ont été assassinés par des policiers pendant le soulèvement. De la lutte dans la rue est né l’espoir du changement ; du sang de ceux tombés, la conviction du courage populaire ; de l’effort spontané de la conscience de l’unité possible et, de la corruption généralisée des politiciens, la volonté de les effacer de la carte de la Patrie. "Que se vayan todos" (qu’ils partent tous), fut le drapeau de lutte de l’Argentinazo.

La consigne n’était pas nouvelle. Cinq cents années auparavant, une des cultures autochtones infestées par les premiers néo-libéraux de Notre Amérique (l’auteur est espagnol), les envahisseurs espagnols, s’est adressée aux usurpateurs. En sachant, que pour les néo-libéraux seuls comptaient les métaux précieux, ils portaient avec eux leur or et ils leur ont dit : "Prenez tout, mais partez." Trois cent années plus tard, ils étaient encore des esclaves.

Est-ce que quelqu’un qui est venu voler et vivre du travail d’autrui s’en irait "volontairement" ou "avec de bonnes manières", tant que restera une certaine richesse à exploiter, parce que sa relation avec les producteurs directs de la richesse sociale est parasitaire. Dans la symbiose socio-économique, l’existence du bénéficiaire de la relation est une fonction directe de l’existence et des modes de production de l’hôte involontaire, dans ce cas, le peuple.

Pour obtenir qu’une élite parasitaire s’en aille, il est indispensable que l’hôte opprimé dispose deux éléments fondamentaux :

a) il doit comprendre les conditions du champ de bataille où se donne la lutte pour l’expulser et,

b) il a besoin d’avoir un plan de guerre qui respecte la logique des sciences militaires et politiques, sans l’art desquelles le triomphe n’est pas possible. Autrement dit, un projet historique pour la nation est nécessaire.

Le théâtre des opérations ou champ de bataille des sujets sociaux dans la société moderne est défini par trois centres de pouvoir : les majorités, l’élite économique et l’État. C’est à l’intérieur de ce triangle du pouvoir que toute lutte de classes, dans toutes les façons possibles, s’effectue.

Cette structure triangulaire de la réalité politique détermine que chacun des trois acteurs qui prétend conquérir le pouvoir et le conserver d’une manière plus ou moins stable, requiert de coopter, au moins, un second centre de pouvoir. S’il n’obtient pas une telle alliance, il n’a pas la possibilité d’étendre son projet national à l’ensemble de la société.

La domination complète d’un système social est obtenue, quand les trois sujets de pouvoir agissent dans la même direction ou tendance d’évolution ; la domination est incomplète, tant qu’on contrôle seulement deux des trois éléments ; et, la domination est impossible, quand on domine seulement l’un des trois Léviathan. Puisque l’alliance entre les majorités et les élites économiques du grand capital est, généralement, impossible, par l’antagonisme entre leurs intérêts de classe, l’objectif naturel de la politique des masses est la conquête partielle ou totale de l’État. Toute proposition qui prétend changer la qualité de vie des majorités dans le Tiers Monde sans prendre le pouvoir est, ipso facto, une ânerie utopique.

Conquérir l’État de manière partielle ou totale, signifie, évidemment, l’extraire de l’élite économique, parce que la symbiose entre la classe politique et l’élite économique est organique. Le grand capital garantit sa reproduction économique à travers le pouvoir étatique et la classe politique se perpétue à travers le pouvoir du grand capital. De fait, la classe politique et l’élite économique forment, avec les élites militaires et culturelles, la classe dominante d’une nation.

Dans ce théâtre d’opérations de la lutte de classes, la consigne de "Que se vayan todos", pouvait seulement signifier que s’en aillent tous les politiciens pour être remplacés par les forces de la rébellion anti-néoliberale, en établissant, par conséquent, un bloc de pouvoir entre les majorités et les secteurs de l’État qui garantirait la transformation sociale réclamée par l’Argentinazo.

Ceci est justement ce qui n’est pas arrivé et la question est : Pourquoi les forces anti-néolibérales n’ont pas réussi à empêcher la reconstitution de la classe politique argentine corrompue qui avait causé la destruction du pays ?

Il existe, évidemment, plusieurs facteurs qui expliquent l’expérience triste de l’incapacité d’une nation cultivée, avec des ressources naturelles incomparables en Amérique latine, à changer une classe politique haïe et dédaignée par la majorité écrasante de la nation. Il faut parler de l’identité nationale argentine, de la maladie endémique du sectarisme politique et, évidemment, de l’annihilation physique de toute une génération de chefs sociaux, syndicaux, estudiantins et politiques, par la dictature militaire de 1976-1983.

La clé du naufrage est située, toutefois, dans l’absence d’un Projet Historique de la nation argentine. Sans ce projet, la lutte complexe entre l’État, les élites économiques et les majorités, ne peut pas être gagnée par les forces populaires. N’ayant pas porté la lutte sociale dans les arènes de la lutte politique, le domaine électoral argentin a été couvert par cinq candidats qui représentent, avec différentes nuances importantes, l’ancien régime qui a motivé le soulèvement.

"Le Turc" Carlos Saúl Menem, une espèce de Saddam Hussein de la pampa humide, celui qui a détruit la nation durant les années quatre-vingt-dix, est en tête des enquêtes d’opinion, avec sa promesse d’utiliser l’armée pour mettre terme aux protestations sociales des piqueteros et de réchauffer les relations charnelles avec George Bush ; Ricardo López Murphy, "le bulldog" de la City et de Washington, promet d’annexer l’Argentine à Washington à travers le Secteur de libre Commerce (ALCA), la destruction du Mercosur et l’approfondissement (sic) des réformes néo-libérales de Menem.

Adolfo Rodriguez Sáa propose le développement du capitalisme national à visage humain, tout comme son « coreligionnaire » péroniste, Néstor Kirchner et Elisa Carrió qui vient du centre politique argentin. La position des forces populaires devant cette offre électorale, est comparable à celle d’un patient pauvre avec un cancer qui dans un cabinet demande une thérapie pour être sauvé. Il arrive avec Menem et lui dit, "Docteur, il y a dix ans Vous m’avez prescrit de l’aspirine contre le cancer, mais elle ne m’a pas soigné. Aujourd’hui je suis pire qu’avant. Menem lui dit : "La thérapie est correcte, il faut seulement doubler la dose. Prenez-en deux."

Le patient très méfiant va vers Sáa, Kirchner et Carrio. Ils lui confirment, que Menem a raison et que, l’aspirine traite le cancer, mais que Menem s’est trompé dans la dose : il faut seulement prendre une demi - aspirine par jour. Finalement, il va voir Murphy. Celui-ci lui assure qu’il va mettre un terme au cancer et remplit sa promesse : il lui prescrit une bonne dose de poison.

Mais ce n’est pas seulement le "parti de l’aspirine" qui est le problème du peuple argentin devant le cancer néo-libéral, mais les nomenclatures syndicales. Devant le vide du pouvoir laissé par la classe politique et encore avec l’exemple du triomphe électoral d’Ignacio « Lula » da Silva au Brésil, les nomenclatures du syndicalisme péroniste et du syndicalisme indépendant, comme la Centrale de Travailleurs Argentins (CTA), n’ont pas construit une alternative politique et un Nouveau Projet Historique, pour faire face sur le terrain de la superstructure politique aux opérateurs du grand capital national et international.

Est c’est pourquoi, que tous ceux qui devraient être partis, ont postulé à nouveau pour des postes politiques, comme si les 19 et 20 décembre ne s’étaient jamais produits.

Beaucoup trop d’ignominie pour un peuple tellement combatif et héroïque.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

Rebelion, le 27 avril 2003.

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