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21 janvier 2011

Jorge Cedrón : « Histoire d’un Tigre blessé »

par Antonia García Castro *

 

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« Les Cedron sont comme les doigts de la main, ils vont toujours ensemble ». Parce que cette phrase des amis de l’enfance s’est révélée exacte, quand un des frères Cedron meurt c’est une main entière qui manque aux autres. Il y a une histoire qu’on ne peut pas raconter. Qu’on ne peut pas raconter comme il faut parce que certains épisodes sont inconnus. On ne peut pas non plus faire silence. Cette histoire a affecté plusieurs personnes et parmi elles, les membres du Cuarteto. Il s’agit de la mort de Jorge Cedrón survenue à Paris, le 1er juin 1980.

Un avertissement au lecteur s’impose. Bien que jusqu’à présent certains épisodes tragiques de l’histoire politique argentine aient été évoqués, les histoires, les petites histoires ou anecdotes retenues parlent surtout d’une victoire, la victoire de la vie, de l’envie de vivre, de la créativité, du génie même que d’aucuns déploient pour se remettre des plus terribles expériences. Cette histoire-ci, celle qui concerne la mort de Jorge Cedron, ne comprend que des défaites.

Avant d’en venir aux faits, il convient de souligner le contexte dans lequel ceux-ci se sont produits. Un coup d’État a eu lieu en Argentine le 24 mars 1976. Quatre ans plus tard, une importante communauté d’Argentins vit à Paris. Cette communauté est organisée, des associations sont créées, lesquelles dénoncent les agissements des militaires argentins. En même temps, Paris est un lieu de résidence plus ou moins temporaire pour des militants montoneros (issus du mouvement péroniste, opposés au gouvernement militaire et traqués tout particulièrement par la Marine argentine). De ce fait, Paris est rapidement identifié par le gouvernement argentin comme le « berceau de la subversion », ce qui donne lieu en 1977 à la création d’un « Centre Pilote ». D’abord abrité par l’ambassade argentine, en janvier 1978 le centre est sous l’égide directe de la Marine, branche de l’armée à laquelle incombe le domaine des affaires étrangères. Il aura pour mission officielle celle de combattre les activités de dénonciations pour violations aux droits de l’homme ; et pour mission officieuse, celle de surveiller et contrer les acteurs associatifs et politiques de l’opposition à la dictature argentine agissant à Paris [1]. Quoique l’idée d’une présence en France de militaires argentins à de telles fins puisse paraître pour le moins problématique, elle peut prendre sens dans le cadre de ce que l’on sait aujourd’hui des relations établies entre certains secteurs militaires français et argentins pendant la période. La journaliste française Marie-Monique Robin a réalisé une enquête sur le sujet (Escadrons de la mort. L’Ecole française, La Découverte, 2008), laquelle établit, entre autres éléments, l’existence d’un accord secret de coopération militaire entre la France et l’Argentine, en vertu duquel est établie à Buenos Aires une mission militaire entre 1960 et 1981 [2]. Ces éléments n’expliquent pas ce qui va suivre. Mais ils constituent l’arrière-fond de certaines hypothèses relatives à la mort de Jorge Cedrón.

Une partie des faits est connue. La presse française, comme la presse argentine, en ont parlé et il existe aujourd’hui plusieurs publications en espagnol qui abordent le sujet. La présentation qui va suivre prend appui sur l’une d’elles, laquelle comporte de nombreux témoignages des personnes les plus directement concernées. Il s’agit de l’ouvrage déjà cité de Fernando Martín Peña (El cine quema : Jorge Cedrón). À partir des récits contenus dans ce livre, il est possible de faire une chronique succincte des événements.

Le 24 mai 1980, le beau-père de Jorge Cedron, Saturnino Montero Ruiz, homme influent, ancien président du Banco Nación et Maire de Buenos Aires sous le gouvernement militaire d’Alejandro Lanusse (1971-1973), est enlevé à Paris alors qu’il rend visite à sa fille, Marta. Une rançon est demandée. Pendant quelques jours, comme l’exigent les ravisseurs (dont l’un se rend au domicile de Marta et de Jorge Cedron avant d’être chassé par ce dernier), la nouvelle n’est pas rendue publique. Marta se rend à Buenos Aires, où sa mère prenant connaissance de la situation décide d’informer les autorités argentines. L’ambassade argentine à Paris est prévenue, laquelle informe à son tour les autorités françaises. Le 31 mai, alors qu’elle revient de Buenos Aires, Marta Montero est interpellée à l’aéroport et convoquée pour une déclaration à la Préfecture de Police, Quai des Orfèvres. Jorge l’accompagne. À un moment donné, il quitte le bureau dans l’intention d’aller chercher des cigarettes restées dans la voiture. Lorsque Marta termine sa déclaration aux premières heures du 1er juin, on lui annonce qu’une tragédie vient de se produire : « votre mari a mis fin à ses jours ». La police française intervient alors pour tenter de localiser les ravisseurs de son père. Le 3 juin, Saturnino Montero Ruiz est libéré sans que la rançon ait été payée.

Ces faits, avec leurs questions persistantes, sont donc racontés dans le livre de Peña. Mais ici, il ne s’agit pas tant de faire une synthèse de ce que l’on sait, que de prendre la mesure de tout ce que l’on ne sait pas.

Bien que la version officielle diffusée à l’époque ait été celle du suicide, certains éléments la discréditent. Jorge se serait poignardé, le couteau – un laguiole qu’il avait l’habitude de porter sur lui et que la police n’a pas confisqué à son arrivée – était dans la main droite, Jorge était gaucher ; il avait plusieurs coups de couteau dans la région du cœur ; lorsqu’il a été possible de voir le corps, quelques minutes avant l’enterrement, un pansement couvrait une partie de la tête ; un policier aurait d’abord dit que Jorge avait été trouvé mourant puis qu’il était déjà mort ; de même, selon les premières déclarations officielles, la porte des toilettes où il a été retrouvé aurait été fermée de l’intérieur, on a ensuite dit qu’elle était ouverte.

Pour certains, le lien entre les deux faits (l’enlèvement de Montero Ruiz et la mort de Jorge Cedron) est une évidence : ceux qui ont enlevé Montero Ruiz seraient, d’une manière ou d’une autre, liés à la mort de Jorge Cedrón. En ce qui concerne les ravisseurs, il existe au moins trois versions : les ravisseurs seraient des militants montoneros ; les ravisseurs seraient des militaires argentins ; les ravisseurs seraient des militants montoneros et des militaires argentins. La dimension politique de l’enlèvement est donnée par l’identité supposée des ravisseurs. Montero Ruiz était par ailleurs un proche de Lanusse, militaire opposé aux généraux qui prennent le pouvoir en 1976. Néanmoins, le mobile serait moins lié aux positions politiques de Montero Ruiz qu’à sa puissance financière. L’argent ne serait pas un alibi mais la motivation principale des ravisseurs et ce dans les trois hypothèses considérées.

Dans le premier et le dernier cas, c’est-à-dire pour ceux qui croient à une participation des montoneros, on signale la possible intervention de Rodolfo Galimberti. Celui-ci avait rompu avec le mouvement un an auparavant. Dans une lettre qu’il signe avec Juan Gelman le 22 février 1979, tous deux en expliquaient les raisons. Galimberti est une figure extrêmement controversée [3] et avait à son actif un enlèvement célèbre survenu à Buenos Aires en 1974 (les séquestrés avaient alors été deux importants entrepreneurs argentins et la rançon, exorbitante, avait été payée). Galimberti, qui était à Paris au moment des faits, aurait été victime d’un attentat sur la voie publique le 31 mai 1980, ce qui aurait provoqué sa sortie immédiate du pays (l’attentat n’a jamais été avéré, en revanche Galimberti a effectivement quitté le pays immédiatement après la mort de Cedron).

Enfin, il existe aussi une rumeur, que les journaux argentins en particulier ont diffusée, selon laquelle Jorge Cedron, proche des montoneros, aurait lui-même pu être complice de l’enlèvement de son beau-père.

Aucune de ces versions n’a été corroborée à ce jour.

Le commissaire Leclerc, alors chargé de l’enquête sur l’enlèvement de Montero Ruiz, demande discrétion. Plusieurs récits s’accordent sur le fait qu’il y a eu volonté aussi bien de la part des autorités françaises que des autorités argentines de ne pas diffuser les faits. Bien que la presse française et argentine ait mentionné les deux épisodes, suite à la libération de Montero Ruiz l’affaire a rapidement disparu des chroniques journalistiques. Une instruction judiciaire a été ouverte (conclue par un non-lieu le 27 avril 1988) mais à ce jour la famille n’a jamais pu consulter les dossiers afférents à ces deux événements. Pourquoi un « simple » suicide donne-t-il lieu à tant de discrétion ? Mais, surtout, pourquoi un « simple » enlèvement sans résultat de mort, pour lequel la rançon n’a pas été payée, est traité comme un secret d’État et non comme une victoire de la police française ? Si ce que l’on voulait c’était éviter un scandale, qu’est-ce qui très exactement dans ces faits pouvait se révéler scandaleux ?

Dans un premier temps, Juan Cedron a voulu demander une contre-autopsie, condition sine qua non pour déterminer l’élément premier : suicide ou assassinat ? Les corps ne se taisent pas. Même morts, les corps disent ce qui leur est arrivé. Le rapport officiel disait « suicide », il n’y avait pas de raison de douter. Sauf que Jorge était gaucher et que le laguiole était dans la main droite. Compte tenu de ces données, du moment politique que l’on vivait alors en Argentine, compte tenu de la présence de militaires argentins en France (fait dont le milieu des exilés argentins a eu connaissance), il paraissait raisonnable de demander une contre-autopsie. En dépit des difficultés, Juan Cedron a entamé des démarches pour mettre un terme au doute et il a été rapidement menacé. Pendant quelques jours, il a bénéficié du soutien d’un important homme politique français qui a par la suite adhéré à la version officielle du suicide. Dans les archives du Cuarteto Cedrón, on trouve aussi une lettre rédigée par un Maire indigné par les faits : « Les circonstances troublantes du décès de votre frère ne peuvent que soulever l’indignation des démocrates de notre pays qui se demandent si la police française a été complice des agissements fascistes de la SIDE [4] argentine » [5]. Néanmoins, la question centrale, étant donné le peu que l’on sait aussi bien sur l’enlèvement de Montero Ruiz que sur la mort de Jorge Cedron, ce n’est pas seulement s’il y a eu des complicités françaises et à quel niveau, mais aussi qui sont les Argentins qui pourraient être impliqués.

Si l’on laisse momentanément de côté l’hypothèse du suicide pour aborder de face celle de l’homicide, un certain nombre de questions surgissent, notamment au sujet du lien entre les deux affaires. Comme cela a été dit, même si le mobile de l’enlèvement pouvait être crapuleux, les acteurs impliqués auraient été des acteurs politiques. Et si lien il y a eu entre les deux affaires, on peut postuler que l’assassinat présumé a revêtu, lui aussi, une dimension politique.

Or quiconque s’est intéressé de près aux assassinats politiques sait qu’on ne tue pas à l’aveuglette sauf quand on cherche à frapper durablement une population par l’ampleur du massacre. Fondamentalement, les assassinats politiques à caractère sélectif ont deux motifs ou deux logiques qui peuvent se superposer : on tue quelqu’un pour ce qu’il pourrait faire, ou pour ce qu’il sait, ou pour les deux à la fois. C’est pourquoi, dans le cas où l’on considérerait comme plausible la thèse de l’homicide, il conviendrait de demander : que savait Jorge Cedron ? Que pouvait-il faire ou dire ? Mais aussi : ce que Jorge Cedron pouvait savoir, faire ou dire, était-ce lié à l’enlèvement de son beau-père ?

Une autre question particulièrement épineuse renvoie au lieu des faits. La Préfecture de Police de Paris ne semble pas, à première vue, le lieu le plus indiqué ni pour un suicide, ni pour un assassinat politique. Sauf si, s’agissant d’un assassinat, les auteurs du crime avaient délibérément voulu impliquer la France et agiter le fantôme du « scandale » comme garantie de protection. Sauf si, autre hypothèse, ce crime n’avait pas été programmé. Dans l’ouvrage de Peña, Marta Montero évoque cette dernière possibilité dans les termes suivants :

« Ce que je peux dire sur Jorge c’est que, effectivement, il vivait d’une manière risquée (…), c’était un type qui conduit en état d’ébriété, qui est capable de se battre dans la rue en face de quatre malabars, et au lieu de courir et de se cacher, les affronte et finit blessé (…) Mais dire : ‘Oh là là, ce que je suis triste, je n’en peux plus, je m’en vais de ce monde…’ (…) Pour moi, il a été tué par un Argentin. Et cela n’a pas été planifié ».

Cette nuit, tandis que Marta Montero faisait sa déclaration, Jorge s’est absenté dans l’intention d’aller chercher des cigarettes, avant ou après il est allé aux toilettes (il n’était pas en garde à vue, il a pu s’y rendre seul). On pourrait imaginer (c’est une extrapolation) qu’il a alors rencontré et/ou identifié (voire reconnu) une ou plusieurs personnes. La présence durant ces jours de citoyens argentins, en particulier de membres de l’ambassade argentine, dans l’enceinte de la Préfecture est un fait dont il y a des témoins oculaires. Dans ce cas (c’est encore une extrapolation), il pourrait se faire qu’il y ait eu une altercation. Cette hypothèse de l’altercation, comme circonstance ponctuelle qui déclenche le drame, ne contredit pas l’existence d’un hypothétique mobile politique. Les liens familiaux entre Jorge Cedron et Montero Ruiz étaient de notoriété publique. Jorge était, par ailleurs, un cinéaste connu pour ses positions politiques et pour sa relation avec montoneros . Jorge savait peut-être des choses susceptibles de nuire à des tiers. Jorge avait, c’est sûr, un laguiole. Jorge était celui qui « au lieu de courir et de se cacher, les affronte et finit blessé ». Jorge avait plusieurs blessures. Il avait un pansement à la tête.

Comme cela a été dit, il ne s’agit que d’hypothèses. Toutes les questions restent ouvertes. Au jour d’aujourd’hui, le seul fait avéré est que Jorge Cedron est mort à la Préfecture de Police de Paris.

***

Le 1er juin 1980, les six frères Cedrón n’ont plus été que cinq. Ce jour-là c’est l’ensemble du Cuarteto Cedrón qui a perdu un partenaire et un être cher. Ainsi cette histoire, qui est une infamie dans toutes ses versions, n’a pas de poème qui puisse la contenir, même pas les vers que Tuñón a dédiés aux frères Genna. En revanche, ceux écrits par Juan Gelman, ami du Tigre Cedron, peuvent encore faire écho :

Qu’est-ce qu’il attend pour parler ?

Peut-être que la coupe n’est pas pleine ?

Les coupes, à la longue, finissent-elles par fuir ?

Et un homme a gardé le silence.

Buenos Aires, 2010

© Antonia García Castro


* Ce texte est un chapitre du livre Cuarteto Cedrón. Tango y quimera, d’Antonia García Castro, publié en 2010 en espagnol chez Ediciones CORREGIDOR (ISBN 978-950-05-1900-7). Sa lecture nous laisse abasourdis face à la Raison d’État. Par devoir de mémoire et pour que tous ceux qui ont apprécié Jorge Cedron puissent dormir enfin en paix, nous demandons à la République Française de déclasser les « cartons » qui correspondent à ce « dossier ».

Carlos Debiasi
Assistant de Direction de « Gotán« de Jorge Cedron (1979)
Président de l’Association El Correo de la Diáspora Argentine.

***

Les films de Jorge Cedrón :

 « La vereda de enfrente »
( Le trottoir d’en face)
(Argentine, 1963)
Avec Billy Cedrón, Raúl Gutiérrez, Violeta Cabas.
Durée : 15 min.
Un garçon accompagne un autre pour s’initier avec une prostituée de l’Île Maciel. « Si tu es dans la rue ils t’amènent, si tu es dans un hôtel ils t’amènent, si tu as un homme ils t’amènent... Je ne sais pas quelle sorte de putes ils veulent », réfléchit la fille. L’argumentaire simple du film est une excuse pour réaliser un essai descriptif sur cet « autre monde » qui est si près de Buenos Aires à l’apparence si européenne. Formellement le court-métrage est au bord du dilettantisme, mais ce qu’il dit et montre a une rare valeur, une espèce de virginité grossière et provocante, un avant-goût sans détour de la crudité qui a caractérisé le reste de l’œuvre de Cedron.

 « El otro oficio »
(« L’autre métier »)
(Argentine, 1967)
Avec Héctor Alterio, le Morceau Espíndola, Billy Cedrón.
Copie en Betacam.
Durée : 30 min.
Le film raconte une histoire banale de claudication quotidienne entre un groupe d’ouvriers qui cherchent un emploi. Cedron ne se limite pas à l’exposition simple du problème, mais il cherche en plus à enregistrer ses causes et à les comprendre. Il le fait d’ une manière stylisée, par des moments presque expressionniste, en jouant avec les temps du récit, l’usage de la voix off et des angles inhabituels de caméra. D’un pas, comme dans toute sa filmographie, il pose son regard sur les zones de la réalité que personne n’avait encore observée.

 « El habilitado »
(Argentine, 1970)
Avec Héctor Alterio, Carlos Antoine, Billy Cedrón, Gladys Cicagno, Marta Gam, José Marie Gutiérrez, Anne Marie Picchio, Héctor Tealdi, Walter Vidarte.
Durée : 78 min.
Cinq employés submergés dans le sous-sol d’un grand magasin de Mar del Plata se lient d’une manière grotesque entre eux, en essayant chacun de se sentir meilleur que l’autre grâce à des avantages misérables. Le réalisateur n’a pas voulu faire un film réaliste ni autobiographique, bien que la plupart du film soit basé sur des expériences vécues par Cedron lui-même comme employé du magasin Los Gallegos. Son objectif a été d’obtenir en revanche une œuvre de poésie crue, basée sur le contraste entre des certains segments délibérément grotesques et d’autres d’ascétisme absolu. Après sa première, ce film n’a jamais plus été publiquement projeté en Argentine. Il sera projeté dans une nouvelle copie en 35 mm, grâce à la collaboration de l’Institut National de Cinéma et d’Arts Audiovisuels.

« Por los senderos del Libertador »
(Par les sentiers du Libérateur)
(Argentine, 1971)
Locution : Héctor Alterio, Fernando Iglesias « Tacholas », Gianni Lunadei, Luis Barrón.
Durée : 60 min.
Par ses abondantes idées formelles et l’audace de sa proposition (suivre la trajectoire européenne de San Martin), plusieurs considèrent que ce documentaire atypique est le meilleur film de Jorge Cedrón. Il s’agit d’un contre version formelle et idéologique du « Saint de l’épée » (Torre Nilsson, 1970). D’un côté, parce qu’il décrit le bel homme dans des termes résolument révisionnistes ; par l’autre, parce que les scènes de bataille ont été dessinées par Alberto Cedron en prenant comme point de départ quelques images fixes du film de Nilsson, sans que celui-ci ne le sût. Mais le réalisateur ne s’est pas limité à troubler artistiquement le plan original de ce film de commande : il a aussi utilisé l’argent qu’on lui a payé pour produire clandestinement « Opération Massacre ».

  « Operación Masacre »
(Opération Massacre)
(Argentine, 1972)
Avec Julio Troxler, Walter Vidarte, Carlos Carella, Hugo Álvarez, José Marie Gutiérrez, Víctor Laplace, Norme Aleandro, Zulema Katz, Anne Marie Picchio.
Durée : 100 min.
Cette reconstruction des exécutions dans la ville de José León Suárez, où le survivant Julio Troxler joue lui même, est l’un des films politiques-militants les plus importants de l’histoire du cinéma argentin. C’était aussi le premier long métrage non documentaire conçu, réalisé et projeté dans la clandestinité pendant la dernière étape de la dictature de Lanusse. Cedron a écrit l’adaptation en collaboration avec Rodolfo Walsh, auteur du livre qui a dénoncé les exécutions. Le réalisateur a réussi à sauver les négatifs de la destruction à les emporter en exil, mais dès 1983 le film ne pouvait être vu en Argentine dans de bonnes conditions. Il sera projeté avec une nouvelle copie de 35 mm, grâce à la collaboration de l’Institut National de Cinéma et d’Arts Audiovisuels.

 « Resistir »
(Résister)
(France, 1978), de Julián Calinki (psd. de Jorge Cedrón).
Avec Mario Firmenich.
Durée : 70 min.
C’est un film schizophrène. Le point de départ est un entretien de Mario Firmenich en exil, filmé de la manière la plus conventionnelle qui peut s’imaginer. Mais d’un autre côté c’est l’histoire politique argentine du XXe siècle, illustrée avec le matériel abondant et surprenant d’archives et la perspective, plus tendre et sensible, d’un militant anonyme imaginé par Cedron et Juan Gelman, avec la voix de celui-ci. Ce personnage, qui se maintient toujours off, fait son entrée dans le film quand approche le moment de raconter les bombardements sur la Place de Mai de 1955 et surprend le spectateur pas seulement parce qu’il contraste avec la distance analytique du leader montonero, mais parce qu’il assume la première personne à assurer : « J’ai été là ». Avec ce recours simple Cedron donne au film et à sa perspective politique une nécessaire dimension humaine.
Direction : Julián Calinki (psd. de Jorge Cedrón).
Scenario : Juan Gelman.
Musique : Juan « Tata » Cedrón.
Montage : Rodolfo Wedeless, Carlo Schellino.
Production : Jorge Cedrón. 16 mms une couleur et byn.
Contient des images d ’ « Opération Massacre ».

 « Gotán »
(La France, 1979) (Francia, 1979)
Avec le Cuarteto Cedrón (Carlos Carlsen, Tata Cedrón, Miguel Praino, César Stroscio), Paco Ibáñez, Pablo Cedrón.
Durée : 52 min.
Pour Jorge Cedron ce film a été un acte d’affirmation nostalgique et artistique. Sa réalisation ne s’expliquait pas mais il assurait : « Il était nécessaire de le faire ». Le résultat, jamais vu publiquement en Argentine, est d’une liberté joyeuse créatrice, d’un collagemusical dans lequel l’histoire du tango et de ses racines sont imbriquées à l’histoire politique argentine. Une ruelle de Buenos Aires reconstruite dans le théâtre d’Ariane Mnouchkine, une personne âgée européenne qui sait jouer des mélodies pour lesquelles le bandoneon a été dessiné mais qui ne connaît pas le tango, une réunion d’amis dans l’atelier d’Antonio Seguí, la musique du Cuarteto Cedrón, des petits chevaux en bois et un indien disloqué sont certains des nombreux éléments que le réalisateur a combinés dans cette œuvre singulière et très personnelle.


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Notes

[1Sur le sujet de l’exportation du conflit argentin en France et les autres missions du Centre Pilote, voir Marina Franco, El Exilio. Argentinos en Francia durante la dictadura, Buenos Aires, Siglo XXI, 2008 (en particulier le chapitre « París : la cuna de la subversión »).

[2Suite à cette enquête, les députés Verts Noël Mamère, Martine Billard et Yves Cochet ont déposé, le 10 septembre 2003, devant la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, une demande de constitution d’une Commission parlementaire pour enquêter sur le « rôle de la France dans le soutien aux régimes militaires en Amérique latine de 1973 à 1984 ». Le député UMP Roland Blum, en charge de la Commission, a publié en décembre 2003 un rapport soutenant qu’aucun accord entre la France et l’Argentine n’avait été signé.

[3Il existe une enquête sur l’itinéraire de cet homme (Marcelo Larraquy et Roberto Caballero, Galimberti. De Perón a Susana. De Montoneros a la CIA, Buenos Aires, Norma, 2002).

[4Appareil de renseignement de l’État argentin.

[5Lettre datée du 11 juillet 1980.

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