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14 août 2012

« Ils n’ont rien appris de l’Argentine en Europe »
Joseph Stiglitz et Cristina Kirchner

par Javier Lewkowicz

 

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Invités par la Faculté de Sciences Économiques [de Buenos Aires], Joseph Stiglitz et la présidente Cristina Fernandez de Kirchner ont mis en cause la voie économique choisie par l’Europe pour sortir de la crise. Le Nobel a salué la politique argentine de croissance et l’a prise comme contre-exemple de l’européenne.

« Les pays de l’Europe n’ont pas appris de l’Argentine. Et le résultat a été que, pour faire face à la crise, ils ont appliqué tout un ensemble de politiques qui ont rapidement empiré les choses », a affirmé hier le Prix Nobel d’Économie Joseph Stiglitz, face à un parterre nourri de fonctionnaires, de militants et à la Présidente, Cristina Fernández de Kirchner, elle-même avec qui il a partagé une dissertation dans le Musée du Bicentenaire de la Casa Rosada sur la crise de la dette. L’économiste a salué la direction de la politique que le Gouvernement a adoptée dès 2003 et a critiqué la posture néolibérale, qui explique la crise de la dette en Europe à partir d’une dépense publique excessive, et qui propose de sauver les banques et de réduire la demande agrégée. « Néstor Kirchner savait cela, quand devant les Nations Unies il a soutenu que les morts ne paient pas les dettes. Il fallait grandir pour payer », a dit CFK en dialoguant avec le prix Nobel.

Stiglitz est professeur à l’Université de Columbia et fait partie du courant des nouveaux keynésiens. Du point de vue théorique, il se distingue des postures les plus orthodoxes parce qu’il souligne les problèmes dérivés des imperfections du marché et met l’accent sur la nécessité d’une régulation étatique. Depuis l’explosion de la crise des hypothèques subprimes et la fragilité croissante en Europe, Stiglitz a pris de la relevance en critiquant la sortie de crise que le néolibéralisme propose et s’est converti, avec un autre Prix Nobel, Paul Krugman, en un des piliers de l’option hétérodoxe dans le contexte actuel. Les deux saluent la dynamique de l’économie argentine dès 2002, qui est sortie de la crise avec des politiques expansives et a réussi à déplacer vers les créanciers, une partie de la perte qu’avait généré la convertibilité, à travers de la refonte de la dette.

« Depuis les années 80 il y a eu plus de cent crise de dette dans le monde. Nous pensions que les marchés fonctionnaient, mais la vérité est que les idées du Consensus de Washington étaient erronées. Ces recettes ont dérivé en sérieuses crises de dette, avec des conséquences brutales dans les sociétés. Dans ce type de crise on tend à critiquer celui qui emprunte. Mais tous les prêts ont deux parties. Le créancier a autant de responsabilité que celui qui emprunte. Peut-être le créancier est même plus responsable », a analysé l’économiste, idée ensuite reprise par CFK, après avoir affirmé que « le créancier est celui qui a l’expertise à propos de ceux qui peuvent lui rendre l’argent ».

« Après la crise argentine, on a beaucoup parlé de la création d’un schéma de désendettement, d’un code de faillite internationale. D’une manière similaire à la Loi de Faillites pour le secteur privé, un mécanisme de refonte des dettes souveraines. George Bush – ex-président des États-Unis – a mis son veto à cette idée. Maintenant la faillite est sur la sellette encore une fois, non pas dans les économies émergentes, mais en Europe », a dit Stiglitz

Le Nobel a comparé certains problèmes que traversent les plus faibles économies d’Europe avec la situation argentine en 2001/02. Il a mentionné parmi les similitudes, le niveau élevé d’endettement par rapport au Produit et l’existence d’une parité de change fixe. « Les pays d’Europe ne sont pas dans une zone monétaire parfaite. Ce sont des économies très différentes qui essaient de partager une monnaie. Avec l’union monétaire, ils ont abandonnés le mécanisme du taux de change et du taux d’intérêt et ne l’ont pas remplacé », a-t-il indiqué. L’économiste a affirmé que les problèmes de dette publique dans les pays de la périphérie de l’Europe n’ont pas été causés par un surendettement étatique. Ce qui est arrivé, en revanche, fut que, face à la crise, les gouvernements ont pris en charge les dettes du secteur privé, spécialement des banques. « Ces mêmes dirigeants qui ont accusé le gouvernement, ont été ceux qui ont insisté pour que l’État se charge du problème des privés », a t-il complété.

« Aux États-Unis et en Europe nous ne suivons pas les règles capitalistes, parce que nous avons eu des sauvetages massifs au système financier. Les banques ont terrorisé les gouvernants, en disant que sans sauvetages le capitalisme prendrait fin. Mais cela aurait été bon, parce qu’aurait pris fin cette forme de mauvais capitalisme », a critiqué l’étasunien. Dans la même ligne, CFK a analysé ensuite que « ce qui est fait maintenant, restreindre la consommation et que les gens n’ont rien pour s’acheter un réfrigérateur, une voiture ou une maison, ce n’est pas du capitalisme. Il y a une distorsion, on est passé de concevoir dans l’objectif de la production pour le remplacer par le capitalisme de banquiers ».

Stiglitz a rsouligné que le problème de la dette est le symptôme de distorsions plus profondes. « En grand partie, la crise est causée par une structure économique avec des failles fondamentales. Le format actuel, le dessin de l’Eurozone, ne fonctionne pas », a-til analysé. Après avoir abordé la réponse face à la crise, la similitude avec l’Argentine devient un contre-exemple. « Ils n’ont pas appris de l’Argentine. Et le résultat est qu’ils ont appliqué un ensemble de politiques qui ont rapidement empiré les choses. Quand a commencé la crise, la Grèce avait un niveau d’endettement de 110 % du PIB et ensuite est passé à 250 %. Ils ont baissé le Produit, en tuant l’économie et ont augmenté la dette à cause des intérêts élevés », a-t-il souligné.

« Trop de pays ont répondu à la crise avec des politiques d’austérité. La logique qu’ils utilisent est que la dette est le résultat de dépenser trop. C’est pourquoi, la solution est de dépenser moins. Cependant, par exemple, l’Espagne était dans une position d’excédent avant la crise. La débâcle a été celle qui a causé le déficit et pas l’inverse. L’Europe se trompe sur le sujet de l’austérité. Ils génèrent un problème de manque de demande ajoutée. Si le gouvernement réduit les dépenses, la demande baisse et le chômage monte. Parce que la production chute, les revenus chutent aujssi. L’austérité ralentie l’économie. Les bénéfices de l’ajustement fiscal sont toujours une désillusion. Il n’existe pas d’économie qui a été relancée par l’austérité », a indiqué Stiglitz.

Le Prix Nobel a expliqué que « l’Argentine a modifié le taux de change et a restructuré la dette pour sortir de la crise. Si elle avait pris seulement une de ces mesures, elle ne l’aurait pas résolu. Pour l’Europe c’est la même leçon »Et il a conclu avec un autre éloge : « L’Argentine a montré que cela ne fut pasfacile, mais qu’il est possible de répondre à la crise. Que si ce processus est bien géré, l’économie a les possibilités de continuer à avancer ».

 Voir et écouter l’exposé du Prix Nobel Joseph Stiglitz : « L’Argentine a démontré qu’il est possible de répondre à la crise »
Traduction simultané de l’anglais à l’espagnol.

Página 12. Buenos Aires, 14 août 2012.

***
LA PRÉSIDENTE MET EN CAUSE L’ORDRE FINANCIER INTERNATIONAL
« C’est un capitalisme de casino »

Cristina Fernández de Kirchner a affirmé que l’Argentine se maintiendra en marge des marchés de capitaux dans les conditions actuelles. Et elle a remis en question les puissances qui dominent le G-20 et salué l’élargissement du Mercosur avec l’intégration du Venezuela.

Par Javier Lewkowicz

« Le grand problème de la crise économique mondiale est le manque de leadership politique. Si les décisions ne sont pas prises par les hommes et femmes qui sont assis dans les fauteuils de présidents, ce sont les marchés et les directeurs des banques qui le font. Quelqu’un décide toujours », a déclaré la présidente Cristina Fernández de Kirchner pour abonder l’analyse économique du Prix Nobel Joseph Stiglitz. Ce fut lors de l’ouverture du congrès international sur les crises de dette, organisé par la faculté de Sciences Économiques de l’UBA. CFK a affirmé que l’Argentine se maintiendra en marge des marchés de capitaux dans les conditions actuelle, des taux d’intérêt élevés pour l’économie nationale, et qu’elle émettrait de la dette seulement pour financer « des projets d’infrastructure ». « Je crois que ce capitalisme n’est pas le vrai capitalisme, c’est le capitalisme de casino. C’est presque un suicide collectif. En réalité, ceux qui devraient plus s’inquiéter pour soutenir l’activité économique ce sont les banques », elle a remarqué.

Cristina Fernández a repris quelques passages de la présentation que Stiglitz avait préalablement faite. Ce lien s’est fait de façon naturelle, alors que l’économiste salue la direction économique adoptée dès 2003 et en revanche critique la posture néolibérale, qui se reflète dans la crise européenne. « Joseph Stiglitz ne parle pas de ces choses maintenant qu’est arrivée la crise. Il le fait depuis longtemps. Il n’a pas attendu que se termine le match pour opiner sur le résultat déjà connu », dit elle en le saluant.

L’un des sujets qu’a abordé le Prix Nobel et qu’ensuite CFK a repris et a développé, était la sortie la crise financière qu’ont trouvée les États-Unis au début des années 80. Grâce à un processus de « comptabilité créatrice », ils ont empêché que les banques créancières des pays d’Amérique Latine fassent faillite. Ensuite le FMI a coordonné une action conjointe et a empêché que les pays débiteurs se protègent, ce qui en Argentine a frustré à la gestion de Bernardo Grinspun au gouvernement d’Alfonsin. « Les États-Unis ont été bien intelligents pour résoudre leur propre problème bancaire : ils l’ont transféré en Amérique latine et ainsi ont créé la décennie perdue ». La Présidente a rappelé que l’étouffement fiscal postérieur des années 80 a été généré parce qu’en 1982 la dictature militaire, avec Domingo Cavallo à la présidence de la Banque Centrale, avait étatisé la dette privée. « C’est pour qu’écoutent les durs d’oreille. C’est un Prix Nobel qui le dit », a insisté Cristina Kirchner.

Un autre passage de Stiglitz que CFK a souligné fut la « tactique de la peur » que l’étasunien a attribuée au secteur financier. « Comme il leur plaît de s’endetter, ces gens nous les nommons le club de l’endettement. Mais nous n’allons pas nous endetter, nous le ferons seulement dans la mesure où les taux sont convenables et pour des projets d’infrastructure. C’est seulement par folie ou simple intérêt spéculatif qu’on peut affirmer que la dette argentine est plus périlleuse que l’espagnole. Il faudrait aborder avec une plus grande profondeur le sujet des notations de risque », a-t-elle indiqué pour mettre en cause la prime d’assurance élevée avec laquelle les marchés punissent l’Argentine, ce qui augmente le prix du coût du crédit au-dessus de celui que paient des économies en situation macroéconomique très fragile.

« Ce problème nous l’avons depuis la politique. Il n’y a pas de cadre théorique au post néolibéralisme. Je le vois depuis l’intérieur du G-20 et je peux donner foi de cela. Aujourd’hui nous faisons partie du G-20, bien qu’en réalité il pourrait s’appeler le G-2 » a dit la présidente, par rapport au pouvoir de décision des États-Unis et de la Chine dans cette enceinte.

Pour affronter la crise internationale, Cristina Fernández a affirmé que « dans la région nous devons faire une mêlée très forte, de tous les pays de l’Amérique du Sud, et agir intelligemment. Il faut approfondir l’intégration ». Dans ce sens, elle a salué l’élargissement du Mercosur avec l’intégration du Venezuela. De plus, elle a analysé que l’impact négatif sur l’économie nationale, que génère la crise européenne, se trouve renforcé par la décélération de la croissance du Brésil. « Les problèmes sont à double détente : si au Brésil lui va mal, nous commençons à aller mal, et si nous allons mal, au Brésil cela va encore pire », a-t-elle signalé.

 Voir et écouter le discours de Cristina Kirchner : « Si les présidents ne prennent pas les décisions, les marchés les prennent »

Página 12. Buenos Aires, le 14 août 2012.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo. Paris, le 14 août 2012.

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