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13 août 2019

Elections argentines, les affections et la classe populaire

par Nora Merlín

 

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Une formule d’unité, une découverte transformée en expérience collective d’articulation plus l’enthousiasme et la conviction militante, furent des facteurs décisifs pour le triomphe dans la confrontation électoral du dimanche 11 août.

Le résultat des élections nationales réalisées le 27 octobre 2015 (37,08 % pour le Frente por la Victoria et 34,15 % pour Cambiemos), avaient produit un choc, avec un effet traumatisant chez les votants du Frente. Les classes populaires n’attendaient pas ces résultats qui traduisaient un échec : ayant la conviction de ce qu’il gagnerait au premier ou, tout au plus, au deuxième tour, sans faire campagne parce que cette élection « était gagnée », comme beaucoup de militants affirmaient à l’époque. Le secteur populaire a sa propre colonisation. Les résultats obtenus ont fonctionné comme un principe de réalité qui a réveillé et sorti de la léthargie non seulement les militants du Frente, mais aussi les mouvements sociaux et d’autres secteurs importants qui ont commencé s’organiser de manière autonome.

Depuis le 28 octobre 2015, un jour après les élections, en voyant tomber la nuit néolibérale, est sortie activement dans la rue une partie importante du front social avec l’intention de gagner l’élection. Le mois qui restait jusqu’à l’élection définitive fut insuffisant pour inverser le résultat, donnant gagnant le binôme composé de Mauricio Macri et de Gabriela Michetti.

Le nouveau gouvernement néolibéral en peu de temps a rasé la démocratie, a désorganisé la vie de la société civile, tandis qu’un corps populaire affecté n’a pas arrêté de militer.

Après l’échec de 2015 il y avait différentes possibilités d’émergence et de développement d’affections : la tristesse impuissante et lâche, la dépression sceptique ou la mélancolie dévitalisante et conservatrice. Rien de cela n’est arrivé. Il fallait s’autonomiser [1] et se convertir tout un chacun en dirigeant, a dit Cristina le 9 décembre, sur une place pleine à craquer, arrosée par les pleurs des humbles. Le fait de perdre a produit une angoisse sociale qui s’est transmise comme un deuil qui a engendré un désir de résistance.

Le mot suggéré par Cristina résonnait comme un écho : « autonomiser », il n’y en avait pas d’autre. Et ainsi a commencé la résistance qui s’est traduite par la construction d’une politique d’opposition et d’organisation pour « revenir meilleurs », moins sots. Que signifie moins sots ? Le secteur populaire a compris que, pour triompher, il est nécessaire de construire une hégémonie, un pouvoir populaire, en laissant de côté la morale superficielle et mesquine, les égoïsmes, rivalités et surtout la haine impolitique. Faire une politique implique d’articuler des raisons, des passions et des affections, pour construire une intelligence populaire, qui semble beaucoup plus puissante que l’intelligence artificielle du marketing et de la technologie.

Les formes les plus créatrices de participation se sont multipliées ces dernières années : murgas , centres culturels, cantines sociales, radios et différents modes de communication alternative, sont devenues des urgences. Il était nécessaire de sauter le cercle médiatique, d’informer, de convaincre, de protéger ceux qui resteraient sans rien, de soigner les collègues les plus exposés et de consacrer du temps à l’éducation politique. Les temps du changement néolibéral ont précipité l’apprentissage de l’analyse du discours, le déchiffrement des opérations et le « journalisme de guerre ». Il y a eu une décision partagée de livrer une bataille inégale au pouvoir réel des multinationales, en disposant seulement des corps, des nœuds sociaux, de l’intelligence collective et de la puissance surgie du désir commun de revenir. Une promesse qui était chantée presque comme une prière, dans ce qui s’est rapidement formé comme les places du peuple : un rituel du week-end qui consistait à être ensemble, chanter, sentir les présences, s’exprimer collectivement et prendre l’engagement politique de revenir.

Pendant ces presque quatre ans d’orphelinat, sans État protecteur mais, au contraire, en utilisant presque tout l’appareil médiatico-judiciaire pour tromper les gens et pour poursuivre les dirigeants sociaux spécialement Cristina, leader du peuple, le secteur populaire a mûri, a assumé sa majorité, il s’est politisé, arrivant aux élections nationales avec un degré de participation et d’organisation rarement vu – comme par exemple, dimanche dernier pour les élections surprenant les assesseurs qui contrôlaient dans tout le pays.

L’enthousiasme et la conviction militante ont été les facteurs décisifs dans la confrontation électorale. Une formule d’unité, une découverte transformée en expérience collective d’articulation, de construction hégémonique orientée par le national-populaire et un legs symbolique de lutte et de participation permettent d’affirmer que la politique est capable de triompher sur le marketing. Le pouvoir néolibéral n’a aucune possibilité de construire une culture politique et un peuple qui radicalise la démocratie.

Nora Merlin* pour La Tecl@ Eñe

La Tecl@ Eñe. Buenos Aires, le 12 août 2019

*Nora Merlin. Psychanalyste. Magister en Science politique. Auteur du « Populismo y psicoanálisis », « Colonización de la subjetividad » et « Mentir y colonizar. Obediencia inconsciente y subjetividad neoliberal »

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo de la Diaspora, Paris, le 13 août 2019

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Notes

[1Autonomisation, vient de l’anglais « empowerment », et c’est l’octroi de davantage de pouvoir aux individus ou aux groupes pour agir sur les conditions sociales, économiques, politiques ou écologiques auxquelles ils sont confrontés.

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