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20 juillet 2008

Échange Humanitaire à l’Uribe
Quand un train peut cacher un autre en Colombie.

 

Par Santiago O’Donnell
Página 12
. Buenos Aires, le 19 juillet 2008.

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Ces jours derniers a eu lieu en Colombie une espèce d’échange d’otages séquestrés.
Cela n’a pas été un échange humanitaire, mais plutôt tout le contraire. Le 11 juillet derniers, neuf jours après la libération d’Ingrid Betancourt et de ses quatorze compagnons, un groupe armé non identifié a fait irruption dans les logements des dirigeants paysans Manuel Garcés, Rusbell Gómez, Edilmo Papamija, Islenio Muñoz, Guido Muñoz et Evelio Rodríguez dans la municipalité de Patia, au sud du Cauca. Deux d’entre eux sont directeurs de l’Assemblée d’Action Commune du quartier « L’accord » et les quatre autres sont membres de l’Assemblée d’Action Commune du quartier « La Ceiba ». Les assaillants ont accusé les paysans « de suspects de collaboration avec la « subversion »et ils les ont enlevés.

« Nous réclamons qu’ils respectent la vie, étant donné que les séquestrés sont des gens honnêtes, travailleurs, la majorité sont pères de famille, ils sont nés et ont vécu toute leur vie dans ce quartier et ils ne sont impliqués dans rien d’autres que le développement d’activités agricoles et au service de la communauté », ont dénoncé dans un communiqué les Assemblées d’Action Commune de la municipalité, avec copie à la Croix-Rouge, l’OEA et à l’office de Défense du Peuple [Equivalent de le médiateur de la République]. Le communiqué ajoute que le même groupe armé avait séquestré, il y a quelques semaines, quatre paysans de la municipalité voisine d’Argelia. Les victimes restent à la merci des tueurs.

Curieux. Le président colombien Alvaro Uribe revendique comme l’une des plus grandes réussites de son gouvernement le fait d’avoir démantelé à l’appareil paramilitaire qui a surgi à la fin des années 80, d’abord pour combattre les cartels narco, et après pour disputer des routes et des plantations aux guerillas. Pendant toute leur existence ces forces irrégulières protégées par l’État ont aussi fonctionné comme des machines d’anéantissement des leaders syndicaux et communautaires qui osaient s’opposer à son schéma de contrôle territorial. Ce -qui selon Uribe- n’existe plus, ressemble trop à ce qui vient de se passer cette semaine à Patia, et n’est qu’un échantillon de ce qui s’est passé dernièrement en Colombie.

Encore une preuve : mardi dernier a été retrouvé dans le cimetière d’Ibagué le cadavre du dirigeant syndical de l’Inspection des Finances du District, Guillermo Rivera, enlevé le 22 avril à Bogotá.

Comme c’est bizarre. Le président dit que le paramilitarisme n’existe plus, que ce qui existe maintenant est un réseau de bandes criminelles consacrées au trafic de stupéfiants, avec un haut degré de militarisation, similaire à ce qui arrive au Brésil et au Mexique, et des non des formations consacrées au terrorisme d’État. Cependant, les paramilitaires d’avant se consacraient aussi au trafic de stupéfiants, en plus des enlèvements et de l’assassinat politique. Et ceux de maintenant font plus ou moins la même chose.

Certes, au milieu Uribe a claironné le soi-disant processus de démobilisation des paramilitaires. Entre 2003 et 2008, plus de 31.000 membres et supposés membres de ces formations ont remis leurs armes et se sont soumis à la justice. Ils l’ont fait sous la protection de la soi-disant « Loi de Justice et de Paix », qui est une espèce de blanchiment. En échange d’une confession, la loi limite la peine de prison à huit ans et fournit divers avantages sociaux et financiers pour faciliter la réinsertion sociale du supposé repentant [Lire : L’auteur colombien Antonio Caballero parcourt la carte de la violence de son pays. ].

Cela ne fut pas un processus très transparent. Quelques formations ont gardé leurs meilleurs flingues pour remettre en échange des vieux mousquetons de la Deuxième Guerre mondiale. D’autres ont gardé leurs meilleurs cadres et ont envoyés à leur place des « faux nez » en échange d’une allocation. Les confessions n’ont pas non plus donné grand-chose, à quelques exceptions, suffisantes pour emprisonner une vingtaine de parlementaires alliés à Uribe.

Mais juste quand les démobilisés commençaient à se délier la langue, Uribe a emballé dans un paquet les 15 chefs les plus influents et les a extradés vers les États-Unis. Et en prime, il a égaré ou il a fait égarer les disques durs des ordinateurs des « extradés ». Quand les autorités judiciaires qui les jugeaient l’ont appris, les chefs para atterrissaient déjà aux États-Unis.

La nouvelle génération de paramilitaires n’a pas tardé à remplir le vide. Selon un expert consulté pour ce journal, les nouvelles formations, actives dans les régions de Cauca et de Nariño, se divisent en trois groupes.

D’abord, de nouveaux groupes dans de nouveaux territoires avec des méthodologies similaires à celles des vieux paramilitaires.
Deuxièmement, de nouveaux groupes avec des méthodologies similaires qui viennent occuper le même territoire que contrôlait avant un groupe paramilitaire.
Troisièmement, de nouveaux groupes recrutés par des dirigeants moyens non démobilisés de vieux groupes paramilitaires.

Devant ce panorama que personne ne discute, parce que c’est là que l’on trouve les noms et les adresses des victimes pour le prouver, le gouvernement colombien insiste pour stigmatiser les nouveaux paramilitaires comme des « bandes de délinquants », ignorant leurs crimes politiques ainsi que leurs liens politiques, presque comme s’ils enlevaient des paysans et syndicalistes par jeu.

L’histoire officielle d’Uribe dispose de l’inestimable appui de la Mission de l’Appui au Processus de Paix en Colombie de l’Organisation des États Américains [Misión de Apoyo al Proceso de Paz en Colombia de la Organización de los Estados Americanos], nommée MAPP-OEA, qui dépend directement du secrétariat général de José Miguel Insulza.

Malgré les évidences du recyclage, Insulza a avalisé, et pas en demi teintes, la thèse d’Uribe sur la fin du paramilitarisme dans le dernier rapport du MAPP-OEA, publié en juin. « Les factions armées qui ont surgi après la démobilisation des auto-défenses (paramilitaires) acquièrent un profil de délinquants qui se trouve lié au trafic de stupéfiants. Aucune preuve existe, jusqu’à aujourd’hui, d’actions antiguerrilla qui soient liées à ces structures avec le concept et la méthode paramilitaire", a-t-il déclaré dans un communiqué.

Cependant, dans le même communiqué le secrétaire général de l’OEA a reconnu qu’il était préoccupé par « la persistance de groupes de nature délinquante ... spécialement de l’effet qu’ils génèrent sur les communautés ». Mais comment ? N’étaient-ils pas des délinquants de droit commun consacrés à la vente de drogue ? Qu’est-ce que cela signifie générer « un effet sur les communautés » ? Qu’est-ce que l’on cache derrière un euphémisme semblable ?

Tout au long des années, avec un pouls d’équilibriste, la MAPP-OEA a alterné des éloges et des critiques au processus de démobilisation. La semaine dernière, sans aller plus loin, il a alerté sur l’assassinat de plus de 800 paramilitaires depuis qu’a commencé la démobilisation et a dit que cela met en péril tout le processus. Qui est-ce qui les a tués ? Pourquoi les ont-ils tués ? Selon la MAPP-OEA, dans la majorité des cas ce fut à cause de « disputes pour le contrôle de zones et pour ne pas vouloir réintégrer de nouvelles bandes ». Curieux. S’ils sont démobilisés : pourquoi se disputent-ils le contrôle de zones ? Si ceux de maintenant n’ont rien à voir avec les vieux paramilitaires : pourquoi veulent-ils les recruter de force ?

Les enlèvements de Patia ont mis à jour la fausseté de la définition d’Uribe et qu’Insulza a fait sienne. L’ex-ministre et politologue Camilo González Posso, cofondateur du parti d’opposition Polo Democrático Alternativo, l’a mis en évidence cette semaine dans un article qu’il a intitulé « l’étourderie de l’OEA ». González Posso dit que la MAPP-OEA « a des gens bien sur le terrain » qui savent ce qui se passe. Mais il ajoute que la mission « devient inopérante » parce que ses responsables « évoluent dans des méandres diplomatiques pour ne pas gêner le gouvernement avec les faits qui montrent la reproduction et l’émergence du phénomène narcoparamilitaire. »

Ensuite il offre un diagnostic qui semble plus adapté à l’information disponible : « Maintenant comme avant, nous sommes devant des groupes armés dont les principaux objectifs sont les affaires illicites, mise en sécurité de laboratoires, de routes et de processus d’appropriation de terres et de blanchiement d’actifs dans des macro projets. Et maintenant comme avant, bien que dans une forme diverse selon la zone, ces groupes rendent des services d’un certain « ordre », en poursuivant spécialement des dirigeants et les communautés qui ne s’adaptent pas à leurs plans de contrôle territorial...

L’objectif est de les subordonner à leurs projets et eu même temps d’offrir aux autorités une collaboration dans la guerre (contre les guérillas) en échange des faveurs dans d’autres affaires. Comme avant, ces relations avec quelques agents de l’Etat et parapolitiques d’ un côté n’empêchent pas qu’ils aient de l’autre des accords pragmatiques avec des fronts guérilleros ».

Il est clair que le plan de « sécurité démocratique » d’Uribe ne fournit pas la sécurité démocratique, parce qu’il ne protège pas les dirigeants des mouvements sociaux. Aussi, nier la persistance du paramilitarisme est une façon de l’abriter. Et qu’au-delà des coups médiatiques, la vie d’un paysan vaut autant que celle d’Ingrid Betancourt.

Traduit de l’espagnol pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi.

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