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15 août 2011

Argentine : Avec certains, même pas trois pas !

par José Pablo Feinmann *

 

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Celui de Cristina Kirchner et celui de la droite médiatique sont deux projets différenciés et antagoniques qui s’expriment aujourd’hui non seulement, dans notre pays, mais dans le drame (proche de la catastrophe ou de l’implosion de tout un système) qui secoue le monde. L’économie libérale consacrée depuis le Consensus de Washington a traîné le capitalisme vers la pire de ses crises. Peu de bon à attendre de n’importe laquelle des résolutions que cet événement historique finit d’exprimer. Ce n’est pas casuel que jusqu’à présent l’Amérique Latine, et très spécialement notre pays, s’est trouvée peu affectée par elle. L’Argentine n’est pas, -simplement- dans l’économie néolibérale ni dans le projet politique que le capitalisme du troisième millénaire suit - presque d’une manière suicidaire - en poussant. Le projet néolibéral implique l’hégémonie du capitalisme financier et spéculatif qui est réalisé à la marge de la production. Selon ce que j’ai lu, l’éminent Eric Hobsbwaum a déclaré que la solution des problèmes actuels du capitalisme est chez Marx. Je ne crois pas qu’il soit trop loin de la vérité ou d’une précieuse poignée des vérités. Mais sont beaucoup, ceux qui savent que Le Capital commence son puissant déploiement avec une analyse de la marchandise, que son chapitre initial porte par titre « La Marchandise et la Monnaie »et il est ouvre par la phrase suivante :

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« La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s’annonce comme une immense accumulation de marchandise ». Dès lors l’analyse de la marchandise est le point de départ de ses recherches. »

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Que cela signifie t-il ? Que le capitalisme que Marx a analysé au XIXe siècle était un système productif. Tout système productif requiert un marché de consommation. L’ancienne bourgeoisie gagnait son argent en produisant des marchandises et, pour ce faire, requérait une force de travail. Cette force de travail – qui était les ouvriers – se trouvait incluse dans le système parce que c’était en même temps une force consommatrice, avec tous les autres secteurs de la société. Les classes moyennes liées aux secteurs de services, par exemple. Non à ceux de la production directe. Comme il fut, le capitalisme ancien générait du travail, puisque son centre était la fabrication de marchandises. La dialectique entre la production et la consommation requérait les deux pôles. Il n’y avait pas de production sans consommation et ni de consommation sans production.

Ce capitalisme (à partir, surtout, de l’échec de l’Union soviétique) a été remplacé par le capitalisme financier et spéculatif, qui, loin de générer inclusion et postes de travail, génère marginalité et exclusion. En moins de vingt ans il est au bord de l’abîme. Les territoires d’expérimentation du Consensus de Washington furent les pays de l’Amérique Latine. L’Argentine fut-elle le cobaye privilégié parce que les dix points créés par l’économiste John Williamson et mis en avant par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale comme entités hégémoniques, ont été ardemment appliqués. Cette ferveur s’est appelée le menemisme. Le gouvernement de Carlos Saúl Menem et ses associés du capitalisme financier et agraire ont rempli le schéma des dix points du Consensus et ont dévasté le pays, en s’enrichissant dans l’un des plus grands actes de banditisme de notre histoire. Le pays – ainsi dépecé – est arrivé aux crises de 2001 et 2002. De ces crises (qui sont un précédent de celle qui maintenant émeut les pays du « Premier Monde ») nous sortons au moyen d’un schéma économique complètement alternatif.

Ce fut celui qu’appliqua le dit « kirchnerisme ». Un mélange de Keynes, du premier Perón et du populisme latino-américain de gauche. Avant tout, la récupération de la politique au moyen de la récupération de l’État. Depuis Martinez de Hoz [1] on a dit en Argentine que diminuer l’État était grandir la Nation. Ce n’est pas un hasard : le pouvoir qui aujourd’hui s’obstine à retourner au capitalisme de la primauté de l’économie, du « libre » marché et de la primauté du capitalisme, non de la production, mais de la spéculation financière et de la destruction de l’État, est le fils aimé de Martínez de Hoz et des militaires du coup d’Etat de 1976, c’est pour cela qu’ils les défendent autant ou que cela les rend aussi furieux qu’ils soient jugés et ils accusent le Gouvernement en le faisant appartenir à une certaine lointaine organisation armée des années 70.

À partir de 2003 la reprise de l’économie argentine est palpable et évidente. Ils le savent même ceux qui détestent ce gouvernement, mais ils savent aussi qu’ils vont bien, même je dirais trop bien. Des voitures neuves changées tous les deux ans, des restaurants pleins, des vacances, des vêtements, de nouvelles maisons, etc. D’autre part, le paysage de ce qu’on appelle « opposition » est si décoloré qu’il a fini par presque s’évaporer. Cependant, l’opposition n’est pas l’opposition. La vraie opposition ce sont les médias. Le pouvoir médiatique aux mains des plus grandes groupes qui ont bénéficié et qui bénéficieront encore plus d’un retour au vieux temps pas si vieux : à peine les années quatre-vingt-dix bénies. Pourquoi la crise mondiale n’a pas encore affecté (et si elle le fit, mais dans une mesure insignifiante) l’ Argentine ? Parce que l’Argentine ne partage pas ce système économique. L’économie politique argentine (par là je veux dire : il n’y a pas d’économie sans un projet politique derrière) elle est basée sur la récupération de l’État, sur une tentative de répartition du revenu (qui se heurte à d’énormes résistances : se rappeler les jours noirs du conflit avec les « terres » dans lequel tous, mais tous, de la droite à la gauche, ont fusionné contre le Gouvernement pour défendre 3 pour cent des gains millionnaires des propriétaires terriens), lutte contre les monopoles des médias dans une tentative inédite dans ce pays de, pour le dire ainsi, les déconstruire et pour les mener à une concurrence loyale et égalitaire sur le marché (et obtenir que celui-ci soit réellement « libre »), la sensibilité face aux classes populaires et la lutte contre la pauvreté, la politique ouverte et courageuse pour les droits de l’homme, le procès des criminels de la dictature, respect et appui aux Mères et aux Grand-mères (si aucun répresseur n’a été victime d’une vengeance individuelle cela fut grâce à la lutte de ces héroïnes qui nous distinguent devant le monde entier et qui n’ont jamais demandé de vengeance mais justice) et diverses choses en plus qui amènent à dessiner une identité claire du populisme de gauche, l’expression politique latinoaméricaine la plus avancée dans la lutte contre les pleins pouvoirs impériaux, qu’en ce moment on peut livrer. Ce sera toujours excessif pour la droite et pas assez pour la gauche. Peu importe. Il est bon et encourageant que la gauche ait surpassé 1,5 pour cent, parce que cela l’éloignera des tentations d’autres voies qui ne sont pas celles de la participation dans la lutte démocratique.

Bien que certains le disent, je n’arrive pas à de me convaincre de l’intelligence de l’électorat de Buenos Aires. Qui serait ainsi : voter Macri pour contenir le pouvoir absolu de Cristina Kirchner. Macri a déjà gouverné quatre ans et cela n’a rien apporté. Pourquoi le ferait-il maintenant ? Il ne le fera pas. Ce n’est pas un homme politique. Il n’a pas de parti ni de gens capables. Il fera une autre triste expérience. Et s’ils ont voté pour lui par antipéronisme, ils se trompent. Le cristinisme est une nouvelle expérience dans ce pays. Ses racines sont dans le péronisme, mais je ne dirais pas de même de son avenir. Ce n’est pas que je le désire. Je crois seulement qu’il en sera ainsi. Cristina K ira à la recherche d’un gouvernement, d’unité nationale, nouveau, moderne, sans blocages partisans. Mais alors, dans « l’unité nationale » ils ne rentrent pas tous. Parce que, si il en est ainsi, cette « unité nationale » serait la nuit dans laquelle tous les chats sont gris. Non, les canailles dehors. Cette détermination devra être amplement consensuelle, jamais unilatérale, mais nombreux ceux dans le pays qui ne veulent ni ne désirent son triomphe, mais le leur propre, celui de leurs intérêts, celui de leurs finances et pour cela ils font appel à n’importe quoi. Surtout, au mensonge et à l’injure. Avec tous, oui. Mais avec ceux-là, non. Cette consigne qui circule par là (« Con Videla ou contre Videla, mais tous ensemble ») est, pour moi, une insulte. Et pour beaucoup d’argentins. Par chance, pour la majorité. Quelqu’un, s’il n’est pas clairement un fils de pute, ne marche même pas de trois pas avec un type qui est avec Videla.

Página 12. Le Buenos Aires, le 14 août 2011.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

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El Correo. Paris, 15 août 2011.

Notes

[1Martinez de Hoz fut le Ministre de l’Economie (1976–1981) en pleine dictature et précurseur du néolibéralisme en Argentine, Inutile de préciser qu’il était à l’époque un enfant chéri du FMI, qui accorda à l’Argentine un crédit de 110 millions de dollars en 1976, alors que les exactions contre droits de l’homme étaient déjà connues. Aujourd’hui il est poursuivi par la justice.

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