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11 juillet 2015

Union européenne- Grèce :
L’Allemagne, les Etats-Unis et la France

par Jacques Sapir*

 

Les propositions qui ont été soumises par le gouvernement grec le jeudi 9 juillet, on le sait, ont été en grande partie rédigées avec l’aide de hauts fonctionnaires français. Même si cela a été démenti par Bercy, c’est une pratique courante des administrations de déléguer des fonctionnaires « à titre personnel », s’assurant ainsi en cas d’échec de la possibilité de nier toute implication. Ceci témoigne, en réalité, de l’intense travail de pressions qui a été exercé tant sur la Grèce que sur l’Allemagne par les Etats-Unis depuis ces derniers jours. Nous verrons sous peu si ces pressions ont été efficaces. Mais, il est clair d’ores et déjà qu’elles ont eu des effets collatéraux.

Le rôle de la France

Car, ces pressions ont aussi mobilisé la France qui a cru pouvoir jouer le rôle d’un intermédiaire entre l’Allemagne et ses alliés d’une part et la Grèce d’autre part. Ce rôle d’intermédiaire n’a été possible qu’en se rangeant dans le camp des Etats-Unis. Il faut donc noter ici que la France a délibérément choisi le camp des Etats-Unis contre celui de l’Allemagne. Cela ne sera pas sans conséquences pour la suite, et ceci que l’Allemagne impose le « Grexit » où qu’un accord de dernière minute soit trouvé. En effet, si le gouvernement français n’a pas eu nécessairement tort de choisir d’affronter l’Allemagne sur ce dossier, la manière dont il le fait jette un doute sur la survie à terme non seulement de la zone Euro mais, au-delà, de l’Union européenne. Le gouvernement français a en effet choisi de s’appuyer sur une puissance non-européenne pour tenter de faire fléchir l’Allemagne. Ce faisant, il reconnaît de par son action, que c’est la politique allemande qui constitue aujourd’hui un problème pour la zone Euro. C’est une évidence, et on l’a écrit à de nombreuses reprises dans ce carnet.

Mais alors, que reste-t-il du mythique couple franco-allemand, dont beaucoup se rincent la bouche et qui constitue, en un sens, l’un des piliers de l’Union européenne ? N’est-ce pas reconnaître qu’avec la réunification de l’Allemagne, le « couple franco-allemand » est mort et enterré ? Dans ce cas, plutôt que de se jeter dans les bras d’une puissance non-européenne, ne devrait-on pas se rapprocher de la Russie ? Ce qui frappe quand on analyse l’attitude du gouvernement français c’est l’amateurisme qui a prévalu sur des questions absolument fondamentales.

Une vision essentiellement idéologique

Qui plus est, le gouvernement français s’est engagé dans cette voie pour des raisons essentiellement idéologique. En réalité, ce que veut par dessus tout M. François Hollande c’est « sauver l’Euro » et éviter de voir l’Allemagne exclure de fait la Grèce de la zone Euro. François Hollande est ici bien l’un des fils spirituel de Jacques Delors, la vision en moins et la rigidité idéologique en plus. Mais, il risque de voir très rapidement le prix qu’il aura payé pour cela, et pour un résultat qui ne durera probablement que quelques mois. Car, les propositions avancées par le gouvernement grec, si elles devaient être acceptées, ne règlent rien. Si ces propositions sont finalement rejetées, comme semble le laisser présager la réunion du l’Eurogroupe de la nuit du 11 au 12 juillet, il deviendra clair que l’action des Etats-Unis et de la France a été inefficace. Par contre, la rupture entre la France et l’Allemagne perdurera, elle. Et l’image d’une Union européenne divisée, obligée d’appeler une tierce puissance pour résoudre ses conflits internes, va s’imposer rapidement.

La seule signification possible de l’Union européenne, et avant elle de la Communauté économique européenne, consistait à montrer que les européens étaient capables de prendre leurs affaires en mains sans aucune ingérence d’une tierce puissance. Or, en appuyant les pressions américaines, en se joignant à elles, c’est très précisément à cela que François Hollande, tout à la poursuite de son rêve quant à l’Euro, vient de renoncer. Le prix politique à payer sera donc très lourd.

Le problème allemand et l’Union européenne

Au-delà, il y a aujourd’hui très clairement un « problème allemand » au sein de l’UE et surtout de la zone Euro. On voit bien comment l’Allemagne utilise à son profit exclusif les institutions qui ont été mises en place. Mais, au lieu de le reconnaître, et de comprendre que dans ces conditions l’Euro ne peut plus fonctionner, François Hollande s’entête. Il refuse d’en tirer les conséquences. En fait, François Hollande est tombé dans le piège tendu par les Etats-Unis. Alors qu’une confrontation entre la France et l’Allemagne sur les questions européennes, même si elle aurait pu faire tanguer les institutions européennes, serait restée essentiellement une affaire intra-européenne, en jouant la carte des Etats-Unis pour un problème conjoncturel François Hollande a probablement porté le coup de grâce à ce à quoi il tient le plus : l’Union européenne.

Jacques Sapir* pour RussEurope·

RussEurope. Paris, le 11 juillet 2015

*Jacques Sapir est un économiste français, il enseigne à l’EHESS-Paris et au Collège d’économie de Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des problèmes de la transition en Russie, il est aussi un expert reconnu des problèmes financiers et commerciaux internationaux. Il est l’auteur de nombreux livres dont le plus récent est « La Démondialisation » (Paris, Le Seuil, 2011).

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