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4 novembre 2002

"Une crise d’image pourrait menacer la Lyonnaise des Eaux" selon G. Mestrallet

 

Les 15 et 17 octobre derniers, la 17ème chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris jugera la plainte en diffamation publique déposée par la Lyonnaise des Eaux contre Jean-Philippe JOSEPH, professeur d’économie, et Radio France.

Eau et cour

En mars 2001, Jean Philippe JOSEPH répondait à une interview sur France Culture, à propos d’un article qu’il avait écrit sur Vivendi, et la façon dont, loin du modèle libéral proclamé, l’entreprise avait bénéficié d’avantages publics ou hors marché. Il est attaqué pour cette réponse qu’il a faite alors qu’il était interrogé sur la façon dont les entreprises avaient accès aux marchés de l’eau :
" Vivendi a essentiellement utilisé toute une série d’outils stratégiques et juridiques, de corruption aussi, puisqu’un certain nombre d’élus - pas seulement Vivendi, il y a aussi la Lyonnaise des Eaux et les autres - il y a un certain nombre d’élus qui ont dit que la corruption était au coeur de ces marchés-là. Alors quand on utilise la corruption pour avoir accès à des marchés on passe déjà par un système qui est hors marché. Ca va être l’arrosage d’un club de foot, de financements etc. pour avoir accès à un marché. C’est la première chose. Deuxième chose, il va y avoir pompage des ressources de manière régulière. Ca va être faire surpayer les factures d’eau. A Avignon, l’eau était surfacturée de 3 francs. Autre cas, ça va être des entreprises qui vont faire payer des infrastructures deux fois alors que ce n’était pas nécessaire ; elles vont faire payer des frais de structure etc., etc., donc elles vont utiliser le contrat de l’eau et tout ce qui est autour de la gestion de l’eau pour récupérer toute une série de sommes qui vont leur permettre après à la fois de grossir et à la fois d’investir dans d’autres secteurs. "

Ce n’est pas la première fois que les sociétés d’eau et notamment la Lyonnaise utilisent la menace juridique pour faire taire la contestation.

Elles ont déjà attaqué :

 le juge anticorruption Thierry Jean-Pierre, pour avoir écrit dans un " livre noir de la corruption " que " 80% de la corruption politique est organisée par deux grands groupes composés de plusieurs centaines de sociétés chacun ".

 Jean Loup Englander, maire de Saint Michel sur Orge, pour avoir dit " la corruption est au cœur de ces marchés "

 un ancien salarié de la Lyonnaise pour avoir parlé de " démarche maffieuse ".

Souvent, elles gagnent, tant le droit est protecteur en matière de corruption et de diffamation.
Cette fois, la Lyonnaise considère que les propos de Jean-Philippe JOSEPH " portent atteinte à l’honneur et à la réputation de la société ". Pourtant, ces propos sont banals et n’apprennent rien à personne. Depuis plus de dix ans, articles de presse, décisions de justice et rapports officiels ont déjà maintes fois dénoncé les pratiques de corruption, de surfacturation, le manque de concurrence, l’opacité des contrats des marchés de l’eau en France que se partagent la Lyonnaise, Vivendi et Bouygues. Récemment le conseil de la concurrence a demandé le démantèlement des filiales communes de la Générale des eaux (Vivendi) et de la Lyonnaise. Et si le climat a changé en France, les pratiques de ces entreprises ou de leurs filiales sont toujours l’objet d’enquêtes ou de procès aux Etats-Unis, au Lesotho, au Pérou, à Oman, au Kazakhstan…

Alors, que cache la susceptibilité de la Lyonnaise ?

Qui est la Lyonnaise ?

La société Lyonnaise des Eaux France est la filiale française d’ONDEO, branche eau du groupe SUEZ. Numéro un mondial, elle fournit l’eau à 120 millions de personnes et à 60 000 clients industriels. Grosses villes et industries ; derrière son joli nom Ondeo vit de la pollution.

Historiquement liée au RPR, par son ancien PDG Jérôme Monod qui en a été le secrétaire général, la Lyonnaise et ses filiales ont été au cœur des " affaires " : Carignon, affaire Botton, Maillard et Duclos, lycées d’Ile de France… etc. Avec les mêmes réseaux, on la retrouve comme pilier de la Françafrique : au Maroc, en Tunisie, au Congo Brazzaville, en Libye au Sénégal, au Burkina Fasso. Des liens étroits qui perdurent puisque Jérôme Monod était conseiller spécial de Jacques Chirac pendant les dernières présidentielles…

Mais il avait aussi été conseiller spécial de James Wolfensohn, président de la Banque mondiale. A la fin des années 80, alors que le marché français saturait, il s’était alors attelé à promouvoir " l’école française de l’eau ", forme de partenariat public-privé (au public la responsabilité, au privé les profits). Avec réussite puisque la privatisation à la française est devenue le dogme des institutions internationales en matière d’eau.

Pas le moment de rappeler les boulets mondialement connus de la Lyonnaise à Gérard Mestrallet, (corruption, hausse de prix, bénéfices pendant l’apartheid en Afrique du Sud, ou sous Suharto en Indonésie, discrimination syndicale en Colombie). Drapé de ses nouvelles couleurs et sous la bannière Ondeo, le nouveau PDG, lance aujourd’hui la " vraie bataille de l’eau " au cri de " l’eau pour tous, vite ! ". Peu importe qu’il ait un jour dit " l’eau est un produit efficace. C’est un produit qui devrait normalement être gratuit et c’est notre métier de le vendre". En ces temps de privatisation, sous l’égide de la Banque mondiale, du FMI et de l’OMC, ONDEO fait ses course déguisée en chaperon.
Ainsi, lorsque le Cameroun privatise son eau, l’offre de la Lyonnaise est la seule ouverte. Sur les 103 centres à gérer, l’entreprise ne s’intéresse qu’à six : les plus rentables, ceux qui représentent 95% du chiffre d’affaires. Tant pis pour les autres et tant pis si les Camerounais craignent un doublement du prix. On est loin de " l’eau pour tous ! ".

Mais ce n’est pas le seul cas puisqu’en 1999, le maire de Buenos Aires déclarait " les prix de l’eau, dont Aguas Argentinas (filiale d’Ondeo) avait dit qu’ils baisseraient de 27%, ont augmenté de 20% ".
En France déjà, plusieurs rapports ont montré que les prix de l’eau gérée par le privé sont en moyenne, de 16% supérieurs à ceux de l’eau gérée par le public.

Les perspectives sont alléchantes : depuis la conférence ministérielle de Doha, l’OMC s’occupe de " développement ". La chasse aux marchés du Sud est ouverte. Déguisés en végétariens, avec l’appui des Etats, les ogres se mettent à table.
" Nous sommes ici pour faire de l’argent. Tôt ou tard la compagnie qui investit récupère son investissement, ce qui signifie que le client doit payer de sa poche. " M. During, directeur de la Lyonnaise des Eaux cité par Maude Barlow dans l’Or bleu, 2001.

Se peindre en vert et bleu

La stratégie de Jérôme Monod a fonctionné, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) promeuvent l’école française de l’eau, une délégation de service public qui a permis à trois entreprises françaises (la Lyonnaise, Vivendi et Bouygues) de devenir leaders mondiaux. L’Etat garde la propriété de l’eau, la municipalité est responsable. Par contrat, une entreprise privée assure les services de distribution et/ou d’assainissement et fait payer les factures. De quoi ravir une OMC avide de libéralisation et à l’affût du moindre " obstacle " au commerce.
Aujourd’hui, c’est à l’ONU de se soumettre aux marchands. Le sommet mondial du développement durable s’ouvre fin août à Johannesburg (où Ondeo gère l’eau), puis, en 2003 c’est le 3ème Forum mondial de l’eau à Kyoto. Dix ans après " le sommet de la Terre " de Rio, l’écologie est soumise à l’économie, le "développement durable " a remplacé " l’environnement " et l’eau est passée du statut de " besoin " à celui de " bien " : elle a un prix et se vend. Les entreprises à l’origine de cette stratégie, véritables " souteneurs du développement ", apparaissent repeintes en vert.
Membre du World Business Council on Sustainable Development (WBCSD), avec d’autres écologistes comme BP Amoco, Procter et Gamble, Monsanto ou General Motors, Suez est le fer de lance de la privatisation de l’eau. Ainsi, bien opportunément Ondeo lance " la vraie bataille de l’eau ", campagne de communication qui vise à développer ses marchés derrière le slogan philanthropique " l’eau pour tous, vite ! ".

La logique est simple et pourrait se résumer ainsi :
" La pollution c’est la saleté des villes, les pauvres sont nombreux, donc ils polluent l’eau. Alors ils sont malades et meurent. Il faut les aider en nettoyant l’eau qu’ils souillent. C’est compliqué mais ça tombe bien, les entreprises ont la technologie. C’est payant, bien sur, mais il suffit de privatiser. Et si les pauvres n’ont pas l’argent, l’Etat ou les institutions internationales financeront, puisqu’elles sont partenaires. " Après seulement intervient l’ingénierie sociale…
Bien sûr, du moment que ces entreprises décrètent qu’elles se préoccupent des pauvres et de l’environnement, tous ceux qui les contestent sont contre les pauvres et l’environnement.
Déjà peinte en vert, Suez s’est aussi peinte en bleu en participant au Global Compact, ce pacte non contraignant proposé par Kofi Annan, qui permet avec quelques vœux pieux aux entreprises telles que Nike ou Shell d’utiliser le logo de l’ONU.
L’entreprise est aussi " business partner for development " (partenaire industriel du développement) de la Banque mondiale.
C’est donc une vraie bataille d’image que lance Suez (et donc Ondeo) pour cacher son influence sur les structures politiques, sa mainmise sur les villes et sa domination sur une ressource vitale.
Pas étonnant qu’elle attaque systématiquement ceux qui grattent son vernis.

Le procès, arme de dissuasion

Bien peu de critiques apparaissent dans les médias sur la gestion de l’eau en France. Et pour cause ! Que pourrait-on attendre d’une chaîne qui se veut impertinente, comme Canal + et qui est une filiale de Vivendi, ou de M6, dont Suez est actionnaire, ou de TF1, filiale de Bouygues ?
La presse écrite, lorsqu’elle n’appartient pas à ces groupes et notamment à Vivendi Universal Publishing, tire des ressources vitales de la publicité. Or, ces compagnies figurent parmi les principaux annonceurs et leurs simples changements de nom représentent des centaines de millions de francs de budget de communication. Rares sont les médias indépendants de la pub, rares sont donc les menaces au pouvoir des géants de l’eau. Alors, si une radio publique offre un espace à la critique, intenter un procès coûteux pour diffamation reste un moyen commode de pression sur la liberté de la presse et une façon de la pousser à l’autocensure. C’est une tentative d’intimidation envers l’interviewé, responsable de l’argumentation et attaqué. Cela permet de le focaliser sur une partie superficielle de la contestation (la corruption, le prix de l’eau et la structure non concurrentielle du marché) et de le maintenir à distance des vraies questions.

Plus viscérale, la grogne sur les factures d’eau a aussi bien du mérite puisqu’à la différence des pompes à essence, les compteurs d’eau des foyers n’affichent pas le prix du bain, de la fuite ou de la chasse d’eau. Quant à la facture, elle est rarement complète et claire. Rien n’appelle donc au soulèvement. De fait, le silence des populations sert de satisfecit aux mairies qui prolongent sans états d’âme les contrats de délégation offrant des dizaines d’années de ressources régulières aux entreprises.
Il arrive, pourtant, que les abus de prix ou la détérioration de la qualité soient trop flagrants. Il arrive aussi que les entreprises soient trop gourmandes et exigent, comme à Cochabamba, en Bolivie, l’interdiction de récupérer l’eau de pluie. Les colères poussent alors les communes à demander une annulation du contrat et une remunicipalisation. Commencent alors d’autres procès, comme à Cochabamba,à Nkonkobe en Afrique du Sud, à Tucuman en Argentine ou à Châtellerault.

Ces procès, locaux ou nationaux, ne sont que des échauffements puisque certains accords de libre-échange à l’échelle de continents autorisent les entreprises à attaquer directement les Etats si les profits attendus sont menacés. Les panels de l’OMC ou de la Banque mondiale offrent déjà des juridictions utilisables. Les Canadiens l’ont bien compris qui se battent contre une privatisation de l’eau que l’accord général sur le commerce des services (AGCS) négocié à l’OMC rendrait irréversible.
Pourtant, en France, dans un pays où 80% de la population utilise une eau gérée par une entreprise privée et où le contrôle de cette ressource vitale a déjà été largement abandonné, les combats continuent. Régulièrement, des plaintes sont déposées localement contre des filiales de la Lyonnaise, la Générale des Eaux ou la SAUR. Certaines réussissent et les entreprises reculent. Restent que tous ces combats techniques et juridiques sont fondamentalement inégaux.

" J’ai une conviction, c’est que plus qu’une crise financière ou une crise politique locale, c’est une crise d’image qui pourrait menacer le Groupe " G. Mestrallet, Ethique et valeurs, document interne de la Lyonnaise des eaux, p35.

ATTAC - Grain de sable 370 - 11 octobre 2002
Contact pour cet article : eau@altern.org
URL : http://www.waterportal.org

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