recherche

Accueil > Empire et Résistance > Union Européenne > Allemagne > Une Allemagne beaucoup plus inégale

18 octobre 2012

Une Allemagne beaucoup plus inégale

par Rafael Poch de Feliu*

 

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

La moitié la plus pauvre de la société possède seulement 1 % des actifs, tandis que les 10 % les plus riches rassemblent 53 %. A un an des élections, un rapport du gouvernement sur pauvreté et richesse déclenche la polémique sur la politique fiscale et sociale et d’emploi.

La situation sociale en Allemagne est différente, et beaucoup mieux, que celle qui est observée dans les pays les plus déprimés de l’Europe, y compris la riche France. Cependant, l’Allemagne participe pleinement, et elle est au centre, du phénomène général de la grande inégalité européenne : le grand transfert de richesse du bas vers le haut que le continent vit depuis vingt ans et que l’eurocrise accélère.

Le rapport quadriennal du Ministère du Travail allemand, récemment publié « Richesse et Pauvreté », de 500 pages, contient une reconnaissance officielle de l’augmentation de l’inégalité dans le pays qui figurait, il y a 30 ans, comme relativement nivelé dans le contexte européen. En 20 ans les actifs privés ont plus que doublé. Ils sont passés de 4,6 milliards d’euros à 10 milliards. Divisé par les 40 millions de foyers allemands, cela donnerait 250 000 euros par foyer, un pays de cocagne. Malheureusement la distribution réelle de cette fortune gâche tout.

Dix pour cent des Allemands rassemblait, en 2008, 53 % des actifs privés, remarque le Bureau Statistique Fédéral. Les 40 % suivants les plus riches concentrent les 46 %, et les 50 % restants.... le 1 %. L’évolution dès 1998 que reflète cette étude officielle est indubitable : en dix ans, ces 50 % les plus pauvres sont passés de posséder 4 % des actifs à 1 % actuellement. La catégorie intermédiaire des 40 % a rétréci, de six points, tandis que la concentration indécente de richesse des 10 % plus riches a progressé de huit points.

Une autre étude, de l’Institut Allemand de Recherche Economique, daté de 2011, offre un panorama semblable, dont le graphique semble violent.

Au 0,1 % de la population de plus de 17 ans correspond 22,5 % des actifs, remarque cette étude. Au 0,9 % va 13,3 % et au 9 % lui correspond 30,8 %. Tout cela additionné donne que les 10 % des Allemands les plus riches rassemblent 66,6 % du capital.

Au 40 % suivants de la population correspond 32,2 % des actifs. Les 50 % restant de la population possèdent 1,4 %.

« Entant que chrétiens et chrétiennes nous ne pouvons pas accepter le fractionnement social de notre société », dit Sabine Schiedermair, présidente de la Fédération Allemande des travailleurs catholique (KAB).

Bien que le rapport du Ministère du Travail termine avec un kafkaïen, « en somme, les données donnent une évolution positive sur la vie en Allemagne », son contenu n’a pu que stimuler un débat sur la politique fiscale.

Au Bundestag le chef du groupe parlementaire de Die Linke, de Gregor Gysi, s’est insurgé le 27 septembre contre la situation actuelle, exigeant de taxer les grandes fortunes et le retour à des impôts raisonnables pour les entreprises.

« Dans l’ensemble de l’Union Européenne les impôts aux entreprises sont descendus de 9 % et sont sur une moyenne de 23,3 %, et l’impôt sur les plus hauts revenus est tombé de 7,3 % », a dit Gysi, le seul parlementaire d’origine juive de la chambre, évidemment de l’ ex Allemagne de l’Est.« Avant la crise nous avions en Allemagne 799 000 millionnaires en euros, maintenant nous avons 830 000 », a t il dit.

« Quand elle n’a pas à voir avec la responsabilité individuelle et la capacité personnelle, l’inégalité devient un problème d’acceptation et en cela, de fait, consiste l’injustice », remarque-t-il un éditorial du Financial Times Deutschland : « Combien de temps peut-on tolérer une société où les riches se rendent plus riches ? », se demande le Frankfurter Rundschau. « Il n’y a rien de positif dans cette situation, c’est un développement clairement malade, parce que déjà nous ne vivons même pas dans le capitalisme d’entrepreneurs propriétaires, mais dans le capitalisme de propriétaires d’actifs », dit Bernhard Emunds, directeur de l’Institut Nell-Breuning.

Le rapport gouvernemental confirme officiellement l’inégalité extrême qui existe en Allemagne, dit Ulrich Schneider, directeur de l’Association Allemande pour un Bien-être Équitable, un lobby du secteur de l’assistance axé vers l’idéal social de l’égalité des chances. Le pays est arrivé à la situation actuelle parce que durant les dix dernières années les salaires réels n’ont pas augmenté tandis qu’ont plus que doublé les bénéfices des entreprises, explique t-il. « D’un autre côté, la législation Hartz IV a promu le secteur des bas salaires qui avec la précarisation du travail se sont envolés », dit-il. Le troisième élément fut l’ajustement fiscal aux plus hauts revenus, « qui a créé depuis l’année 2000 un problème national de recette ».

Dans les années quatre-vingts l’Allemagne était en bas de l’échelle européenne des pays avec un secteur de bas salaires : 14 %. Aujourd’hui elle est, avec 25 % des emplois précarisés, aux cotés des États-Unis.

Cette involution sociale et fiscale fut l’œuvre du gouvernement de coalition des sociaux-démocrates et des verts (1998-2005), qui ont baissé à 29,8 % (en fait à 22 %) l’impôt sur les entreprises, qui avec le chancelier conservateur Helmut Kohl avait été de 51,6 %. Cette circonstance empêche les sociaux-démocrates et les verts d’être maintenant incisifs dans le débat sur l’inégalité. L’absence complète d’une révision de cette politique de la part du bloc rouge-vert allemand, explique aussi que les sociaux-démocrates (SPD) présentent comme candidat aux élections de l’année prochain le ministre des Finances Peer Steinbrück, un néolibéral qui fut partie prenante dans cette politique.

Avec Steinbrück, « le SPD a mis comme candidat celui qui a diagnostiqué la crise financière aussi faussement que la chancelière », dit l’analyste Wolfgang Münchau. Avec la petite gauche de Die Linke (avec une intention de vote de 8 %), comme force unique de réplique, la situation ne peut pas être plus favorable pour Angela Merkel.

Les femmes gagnent moins

Les femmes allemandes gagnent comme moyenne 22 % de moins que les hommes, remarque le Bureau Fédéral de Statistique. La différence est plus prononcée dans les postes de direction, où les femmes gagnent un tiers de moins que les hommes, et moindre dans les postes administratifs bas, où la différence est de 4 %.

La Vanguardia. Barcelone, le 8 octobre 2012.

* Rafael Poch, Rafael Poch-de-Feliu (Barcelone, 1956) a été vingt ans correspondant de « La Vanguardia » à Moscou et à Pékin. Avant il a étudié l’Histoire contemporaine à Barcelone et à Berlin-Ouest, il a été correspondant en Espagne du « Die Tageszeitung », rédacteur de l’agence allemande de presse « DPA » à Hambourg et correspondant itinérant en Europe de l’Est (1983 à 1987). Actuelement correspondant de « La Vanguardia » à Berlin.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo. Paris, le 18 octobre 2012.

Contrat Creative Commons
Cette création par http://www.elcorreo.eu.org est mise à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 Unported.

Retour en haut de la page

El Correo

|

Patte blanche

|

Plan du site