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4 septembre 2008

Etrange enquête sur deux exiles colombiens.

Un photomontage d’Alvaro Uribe fait à Genève provoque une descente de la police suisse.

 

Un photomontage d’Alvaro Uribe provoque une descente policière suisse chez deux militants colombiens pour « outrage à Etat étranger ». Effet collatéral des tensions entre Berne et Bogota ?

Par Benito Perez
Le Courrier
. Genève, Suisse, le 23 Août 2008.

La raison d’Etat ne connaît pas de frontières. Il y a trois ans, lorsque Luz Perly Cordoba, dirigeante d’une association paysanne (lire ci-dessous), et son mari Hanz Preciado, actif auprès des prisonniers politiques, se voient reconnaître le statut de réfugiés en Suisse, ces deux militants de gauche pensent en avoir fini avec le harcèlement du gouvernement colombien. La perquisition de leur domicile genevois, en juillet dernier, a rompu le charme.

A l’instigation de l’Etat colombien, le couple a été placé sous enquête préliminaire par le Ministère public de la Confédération (MPC) pour « outrage à Etat étranger ». Une procédure pénale pour le moins inhabituelle qui intervient en pleine polémique diplomatique entre la Colombie et la Suisse, la première accusant la seconde d’abriter une base arrière de la guérilla (lire ci-contre). « Nous sommes les têtes de Turcs sur lesquelles on tape pour détourner l’attention », analyse Luz Perly Cordoba, qui rejette tout lien avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). L’opération date du 9 juillet, une semaine après l’annonce de la libération d’Ingrid Betancourt. A l’aube, les policiers fédéraux (FedPol) investissent l’appartement familial et saisissent ordinateurs, CD et clés USB. En l’absence des militants, qui visitent des proches en Espagne, c’est leur fils de 15 ans qui subit la perquisition.

Au téléphone, la police informe les parents de l’origine colombienne de la plainte et leur donne rendez-vous, le 18 juillet, à Berne, pour un interrogatoire. C’est là que Luz Perly et Hanz apprendront la nature exacte de l’action intentée par Bogota contre inconnu. En dix heures d’interrogatoires, les agents de la FedPol passent en revue textes, dessins et même graffitis anti-Uribe répertoriés ces dernières années en Suisse romande. Les deux militants n’en reconnaissent qu’un seul : un photomontage, affublant le président colombien d’une frange et d’une moustache hitlériennes. Diffusée sur le Net, la caricature avait été reprise par les deux exilés pour illustrer un appel à manifester lors de la venue d’Alvaro Uribe au Forum de Davos, en janvier 2008. « Nous assumons pleinement ! » assure Luz Perly Cordoba, qui réclame le « droit à la protestation » et à la « libre expression ».

Carlo Sommaruga, défenseur des deux militants, admet qu’« il n’est jamais sympathique de se faire ’hitlériser’ ». Mais l’avocat genevois souligne aussitôt la banalité du procédé en matière de critique politique. Notamment en Colombie, où « il n’est pas rare que des caricatures d’Uribe en Hitler apparaissent dans les manifestations ». « Tapez Uribe FARC et Hitler sur Internet et vous verrez que le président colombien a lui-même usé de cet amalgame à l’égard des FARC [1] », ajoute-t-il, ironique, avant de faire remarquer que les Colombiens paraissent « davantage détachés de l’histoire » nazie que les Européens.

Reste que, même en Suisse, Me Sommaruga n’a pas trouvé trace d’une telle procédure basée sur une caricature, ni de poursuites engagées contre des réfugiés pour « outrage à Etat ». D’où sa « surprise » de voir la Suisse « donner du crédit à la démarche colombienne », au point de perquisitionner un domicile et de saisir du matériel informatique.

« Opération d’intimidation »

Ruth-Gaby Vermot-Mangold va plus loin. L’ex-conseillère nationale bernoise, spécialiste des migrations au Conseil de l’Europe, connaît Luz Perly Cordoba depuis les années de prison de la militante paysanne. Du coup, elle enrage de voir les autorités fédérales se prêter à une « manifeste opération d’intimidation ». Dans une lettre ouverte expédiée à Berne le 8 août, Mme Vermot-Mangold dénonce le « harcèlement psychologique » exercé par Bogota « à l’égard de celles et ceux qui ont dû fuir leur pays et qui restent mobilisés pour la justice sociale en Colombie et dénoncent la démocratie de façade ». Avec l’appui d’une dizaine de personnalités de gauche, la représentante suisse au Conseil de l’Europe réclame l’abandon immédiat de cette « procédure de nature politique ».

Pour l’heure, seul le MPC a réagi à la missive. Dans sa réponse, le procureur justifie son action au nom du droit, mais confirme l’aval politique à sa démarche.
L’attitude de Berne déçoit également Luz Perly Cordoba. « La Suisse nous a accordé l’asile, elle sait parfaitement qui nous sommes. Nous n’avons jamais agi clandestinement », souligne la militante, qui avait obtenu l’asile dans le temps record de trois mois. Derrière l’atteinte à la liberté d’expression, ce sont les droits des réfugiés qui seraient en danger, argue-t-elle : « Si nous avons dû fuir notre pays à cause des persécutions, nous avons le devoir de poursuivre la lutte. »

Au dire de Mme Cordoba, « la peur s’est installée dans la communauté » des exilés colombiens. « Beaucoup craignent un changement de politique de la Suisse à leur égard ». Sous prétexte de lutte antiterroriste, la politique « uribiste » de stigmatisation des opposants franchit de mieux en mieux les frontières, et l’amalgame entre militants de gauche et guérilleros se répand en Europe. « La pression de la Colombie sur le gouvernement suisse est très forte », admet Luz Perly Cordoba.

Si les enquêteurs suisses se sont gardé de faire allusion aux FARC devant les deux réfugiés, pour Mme Vermot-Mangold, l’amalgame est implicite : « La saisie de tout leur matériel informatique entretient le soupçon d’une appartenance aux FARC ». Un lien que la Bernoise conteste.

Etrange chronologie

Accusée par Bogota de collusion avec les FARC à travers son médiateur Jean-Pierre Gontard, et d’être un repaire présumé de guérilleros, la Suisse serait-elle tentée de donner des gages à Bogota, sans se déjuger ouvertement ? Difficile d’en être sûr. « Mais si les réfugiés ne réagissent pas et mettent la tête dans le sable, ils risquent bien de finir dans le rôle de victimes expiatoires », note Luz Perly Cordoba.

Sans relier catégoriquement les diverses affaires, Carlo Sommaruga et Ruth-Gaby Vermot-Mangold s’interrogent, eux, sur le calendrier : pourquoi a-t-on perquisitionné en plein juillet, alors que, selon le MPC, la plainte daterait de 2007 ? « La coïncidence est quand même très, très étrange », relève la socialiste. D’autant que la diffusion de la « caricature » est postérieure au dépôt de la plainte, mais très antérieure à la perquisition... Autant de faits sur lesquels nous avons interrogé - sans succès - le MPC.

L’impossible fuite

Les deux socialistes s’accordent aussi pour fustiger l’attitude inhumaine des agents de l’Etat. « Il est choquant de faire subir une perquisition à un enfant de 15 ans encore traumatisé par la répression en Colombie. On n’agit pas ainsi à la légère ! », s’offusque Mme Vermot-Mangold, soulignant le parcours douloureux de cette famille.

Derrière la façade résolue de la militante, Luz Perly Cordoba laisse poindre un soupçon d’amertume. « Le plus difficile, dit-elle, c’est d’avoir dû fuir son pays à cause de la persécution, de faire tous ces efforts pour reconstruire sa vie ici, pour finalement s’apercevoir que le bras long du dictateur est arrivé jusqu’ici... »

***
De la prison colombienne à la police fédérale suisse.

Par Benito Perez
Le Courrier . Genève, Suisse. Le 23 Août 2008

Luz Perly Cordoba est loin d’être une inconnue. Près de vingt ans de militantisme social ont converti cette native d’Arauquita, dans le stratégique département de l’Arauca, en l’une des bêtes noires du régime colombien. Après des études de droit et d’administration à Bucaramanga, marquées par un engagement estudiantin, Luz Perly rentre en 1999 dans sa région et participe à la fondation de l’Association paysanne de l’Arauca (ACA), destinée à fédérer le mouvement agraire local. « Mon département est extrêmement riche en ressources naturelles, mais ses habitants, principalement des paysans, n’en profitent pas », explique-t-elle. L’ACA se fixe donc pour objectif de réclamer des investissements agricoles. S’élevant contre l’éradication de la coca, elle réclame un plan de développement alternatif qui permette de lui substituer progressivement des cultures licites.

Plus grave encore, pour le pouvoir, l’ACA et d’autres organisations sociales de la région s’insurgent contre les dommages environnementaux causés par les fumigations aériennes des plants de coca et, surtout, par les exploitations pétrolières. L’Arauca héberge notamment le fameux oléoduc de Caño Limon et des gisements des transnationales Oxy et Repsol . Au dire de Luz Perly Cordoba, la campagne des mouvements sociaux eut un fort impact, grâce au puissant réseau mis en place. « A l’époque, 90% des habitants faisaient partie d’une association, d’une organisation indigène, d’une coopérative ou encore d’un syndicat », assure-t-elle.

Toujours selon la militante, la réaction des compagnies fut brutale : « En 2001, des groupes paramilitaires ont envahi les hautes terres de l’Arauca, et de là, avec l’appui de l’armée, ils ont lancé une campagne de terreur et d’extermination des organisations sociales. » Pour la seule municipalité de Tame (20.000 habitants), on recensera plus de 400 assassinés [2].
Décimés, exilés, menacés, les militants de l’ACA sont « contraints de se recycler en ONG de défense des droits humains », raconte, songeuse, Luz Perly Cordoba. Du rêve d’une vie meilleure, plus digne, on passe à une stratégie de survie. La dénonciation des violences et la recherche des disparus supplantent le développement agraire.

Les militants apprennent à se cacher, à se protéger. A la phase des assassinats succède, dès lors, une seconde étape, celle de « la judiciarisation des organisations sociales ». Celle-ci est menée directement par un procureur militaire « intégré à la Brigade régionale », « lieu idéal pour recruter des témoins à solde et élaborer leurs montages judiciaires », décrit Mme Cordoba. En février 2004, lorsque la répression s’abat sur l’ACA, « 80% des dirigeants sociaux du département étaient déjà en prison ».

La direction de l’ACA est accusée, d’un bloc, de « rébellion » - c’est-à-dire d’appartenance à l’une des guérillas - et entre en clandestinité. Sa présidente, Mme Cordoba, est interpellée à Bogota, où elle avait fui des menaces en 2003 déjà. Concrètement, le juge accuse Luz Perly Cordoba d’avoir voyagé en Europe aux frais de la guérilla. Une assertion « grossière et sans fondement » [3] : « J’ai pu obtenir tous les justificatifs des organisations européennes qui m’avaient invitée, mais le procureur n’a pas voulu en tenir compte... » Sans ambiguïté, la militante sociale insiste sur le caractère civil de l’ACA. « Nous sommes une organisation sociale sans armes habitant une zone en conflit », résume-t-elle. Et d’enfoncer le clou : « La guérilla est un phénomène né des inégalités, son produit armé, en quelque sorte. Mais cela ne veut pas dire qu’elle englobe tous ceux qui luttent contre les injustices et les agressions de l’Etat. »

Luz Perly Cordoba sera internée durant plus d’une année. A 120 prisonnières dans une cellule de 36 places, confrontée aux maladies gastriques, alimentaires. Elle voit une amie mourir pour cause de non-assistance sanitaire. « J’ai eu la chance d’être mieux traitée que d’autres, car je bénéficiais de la protection de la Cour interaméricaine des droits humains. D’autres camarades seront, eux, battus et volés par des détenus paramilitaires. » Cette période est aussi celle des premiers contacts avec la Suissesse Ruth-Gaby Vermot-Mangold, présidente de l’association « 1.000 femmes pour le Prix Nobel de la paix 2005 », qui l’inclut sur la liste des « nobelisables ».

Outre la pression internationale, c’est la minceur de l’accusation et la volonté de sauver la face qui, au dire de la Colombienne, conduiront la justice de son pays à lui octroyer la liberté provisionnelle. Mme Cordoba en profitera pour rejoindre la Suisse en mars 2005 avec son époux Hanz et son fils.

Un sort enviable : le Comité de solidarité avec les prisonniers politiques en Colombie estime à ce jour leur nombre à au « moins 7500 personnes ». Dont six camarades de l’Association paysanne de l’Arauca.

Note  :

Notes

[1En décembre 2007, en réponse à des critiques françaises, Alvaro Uribe a déclaré que son pays agissait « comme la France agirait si elle avait un nouveau Hitler. Les otages sont dans un état semblable à celui des prisonniers des camps de concentration ».

[2Au sujet de Tame, Amnesty écrit : « Les groupes paramilitaires opérant avec le soutien de l’armée ont pu renforcer leur présence dans le département d’Arauca. (...) Cent quatre-vingts homicides auraient été commis dans la municipalité de Tame en 2002 ». En 2004, l’ONG a consacré un rapport à ce drame au titre sans équivoque : « Un laboratoire de guerre : Répression et violence à Arauca »}}.

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