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4 mars 2014

Sur les mythes, crime et politique
Etat décadent, prélude à la dissolution social.

par Carlos Fazio *

 

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Le commissaire Jean-François Gayraud dit que la réalité ne se cache pas, que sommes nous ceux qui nous la nions. Le danger authentique est celui qui n’a pas été vu ou qu’on n’a pas voulu voir, qu’il ait été sous-estimé ou qu’on n’ y a pas cru. En pleine société du spectacle, loin du sensationnalisme des médias, les grands groupes d’économie criminelle sont le côté obscur de la globalisation. Nous vivons dans l’ère criminelle, dans une démocratie criminelle ou mafieuse. Le monde des mafias est le monde de l’argent, du pouvoir et du secret. Les mafias se sont installées au cœur de nos systèmes politiques et économiques. Cependant, il existe une difficulté innée des média de masse de percevoir l’invisible, c’est, le lien entre le crime, la politique et l’entreprise.

Sigmund Freud a donné la description classique du « premier crime », qui dérive de la « horde primitive darwinienne ». Si nous donnons du crédit à Freud nous pourrions faire l’hypothèse que l’acte politique original coïncide avec le crime original. Et selon Hans Enzensberger, entre assassinat et politique existe une dépendance antique, étroite et obscure qui se trouve dans les fondations de tout pouvoir : « Exerce le pouvoir qui peut donner la mort à ses sujets ». Ou comme le dit Elías Canetti, le gouvernant est le « survivant » ; le gouvernant continue d’être le suprême seigneur féodal, et le juge, entant que personne « impartiale », continue d’être au service de l’État.

Si l’État comme souverain peut décider de la législation, peut aussi donner la mort, en son nom et au nom de la loi, à plusieurs de ses citoyens, et faire qu’ils considèrent comme un devoir l’accomplissement de cet acte de souveraineté.

Avec ses deux grandes guerres, l’histoire du XXe siècle exhibe que l’État belligérant se permet toutes les injustices, toutes les violations qui déshonorent l’individu. Par exemple, Auschwitz et Hiroshima. Ou le terrorisme d’État des années soixante-dix et quatre-vingts en Argentine, Uruguay, Chili, Mexique, Guatemala, Salvador, Honduras et en Colombie.

Selon Horst Kurnitzky, quand disparaissent les pouvoirs et les alliances qui constituent, donne de la cohésion, et maintiennent la société unie, il ne reste rien qui puisse empêcher le processus de dissolution sociale : la société se désintègre dans une forêt sociale-darwinienne, dans une lutte de tous contre tous qui s’effondre sur la société et entraîne les derniers restes des institutions dans le tourbillon de l’autodestruction sociale. Avec cela l’organisation des individus autonomes dans un État de droit se dilue et tous les systèmes civils de protection s’annulent. A leur place s’installe la lutte de groupes sociaux et d’intérêts économiques pour des territoires et pour participer au scénario belliqueux de l’effrénée économie du marché total, où les frontières entre marchés formels et informels deviennent aussi flexibles que les frontières entre une lutte économique apparemment sans violence et les conflits qui sont résolus par la force des armes. Alors la société devient une composition amorphe de tribus, de mafias et d’organisations criminelles de toute espèce.

La globalisation de l’économie néolibérale fut accompagnée de la globalisation de la violence criminelle. Dans « Politique et délit », Enzensberger soutient que « aussitôt que la criminalité est organisée, elle devient, tendancieusement, un État dans l’État. La structure de telles communautés de délinquants reproduit fidèlement ces formes de gouvernement desquelles ils sont rivaux et concurrents ».

À titre d’exemple, la mafia sicilienne a copié la structure d’un régime patriarcal jusque dans ses moindres détails, et l’a substitué sur de grandes étendues du territoire italien : elle a disposé d’une administration très étendue, elle a perçu des droits de douanes et des impôts et disposait d’une juridiction propre.

A ce qui précède on peut ajouter l’aura mythologique qui entoure quelques figures criminelles.

À la fin de sa carrière, Al Capone a dit : « Je suis un fantasme forgé par des millions d’esprits ». Sans doute, Capone a été une figure qui a appartenu à l’histoire de Chicago, mais aussi un monstre de l’imagination collective, et en ce sens, un fantasme. La mythologie autour de la figure de Capone comme prototype du gangster a été promue par « l’industrie des consciences » ; par les grands médias de masse (la presse, la radio, le cinéma de Hollywood), qui à leur époque ont mobilisé leurs énergies, et avec leurs articles et films à sensation, ont contribué à créer le mythe. Bien qu’il ne soit pas facile de séparer la valeur réelle du personnage (avec ses ambitions, son intelligence, antipathie et sa dimension humaine monstrueuse et banale en même temps) du mensonge qui lui est inhérent.

En même temps qu’ils fabriquent les mythes et les boucs émissaires (le criminel est le gibier à chasser), les médias moulent un nouveau type de personne, émotive et dotée d’une attitude mentale particulière selon laquelle tout ce qui ne peut pas se montrer n’existe pas. Les médias, en particulier la télévision, diffusent le visible, le plus immédiat, l’urgent et le superficiel, et dissimulent le monde réel. Les apparences médiatiques cachent des parties entières de la réalité, spécialement en ce moment, quand existent des organisations criminelles de très haute intensité et de très basse visibilité.

À la différence de la méthode terroriste, qui est une forme de lutte clandestine qui utilise la violence pour renforcer une dimension politique et pour conquérir le pouvoir, la délinquance organisée est parasitaire et cachée ; elle cherche son intégration dans le système, mais sa nature prédatrice l’oblige à agir avec discrétion, dans l’ombre.

Dans ce contexte, le show médiatique qui a suivi à la capture de Joaquín Guzmán Loera, El Chapo – simple chaînon opérant d’une chaîne criminelle qui inclut hommes politiques, entrepreneurs, banquiers, militaires, policiers, juges et un long et cetera −, a concentré nombre de contradictions et a confronté les récits des États-Unis d’Amérique et de Etats-Unis du Mexique sur l’événement. Et plus que face à une action « chirurgicale » et « propre » de la Marine mexicaine avec l’appui « d’une technologie sophistiquée » US, on pourrait être face à un échange organisé.

Carlos Fazio pour La Jornada

La Jornada. Méxique, le 3 de mars 2014.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi.

* Carlos Fazio Journaliste et analyste international uruguayen résidant au Mexique, collaborateur du quotidien mexicain La Jornada, et et l’hebdomadaire uruguayen Brecha.

El Correo. Paris, le 4 février 2014.

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