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25 décembre 2002

« Si l’on organisait des élections aujourd’hui au Venezuela, Chavez serait réélu »

 

Abandon de la classe moyenne, manipulations politiques et médiatiques... Le journaliste uruguayen Aram Rubén Aharonián, correspondant à Caracas, détaille les racines du conflit vénézuélien et minimise l’ampleur de la grève.

Par Benito Pérez

Entre les communiqués triomphalistes de l’opposition et les propos rassurants du Gouvernement vénézuélien, difficile de se faire une idée précise du réel impact et des enjeux sous-jacents à la « grève générale civique », qui agite le pays depuis plus de deux semaines. Ce d’autant plus que l’on ne peut guère s’appuyer sur les médias vénézuéliens - qui ont massivement pris fait et cause en faveur des grévistes - pour essayer de démêler le vrai du faux.
Aram Rubén Aharonián, lui, n’a pas renoncé à cette « mission », qu’il a embrassée il y a maintenant vingt-huit ans. Ce journaliste uruguayen, installé à Caracas depuis 1986, préside l’association des correspondants étrangers au Venezuela. Ses contributions pour deux des plus prestigieux médias progressistes latino-américains Proceso (Mexique) et Brecha (Uruguay) ont fait sa réputation de journaliste éminemment critique. Joint mercredi soir dans son bureau de Caracas, Aram Rubén Aharonián nous livre « sa vision » de la crise vénézuélienne.

Le Courrier : En ce dix-septième jour de grève, quelle est la situation dans les rues de Caracas ?
Aram Rubén Aharonián : Elle n’a pas changé : c’est calme. La ville travaille presque normalement. La grève n’empêche pas les transports de fonctionner, de même que les banques et les administrations. Je n’ai pas constaté de problèmes d’approvisionnement, ni en nourriture, ni en aucun autre produit. Seul le combustible manque parfois.
La grève ne touche que trois quartiers de Caracas, où de nombreux commerces sont fermés. Au niveau industriel, certaines entreprises ont mis la clé sous la porte, d’un commun accord entre les entrepreneurs - qui continuent de verser les salaires - et la bureaucratie syndicale. Malgré ça, il est absurde de dire que la grève paralyse le pays. C’est un mouvement essentiellement commercial.

La production pétrolière a pourtant chuté...
Oui. Mais ce ne sont pas les ouvriers qui font l’industrie pétrolière, ce sont les cadres, les ingénieurs. Ce sont des ordinateurs, des machines. C’est ce processus productif qui est entravé par les dirigeants de Petroleos de Venezuela (PDVSA). Les cadres mènent une « grève de gestion ». Ils ont même commis des actes de sabotage. Dans un autre pays, on aurait parlé d’ »actes de piraterie économique ». Ici, on parle de « grève civique »...

Quel est l’objectif de cette agitation ? Pourquoi l’opposition n’attend-elle pas août 2003 pour faire tomber Chavez par les urnes, comme le permet la Constitution ?
Pourquoi n’attend-elle pas août ? Mais c’est la grande question ! Simplement parce que l’opposition politique n’existe pas ! C’est une constellation, un archipel. Sans chef, sans unité, sans programme autre que de dire : « Chavez démission ! »
Toutes les enquêtes démontrent que si des élections étaient organisées, Chavez l’emporterait. Depuis son émergence, il a toujours rassemblé 60% des voix contre 40% aux autres candidats. Admettons que ce rapport soit inversé : eh bien Chavez finirait quand même par l’emporter, car c’est le seul capable d’attirer une majorité.
La contestation, aujourd’hui, est menée par les médias et les entrepreneurs, sans qu’une alternative politique n’émerge. Alors, leur stratégie est de semer le chaos. Ils visent une escalade de la terreur, ils ont besoins de morts pour obliger l’armée à intervenir et neutraliser Chavez. Pour l’instant, ils ont échoué. Et, personnellement, je ne crois pas qu’ils y parviendront.

Vous ne croyez pas à un putsch ?
Absolument pas. Les forces armées ont été épurées depuis le coup d’Etat d’avril. Peut-être y aura-t-il des militaires qui s’agiteront, voire même une tentative, mais l’essentiel de l’armée soutiendra le gouvernement élu.

Les erreurs d’Hugo Chavez

Comment expliquez-vous la curieuse alliance entre la Confédération des travailleurs du Venezuela et le patronat ?
Aram Rubén Aharonián : C’est simple : la CTV n’est pas un syndicat ! C’est une bureaucratie syndicale élue depuis quarante ans par le parti Action démocratique (de l’ancien président Carlos Andrés Pérez, démis pour corruption en 1993, ndlr.). La première fois que son président a été choisi après un scrutin électoral (en octobre 2001, ndlr.), ce fut de la plus suspicieuse des façons, les procès-verbaux des décomptes ayant disparu... On comprend mieux alors pourquoi beaucoup de syndicats de base, même au sein de la CTV, ne soutiennent pas la grève.
Par ailleurs, il faut signaler que le mouvement syndical n’est pas très représentatif des travailleurs vénézuéliens. Dans ce pays, plus de la moitié des actifs travaillent dans le secteur informel. Le taux de syndicalisation national n’est que de 12%.
Personnellement, ce qui m’interpelle davantage, c’est le silence des syndicats étrangers. Pourquoi se taisent-ils, alors que l’un des leurs participe à cette curieuse alliance avec le patronat contre un gouvernement démocratiquement élu. Ne voient-ils pas que la CTV n’a aucune revendication, qu’elle mène une grève politique, subversive ?

S’il n’a pas un soutien massif, le mouvement de grève jouit toutefois de la sympathie d’une partie de la classe moyenne. Pourquoi ?
Je ne dirais pas d’une partie, mais d’une bonne majorité ! Et ce par la faute de Chavez. Il n’a jamais montré un grand intérêt pour cette classe sociale. Son objectif est de sortir les classes défavorisées de leur situation de pauvreté endémique. C’est la première fois en quarante ans que les défavorisés sont le centre d’attention du politique. Et ils le savent, on l’a vu durant les jours qui ont suivi le coup d’Etat du 11 avril.
Reste que le gouvernement n’a fait aucun effort - c’est un euphémisme - pour intégrer la classe moyenne à sa politique. Cette attitude est absurde ! Car le gouvernement a besoin de cette population formée, compétente. Il n’a pas de cadres ; le pays en général manque de gestionnaires honnêtes. En ce sens, même s’il n’a pas connu la dictature, le Venezuela est un pays dévasté.
Par ailleurs, la classe moyenne s’est laissée prendre à la propagande des médias. Ceux-ci ont su jouer sur le racisme ambiant, en laissant entendre « Ce Noir ne sait pas gouverner, il va ruiner le pays », « Chavez est laid, il ressemble à un singe », etc. Dans ce pays, où 60% des gens sont métis, le racisme est omniprésent. Alors un métis à la présidence, ça ne plaît pas à l’élite blanche...

Outre l’abandon de la classe moyenne, Hugo Chavez a-t-il commis d’autres erreurs ?
Beaucoup d’erreurs ! Par exemple, il a voulu se battre avec tout le monde en même temps. Il s’en est pris simultanément aux dignitaires religieux, aux partis politiques, à la classe moyenne... Chavez a eu la naïveté de croire que l’on peut changer en quelques mois la culture politique et sociale d’un pays.
Et comme je le signalais auparavant, il a été incapable de constituer une élite favorable à son projet. Il n’a pas de véritable appareil de pouvoir. Ni parti, ni idéologie solide. C’est un homme entouré d’adulateurs, pas de gestionnaires compétents. Reste que dans un pays véritablement démocratique, les erreurs se payent dans les urnes. Pas ailleurs.
J’aimerais aussi souligner qu’à côté de ces échecs, Chavez a aussi réalisé de bonnes choses. Par exemple, il faut reconnaître que le taux de scolarisation des enfants a subi une hausse impressionnante, depuis son accession au pouvoir. Au niveau des infrastructures, comme les routes ou les transports publics, le Venezuela a fait des progrès ces dernières années.

Et la faillite du pays, invoquée par l’opposition ?
C’est un prétexte. L’épicentre du conflit se situe dans le contrôle de la société pétrolière et d’autres richesses naturelles. Chavez essaie de les nationaliser, ce qui contrarie certains intérêts économiques.

Après le coup d’Etat d’avril, vous aviez enquêté sur les implications de pays étrangers, notamment les Etats-Unis et l’Espagne. Qu’avez-vous découvert ?
Je ne peux pas dire que les Etats-Unis ont « participé » au coup d’Etat. Mais certains fonctionnaires étasuniens, espagnols et salvadoriens l’ont fait. Et il est certain que la chute de Chavez aurait servi les intérêts de sociétés pétrolières étrangères. Notamment un groupe texan, proche du président George Bush. De même, REPSOL (groupe pétrolier espagnol, ndlr.) aimerait s’approprier PDVSA à bon prix, comme il l’a fait avec YPF (l’ex-société publique argentine, ndlr.). L’Espagne a d’ailleurs reconnu avoir financé les milieux à l’origine du coup d’Etat. Il faut encore souligner le rôle des milieux d’affaires colombiens, très proches des putschistes.

Quelle sortie voyez-vous à la grève lancée par l’opposition ?
L’opposition a besoin d’un prétexte pour sortir avec les honneurs de l’épreuve de force. Gaviria (le médiateur de l’OEA, ndlr.) et le gouvernement doivent leur offrir quelque chose. Quoi ? Je ne sais pas. Un référendum n’est pas possible sans réformer la Constitution, ce qui serait très long. Je pense qu’un accord sur un « agenda » électoral pour l’an prochain serait une solution.
Mais je crains que même si Chavez organise des élections et les gagne, les milieux qui mènent la contestation poursuivront leur entreprise de déstabilisation. Au Venezuela, comme dans la plupart des pays latino-américains, l’élite a un mépris phénoménal du peuple. Or la majorité de la population y est composée de gens humbles, d’indiens, de métis, de Noirs. D’où l’impossibilité d’avoir un gouvernement démocratique stable aujourd’hui en Amérique latine.

Le calme avant la tempête ?

A l’approche de la grande manifestation de l’opposition, prévue aujourd’hui à Caracas, le président vénézuélien Hugo Chavez a marqué, mercredi soir durant un meeting, sa détermination. Le chef de l’Etat a notamment « juré » de défendre sa révolution jusqu’à sa mort et annoncé qu’il débarrasserait la compagnie pétrolière nationale PDVSA de son « élite putschiste ».

La grève, qui en était hier à sa 18e journée, touche essentiellement ce secteur, ralentissant fortement les exportations de brut. « Derrière les efforts de blocus de la PDVSA, je ne vois rien d’autre qu’une nouvelle tentative de coup d’Etat visant à renverser le gouvernement légitime », a déclaré M. Chavez. Le président intervenait quelques heures après que la Cour suprême - favorable à l’opposition - eut ordonné au gouvernement de mettre fin au remplacement de la police de Caracas par l’armée et de rétablir dans son autorité le maire de la capitale Alfredo Pena, adversaire du chef de l’Etat.

De leur côté, les opposants se sont octroyé une « journée sans mobilisations » et ont activement préparé le défilé prévu cet après-midi à Caracas. Les anti-Chavez souhaitent faire de cette manifestation le point d’orgue de leur mouvement initié le 2 décembre.

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