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Des 49 décrets-lois adoptés en novembre 2001, et qui ont suscité la colère de l’opposition vénézuélienne, la « loi des Terres et de Développement agraire » est certainement une des plus connues et emblématiques du processus que vit aujourd’hui le Venezuela.
RISAL a rencontré Ricaurte Leonett, président de l’Institut national des terres
Par Frédéric Lévêque
Risal, 7 octobre 2003, Carcas, Venezuela
RENCONTRE AVEC RICAURTE LEONETT, DIRECTEUR DE L’INSTITUT NATIONAL DES TERRES (INTI) [1]. L’interview a été réalisée à Caracas, en juin 2003.
La réforme agraire a été officiellement lancée par Hugo Chávez Frías le 10 décembre 2001 à Santa Inés de Barinas, lieu de la bataille historique où, en 1859, les masses paysannes conduites par le « Général du peuple souverain », Ezequiel Zamora, mirent en déroute l’oligarchie terrienne. Tout un symbole pour une réforme qui a suscité l’intérêt et l’appui de nombreux mouvements, comme tout récemment celui de la plus grande organisation paysanne au niveau mondial, la Via Campesina [2].
L’échec de la réforme de 1960
Ce n’est pas la première fois qu’une loi de réforme agraire est mise en oeuvre au Venezuela. La dernière date de 1960, deux ans après l’instauration de la démocratie. Ricaurte Leonett nous explique : « En 1960, au Venezuela, une propagande mondiale a été organisée pour annoncer qu’une réforme agraire était en cours. Romulo Betancourt (Acción Democratica, social-démocrate), le président de l’époque, lança ce programme sur le célèbre champ de la Bataille de Carabobo - bataille qui permit en 1824 au Venezuela de devenir indépendante. Cette réforme consistait essentiellement à octroyer des terres à quelques paysans ». Ce type de réforme sociale était à l’époque soutenue par l’administration états-unienne dans le cadre de l’Alliance pour le progrès destinée à empêcher l’extension de la Révolution cubaine (1959) et des idées socialistes révolutionnaires.
Ricaurte Leonett : « Que se passa-t-il ? Des paysans acquirent des terres mais sans aucun moyens pour les cultiver. Pas de crédits. Ce qu’ils produisaient n’étaient pas suffisant pour survivre à la campagne. Par conséquent, et à nouveau, ils ont donné la terre aux grands propriétaires terriens . »
Cette réforme n’a donc pas donné les résultats escomptés. La répartition des terres est restée aussi inégale. Teodoro Guevara et Arturo Alvarez Vega résument dramatiquement la situation : « Savez-vous qu’à elles seules huit familles du pays possèdent conjointement plus de 150 mille hectares de terrains ? Pouvez-vous seulement l’imaginer ? Cela représente à peu près l’équivalent de dix-huit fois la surface de la capitale du Venezuela, Caracas, où vivent plus de 4 millions de personnes. Savez-vous de surcroît que ces immenses biens fonciers demeurent la plupart du temps improductifs alors qu’ils sont situés dans les régions les plus fertiles du pays ? » [3].
C’est ce que veut changer le gouvernement « révolutionnaire » à travers la loi des Terres et de Développement rural. Avec un objectif : la souveraineté alimentaire, et un obstacle : le latifundio, défini par l’article 7 de la loi : « on comprend par latifundio toute extension de terre rurale, en friche ou non cultivée qui excède les 5.000 hectares (…) ». Le président Chávez s’est beaucoup engagé dans cette réforme. Il la résume : « C’est une loi vraiment révolutionnaire, moderne (…) qui tente seulement, en vertu de la Constitution, de venir à bout du latifundio : en établissant un impôt, en régularisant la propriété de la terre, en la subordonnant à la productivité et à l’intérêt national pour atteindre de hauts niveaux d’autosuffisance, pour garantir la sécurité agro-alimentaire. Nous plaçons l’intérêt national au dessus des intérêts particuliers - comme cela doit être » [4]. Pour lui, "La propriété privée, surtout celle de la terre, n’est pas sacrée". Il a averti les propriétaires terriens qu’"une terre abandonnée est une terre pour les paysans". Et à ceux qui l’accusent d’être autoritaire, ils les a invités à se rendre "aux Etats-Unis, en France ou en Allemagne pour voir s’ils vont réussir à obtenir 40.000 hectares sans produire" (AFP , 30-03-03)
Une politique de développement rural intégral
Ricaurte Leonett : « Au Venezuela, à peine 13% de la population est rurale. 87% vit dans les grandes villes. Le paysan qui n’avait pas de quoi vivre, de quoi produire, déménageait évidemment, gonflant ainsi la population des barrios qui entourent les principales villes. Caracas est totalement entourée de grands barrios, composés fondamentalement de paysans qui sont venus chercher de meilleures conditions de vie. »
Pour contrer l’exode rural en cours depuis des années, Ricaurte Leonet affirme que le gouvernement fait des efforts pour stabiliser la population paysanne. « Pour ce faire, nous développons un programme de répartition massive de terres. Mais, corrélativement, nous fournissons du matériel, des machines : des tracteurs, des systèmes d’irrigation, des drainages, etc. On fournit aussi le financement [5]. Ce financement qui aide, au début, les paysans à faire produire leurs terres dans de meilleures conditions.
Mais nous croyons devoir aller plus loin. Nous devons mener une politique de développement rural intégral. Le développement rural est lié aux problèmes de production et de commercialisation. »
Pour ce faire, le gouvernement vénézuélien appelle constamment à l’organisation des paysans en coopératives. Le sceau de son projet économique ! La Constitution bolivarienne et la loi sur les Coopératives favorisent la production coopérative et le développement de réseaux populaires d’organisation sociale et économique. La loi des Terres encourage aussi un régime de propriété favorisant la petite et moyenne propriété des paysans organisés en coopératives. Le gouvernement stimule ce type d’organisation, mais sans négliger l’appui au producteur individuel.
Ricaurte Leonett : « Nous sommes en train de réussir l’organisation des paysans en coopératives de production. Nous menons une politique pour qu’elles s’unissent avec les coopératives urbaines de consommation afin que les produits arrivent directement aux communautés organisées des villes. De cette manière, la chaîne qui existait auparavant est rompue. Celle dans laquelle un producteur vendait toute sa production à bas prix à un commerçant équipé de transport. Cet intermédiaire la revendant à haut prix en ville, dans les centres de consommation. Généralement, une partie des bénéfices qu’aurait pu obtenir le paysan allait dans la poche des intermédiaires. Nous faisons notre possible pour casser cette chaîne, pour que les produits passent directement du producteur au consommateur. »
Mais, pour atteindre un tel objectif, l’organisation est essentielle, ce qui n’est pas toujours simple, même dans la Venezuela révolutionnaire.
En augmentant de plus de 200% le budget de l’éducation, en créant près de 3.000 écoles bolivariennes et, tout récemment, en lançant un plan national d’alphabétisation en collaboration avec Cuba - la Mission Robinson -, le président Hugo Chávez a montré à l’évidence où se situait une des priorités de son gouvernement. Pour lui, l’éducation doit permettre l’organisation populaire, pré-requis fondamental pour développer la participation et le protagonisme du peuple vénézuélien. Pour stabiliser la population paysanne, l’éducation est donc un axe de travail du gouvernement national.
Ricaurte Leonett : « Les paysans ont besoin d’un nouveau type d’éducation. Les axes des études doivent être reformulés. Il faut que les enfants commencent à comprendre ce qu’est un système hydrologique, comment construire leur maison avec du matériel alternatif comme la terre et le bois. Idem pour les écoles, elles peuvent être construites par les paysans eux-mêmes avec l’aide, évidemment, de l’État pour les machines, les cours, les formations.
La santé est un autre problème sur lequel nous devons travailler. Par exemple, dans les centre de santé, les médecins pourraient utiliser des médicaments alternatifs. Une autre médecine peut être développée à la campagne. Les communautés indigènes ont une connaissance profonde des plantes. On sait aussi que les grandes entreprises pharmaceutiques se sont appropriées la connaissance ancestrale des indigènes. Ces connaissances sont expropriées aux indigènes, emmenées à l’étranger et reviennent sous forme de médicaments importés, inventés par eux, disent-ils. Il faut que les paysans apprennent des indigènes comment se soigner avec les plantes qui les entourent.
En plus de la question de la santé, de l’éducation, de la production, de la consommation, il y a celle du logement. Les logements des paysans, aujourd’hui sont des baraques. Beaucoup de paysans totalement marginalisés vivent aujourd’hui dans des maisons qui ne sont pas réellement habitables. On doit voir avec eux comment on peut résoudre la situation.
Nous devons pousser les paysans à penser que leur avenir doit être créé par eux-mêmes. Je crois que cela, c’est le plus important. C’est l’idée d’une nouvelle démocratie où tout le monde participe à sa construction. C’est cela ce que nous sommes en train de faire dans toutes les communautés.
Il y a par exemple des communautés qui se sont organisées en coopérative et qui connaissent déjà un certain développement. Nous voulons qu’elles fassent des rencontres à la base, directement entre les paysans eux-mêmes, entre ceux qui ont déjà progressé et ceux qui ne font que commencer afin que les connaissances soient transférées à d’autres. La solidarité, l’amitié et la rencontre entre paysans pour aller de l’avant. »
Les « Fundos zamoranos » sont le meilleur exemple de cette vision intégrale du développement rural. Un peu plus d’une trentaine ont déjà été construits. Il s’agit d’un processus où différentes institutions publiques (d’assistance technique, de crédits,d’ éducation, d’infrastructure, etc.) collaborent à la construction d’unités socio-productives en appui aux coopératives paysannes. L’objectif : donner tous les instruments aux paysans organisés pour développer leur projet de vie et de production et ainsi fixer la population rurale (voir plan).
Colère de l’opposition contre la loi des Terres
Avec la promulgation des 49 décrets-lois en novembre 2001 la colère des classes possédantes vénézuéliennes éclate. Commence la campagne de déstabilisation, qui mène quelques mois plus tard à un coup d’État avorté. Le premier lock-out patronal eut lieu le 10 décembre de cette même année. A la tête de cette fronde contre les réformes économiques et sociales, une flopée d’organisations dont le patronat, Fedecameras, et la Fedenagra, la Fédération nationale des éleveurs.
Ricaurte Leonett : « La loi était à peine publiée qu’ils organisèrent une action à Caracas où ils brûlèrent publiquement la loi en question. Je suis totalement certain qu’ils n’avaient pas lu ce que la loi disait. Elle dit que les terres doivent produire. Cette loi n’est en rien anti-capitaliste. »
En effet, une des évolutions notables qu’entraîna le système capitaliste fut la destruction de la grande propriété territoriale et de la rente de la terre. La volonté d’éliminer le latifundisme n’a en soi rien de radical. La loi des Terres n’envisage pas la nationalisation. La loi consacre le droit à la propriété privée et rejette les invasions de paysans comme moyen d’appropriation. Ceux-ci doivent suivre une procédure pour acquérir des terres. La loi propose la conciliation dans le cas d’une expropriation ou de toute autre intervention de l’État. L’exemple des certificats d’amélioration des plantations est illustratif. Ricaurte Leonett : « Si une partie de leurs terres produit et une autre non, ils ont deux ans pour la mettre à produire. On leur donne le temps, jusqu’à deux ans. Ils peuvent dire : « Je peux améliorer ma plantation. Cela n’a lieu nulle part ailleurs. »
Exiger que le sol soit utilisé pour la production, pour nourrir la population, voilà une exigence légitime pour un pays qui abandonna la production agricole pour se suffire de la rente pétrolière. Ricaurte Leonett :« 85% de ce que nous consommons vient de l’étranger. Notre agriculture était appelée « agriculture portuaire ». A Puerto Cabello, par exemple, c’est là que l’on trouvait le plus d’aliments. Que voulons-nous ? La loi le dit : faire produire toutes les terres.
Mais c’est évident. Quelle est la situation ? Beaucoup de grands propriétaires terriens continuent encore à s’accrocher au latifundisme : de grandes extensions de terres sans production. Ils les louent pour produire un peu. Et eux vivent en ville de cette rente de la terre. Ici, à Caracas, vivent quasi tous les grands propriétaires terriens du pays.
Mais ce qui leur fait le plus mal, c’est qu’ils doivent présenter les documents démontrant que ce sont bien leurs terres. Car ils prétendent avoir, par exemple, 10.000 hectares quand, en réalité, ils n’en possèdent légalement que 1.000. Ils se sont approprié les 9.000 autres. Ce que nous leur demandons alors, c’est qu’ils rendent à l’État ces 9.000 hectares qu’ils ont pris afin qu’on les répartisse à des paysans, pour la production. »
Répression des paysans
La connivence entre propriétaires terriens et pontes du régime puntofijiste est responsable d’une telle situation. Des milliers d’hectares de terres cultivables appartenant à l’État sont passées dans des mains privées en toute illégalité. Ce sont ces terres, en grande partie, que l’État et les mouvements paysans tentent de récupérer aujourd’hui pour construire la sécurité alimentaire du pays et égaliser les relations sociales dans la campagne vénézuélienne. Mais, à l’évidence, les propriétaires terriens ont décidé de ne pas respecter la loi et de ne pas restituer les biens mal acquis. La violence est leur arme principale.
Ricaurte Leonett : « Ils ont assassiné 71 dirigeants paysans jusqu’à maintenant. Chaque fois qu’un dirigeant paysan commence à organiser les siens autour des terres convoitées, les sicarios (tueurs à gage, n.d.tr.) les attaquent. Ils ont des gens payés pour assassiner. Ils ont des centres d’information. Ils ont construit toute une organisation pour réprimer les paysans. Et pendant ce temps-là, ils continuent à vivre dans les villes. »
La méthode n’est pas neuve. Les terres du continent sont parsemées de cadavres de paysans, liquidés par les hommes de main des grands propriétaires. Mais comment réagit le gouvernement ?
Ricaurte Leonett : « Face à cette situation, nous avons dit que l’État, d’une manière ou d’une autre, doit protéger les paysans. Le Président aussi l’a affirmé. Pour l’instant, un groupe de l’armée et de la Garde nationale est en train d’être créé pour protéger les paysans. »
Mais le Venezuela est une pays où bien qu’ayant un gouvernement central qui se proclame révolutionnaire, certaines zones restent contrôlées par des forces d’opposition gérant leur État ou leur municipalité comme les seigneurs leur fiefs dans l’Europe du Moyen Âge. Chaque gouverneur, chaque maire a sa police.
Ricaurte Leonett : « Par exemple la semaine passée, dans l’Etat de Yaracuy, les propres propriétaires terriens sont entrés sur des terres après que la police aient désarmés les paysans. Ils sont entrés avec des groupes armés pour les frapper, brûler leurs ranchos, leur production. C’est quelque chose de terrible. Évidemment, ils ont des gouverneurs, des maires qui appuient cela. »
Parmi ces derniers, Eduardo Lapi, actuel gouverneur de l’État de Yaracuy, est un personnage connu des paysans de son État pour utiliser sa para-police, comme les pantaneros, ce commando spécialisé dans la répression, au service d’intérêts transnationaux et des propriétaires terriens. Mais tout en développant une politique répressive contre les mouvements paysans, ce monsieur est également représentant d’une opposition se proclamant démocratique puisqu’il est signataire du Pacte de Non Violence signé le 29 mai 2003, sous l’égide de l’Organisation des États américains (OEA), entre le gouvernement et l’opposition.
Ricaurte Leonett : « Nous disons que la loi des Terres est une loi pour la paix, Il n’y aura pas de paix tant que les paysans n’auront pas de terres. Il n’y aura pas de paix tant qu’il y aura des injustices. Nous demandons l’égalité pour tous. Le droit pour un paysan de cultiver une terre. »
Désarticulation de la loi des Terres !
Les partisans du statut quo n’utilisent pas que la violence pour empêcher l’application de la loi des Terres. La bataille a lieu aussi sur le plan légal. La Federación Nacional de Ganaderos a ainsi réussi à faire éliminer deux articles de la loi en introduisant un recours en nullité devant la Salle constitutionnelle du Tribunal suprême du justice (TSJ). Ces deux articles de la loi furent ainsi considérés comme anticonstitutionnels, car selon la Cour, ils violaient la propriété privée. Un victoire partielle pour ces secteurs.
Ricaurte Leonett : « Les articles 89 et 90 de la loi des Terres furent éliminés . Que disait l’article 89 ? L’Institut national des terres (INTI) pourra intervenir sur les terres qui sont en friche ou non productives, en conformité avec la loi. En fait, les paysans devaient d’abord faire une demande à l’INTI, signalant des terres en friche, propre à la production. Un rapport était réalisé. Et selon cette procédure, l’INTI pouvait immédiatement procéder à la réquisition des terres pour les paysans. Cet article a été éliminé. Ce qui veut dire que la loi a été émasculée. Il n’y a plus de processus de récupération des terres.
Le Tribunal suprême de justice a aussi enlevé l’article 90 de la loi. Ce dernier disait que les occupants illégaux des terres publiques susceptibles d’être récupérées ne pourront réclamer aucune indemnisation. Comme si on te vole ta voiture, que le voleur lui place de nouveaux pneus. Puis, la police récupère ta voiture et tu dois payer les pneus . C’est quelque chose comme cela. »
Les Cartas agrarias
Pour contourner ces obstacles à la réforme agraire, le Président de la République signa le décret n°2.292 le 4 février 2003 donnant naissance aux Cartas agrarias [6].
Ricaurte Leonett : « Elles peuvent être octroyées aux paysans pour des terres qui font partie du patrimoine de l’État. Ce sont juste des lettres autorisant l’occupation des terres et permettant de poursuivre ensuite le processus d’attribution de la terre.
Fedenaga tenta en vain de faire annuler ce décret devant la Salle constitutionnelle du TSJ. Son président, José Luis Betancourt, n’a pas manqué d’imagination pour qualifier cette mesure. Pour lui, il s’agit de « terrorisme d’État » (2001, 20-05-03). Elle permet, toujours selon lui, de « céder des terres vénézuéliennes à des Colombiens sans papiers, à qui on donne une carte d’identité vénézuélienne, et dont beaucoup seraient membres de la guérilla » (El Universal, 30-03-03).
A la différence de la précédente réforme agraire, la propriété des terres publiques n’est pas octroyée aux paysans. Ils reçoivent juste un titre pour l’usage, la jouissance et le bénéfice de ces terres. Ricaurte Leonett : « Les terres continueront d’être propriété de l’État. C’est un mécanisme pour protéger l’État si, par exemple, le gouvernement avait l’intention de développer un quelconque projet de sécurité alimentaire. Car si nous donnons la terre, immédiatement, j’en suis sûr, elle va être rachetée par de grands propriétaires terriens, ce qui laisserait l’État sans terre.
Évidemment, la loi dit que la terre peut être transférée à ses enfants ou petits-enfants qui pourront aussi la cultiver. L’important, ici, c’est de garantir l’usage de ces terres pour la production agricole et l’élevage. Si un paysan décide de ne plus cultiver la terre, l’État pourra l’attribuer à un autre. »
Les premiers acquis de la réforme
A la fin du mois de juin, Ricaurte Leonett assurait que 650.000 hectares de terres avaient déjà été distribuées et avait assuré que le chiffre d’un million et demi serait atteint fin août. Fin septembre, quelques 1.386.460 hectares avaient été distribués à quelques 60.000 familles paysannes [7]. La réforme agraire a donc véritablement pris son envol depuis le mois de février avec l’adoption du système des cartas agrarias et le lancement du "Plan Zamora". Mais elle n’a encore quasiment pas touché aux terres des grands propriétaires, même si les médias commerciaux font croire le contraire.
Ricaurte Leonett : « Avec cela et les deux millions d’hectares qui produisent pour l’instant, nous pouvons donner au pays les aliments dont il a besoin. Évidemment, il y a certains aliments que nous ne produisons pas. Le blé, par exemple. Il faut à l’évidence l’importer d’Europe, du Canada et même d’Argentine. Mais nous pouvons produire du pain avec de la farine de yuca, avec d’autres types de farines. Dans plusieurs pays déjà, en Amérique latine aussi, cela se fait. Il y a beaucoup de choses à faire. Il faut réfléchir chaque jour et se demander ce que l’on peut faire et quelle est la meilleure manière de le faire. Nous souhaitons la bienvenue à toutes les idées des gens qui désirent nous aider. »
Pour Marino Alvarado, de l’organisation indépendante de défense des droits humains Programa Venezolano de Educación - Acción en Derechos Humanos (Provea), "Les politiques menées peuvent générer des résultats positifs car il y a une vision intégrale. Mais il est prématuré de parler de résultats". (…)PROVEA a fait une étude qui révèle que des efforts sont réalisés, pas seulement dans la distribution de la terre, mais aussi dans l’octroi de crédits, de technologie et de conseils techniques", à travers la coopération Sud-Sud notamment, chère à la vision "bolivarienne" du président Chávez. "Il y a des indices qui tendent vers une réforme structurelle de la campagne. Si ces politiques continuent à être appliquées durant 10 ans, (…) je crois que oui, nous allons avoir, à moyen terme, d’importants changements dans la campagne vénézuélienne" [8].
Des changements qui ne plaisent pas nécessairement aux Etats-Unis comme en témoignent leur plainte contre le Venezuela, le 8 novembre 2002, devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ce dernier avait en effet cessé d’acheter 60% du maïs qu’il importait habituellement.
Peut-on considérer cela déjà comme le signe d’un évolution, d’un progrès ?
Ricaurte Leonett : « A l’époque de la Quatrième République, les autorités ont signé des accords qui limitent ce que nous pouvons faire. Par exemple, l’Accord de Cartagena établit que nous devons acheter tout ce qui nous arrive. Quelqu’un arrive ici et dit : « Je veux vous vendre des pommes de terre, j’en ai au Venezuela. » Tu ne peux pas refuser. Car sinon, ils saisissent le Tribunal suprême de justice et même les cours internationales, parce que tu n’as pas laissé entrer ses pommes de terre.
L’an passé, par exemple, nous avions des pommes de terre en quantité suffisante pour le pays et pour exporter. Cependant, on a dû accepter leurs pommes de terre. C’est un problème sérieux qui va nous occuper longtemps, et sur lequel vont travailler nos avocats : comment nous défaire de telles obligations. »
L’article 305 de la Constitution de la République Bolivarienne du Venezuela indique que « l’Etat favorisera l’agriculture nourricière comme base stratégique du développement rural intégral, et en conséquence il garantit la sécurité alimentaire de la population (…). La sécurité alimentaire sera atteinte en développant et privilégiant la production agricole interne, définie comme provenant des activités agricoles, rurales, de la pêche et aquicole. La production d’aliments est d’intérêts national et fondamental pour le développement économique et social de la Nation. Dans ce but, l’État réglementera les mesures d’ordre financier, commercial, de transferts de technologie, de propriété de la terre, d’infrastructure, de qualification de la main d’œuvre et autres nécessaires pour atteindre des niveaux stratégiques d’autosuffisance. En plus, il initiera les actions dans le cadre de l’économie nationale et internationale pour compenser les handicaps propres à l’activité agricole. ». C’est en rappelant cela que la délégation vénézuélienne s’est rendue au dernier sommet de l’OMC à Cancun, au Mexique. Le document explicitant sa position disait également : "Dans nos pays, l’activité agricole est fondamentale pour la survie de millions de citoyens qui, de manière ancestrale, ont occupé et préservé rationnellement de vastes espaces géographiques pour le profit de l’humanité. Les conditions de vie de millions de paysans et indigènes se verraient sérieusement affectées en cas d’inondation de produits agricoles importés, même dans le cas où ils ne seraient pas subventionnés. La production agricole est bien plus qu’une production de marchandises ; c’est, dans son sens le plus large, un mode de vie, la base de toute une culture, c’est une forme d’occupation du territoire, elle définit des modalités de relations avec la nature, elle a directement à voir avec les questions critiques de la sécurité et de la souveraineté alimentaires et pour cela, elle ne peut être traité comme une quelconque autre activité économique ou un quelconque produit ». Ces propos résument parfaitement la philosophie qui sous-tend la réforme agraire aujourd’hui au Venezuela.
NOTES :
[1] Ricaurte L. Leonett était à l’époque de l’interview vice-Ministre de l’Agriculture et du développement intégral. Il a été nommé cet été à la direction de l’Institut national des terres en remplacement d’Adan Chàvez.
[2] Voir "La Via Campesina appuie la réforme agraire et le mouvement paysan eu Venezuela", mai 2003
[3] Extrait de Teodoro Guevara et Arturo Alvarez Vega, « Venezuela : des lois pour dépasser la pauvreté et la dépendance » in « Vía Campesina, un alternative paysanne à la mondialisation néolibérale »
[4] Extrait de Heinz Dieterich Steffan, « El gobierno no está aislado, la Revolución avanza y se profundiza, Entrevista a Hugo Chávez », Rebelión.org, 11 décembre 2002.
[5] Notons, par exemple, qu’un décret présidentiel, la Cartera agrícola, obligent les banques privées et publique à destiner 12% de leurs crédits au développement agricole.
[6] Ce décret fut accompagné de la résolution n°177 de la présidence de l’Institut national des terres (11 février 2003).
[7] Chiffre cité dans "INTI entregará 181.438 has. en Delta Amacuro - El Plan Zamora beneficia a casi 60 mil trabajadores rurales", Unidad de Gestión Comunicacional INTI, 29-09-03.
[8] "Marino Alvarado : Al gobierno le falta tocar los intereses de los terratenientes", ADITAL, 14-08-03.