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17 février 2009

« Réélection illimitée » pour la Venezuela...

 

C’est difficile de s’opposer aux aspirations du président du Venezuela Hugo Chavez lors des élections de demain, bien que la phrase « réélection illimitée » fasse un peu d’un bruit.

Par Santiago O’Donnell
Página 12 . Buenos Aires, le 15 février 2009.

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Les peuples ont de la mémoire. L’homme qui demande le vote de ses citoyens a été, dans les dix dernières années, et il est toujours le leader incontesté de la plus grande transformation sociale dans l’histoire de son pays, et il l’a fait à partir de l’échec d’un système politique plongé dans la banqueroute et la corruption, expression de ce qui a été l’explosion sociale de 1989 connue comme le Caracazo.

Le livret de campagne Elegir sans limitations, que ses sympathisants distribuent à tout le monde résume très bien certaines des principales réussites de la gestion chaviste. La pauvreté extrême a été réduite de 17,1 à 7,9 %. Le taux de scolarisation a augmenté et celui de pré-scolarisation a grimpé de quarante à soixante pour cent. La représentation législative féminine s’est accrue et quatre femmes dirigent aujourd’hui la Cour suprême, la Procuration Générale, le Conseil National Électoral et l’Assemblée Nationale. Le taux de mortalité infantile est tombé de 27 pour mille à quatorze pour mille. L’accès à l’eau potable est passé de quatre-vingts à quatre-vingt-douze pour cent. Le coefficient d’inégalité entre les foyers a beaucoup baissé, le pays a gravi des marches dans le classement de développement humain de l’ONU, l’espérance de vie a progressé, le chômage abaissé, le travail officiel a progressé par rapport au travail au noir, des millions de retraités ont été régularisés, la consommation alimentaire s’est accrue 170 %, etc., etc.

Ce n’est pas que la révolution bolivarienne ait été parfaite, ni l’inverse : Le Venezuela est le pays le plus insécure de la région, son économie ne s’est pas diversifiée, la croissance de son produit national brut a été plus lente que certains l’attendaient, et l’inflation - qui est un impôt aux pauvres - est de loin la plus élevée de la région. De plus, le Pouvoir Judiciaire vénézuélien a donné de clairs exemples de soumission à l’Exécutif qui à son tour domine la représentation à l’Assemblée Législative avec une majorité écrasante. Mais il est difficile de rendre compte en peu de lignes de l’impact que produit l’activation politique de vastes pans de population, en leur faisant bénéficier des services de l’État après des décennies d’absence et d’indifférence néolibérale.

Devant cette réussite indéniable une opposition dispersée et confuse se présente, sans leader représentatif et de propositions claires pour une alternative de gouvernement qui séduise l’électorat. Une opposition qui a perdu son drapeau idéologique quand est tombé le mur de Wall Street, qui porte sur son dos les relents de la vieille et échouée « partidocracia », et qui a repris la voie démocratique seulement après avoir essayé un coup d’État, un blocage patronal pétrolier, un boycott des élections législatives et, finalement - entrant dans le jeu électoral - un référendum révocatoire. Une opposition financée par le capital transnational qui dispute au chavisme avec un succès croissant la représentation des couches moyennes, mais qui a fait peu et rien pour gagner la confiance du peuple.

Du point de vue tactique, pour Chávez un triomphe aujourd’hui signifierait tourner le dos à l’unique échec électoral qu’il a connu durant son mandat, où il a gagné onze des douze élections. Ce fut, il y a deux ans, quand Chávez a inclus la possibilité de sa réélection illimitée dans une proposition ambitieuse de réforme constitutionnelle, qui entre beaucoup d’autres choses comprenait la réduction de la semaine de travail à 36 heures. Cette fois on a peu parlé d’autres changements et le débat s’est justement concentré sur la réélection possible du président, qui selon les enquêtes était l’article le moins attractif de l’offre chaviste. L’opposition, quialors connaissait une hausse, avant la crise mondiale, a fini par gagner par moins d’un point. Chávez a appris de cet échec. Après avoir étudié les résultats, il a découvert que trois millions de personnes qui votaient s’étaient abstenues ou avaient voté contre. Et comment a-t-il pu se passer quelque chose de pareil ? Il en ressort que l’une des idées incluses dans sa proposition constitutionnelle était la création "des conseils communs", une espèce de bureaucratie prolétaire et paysanne parallèle à la bureaucratie bourgeoise existante.

Mais voilà qu’en tête de la bureaucratie menaçante se trouvaient les gouverneurs et les maires, les mêmes responsables qui ont bloqué le vote pour des réformes qu’un concurrent créait pour leur disputer une légitimité politique et, d’une manière plus tangible, les ressources économiques de l’État. Selon les mots de Chávez, cette élection a été perdue parce qu’il y a eu des maires et des gouverneurs clefs qui "n’ont pas joué" qui n’ont pas été mobilisés pour faire voter.

Sur un plan plus idéologique, Chávez est arrivé à la conclusion que le peuple vénézuélien, encore une fois selon ses mots, n’était pas "suffisamment mûr", pour le rythme qu’il avait cherché à imprimer à la transition du capitalisme vers ce qu’il appelle le "socialisme du XXIe siècle".

Après la bataille perdue, en bon militaire, Chávez s’est regroupé, a mesuré le rapport des forces, a relevé le théâtre des opérations et a relancé son attaque quand il a senti que les circonstances lui étaient favorables. Le regroupement a commencé portes fermées. Sans bruit et sans difficultés, Chávez a réorganisé son cabinet et s’est préparé aux élections municipales de l’année passée, en récompensant les plus loyaux et les efficients, en déplaçant les autres, en évitant les saignées superflues. Pendant ce temps, pour la tranquillité des "immatures", Chávez a baissé le ton de son discours élitiste et anti-impérialiste, il a réduit l’impôt sur les bénéfices des entrepreneurs, s’est fait ami et a donné l’accolade au roi de l’Espagne, et a repris la relation économique avec son associé principal et voisin commercial, la Colombie, après une crise diplomatique issue de différentes interprétations du phénomène guerrillero des FARC.

Cela fait, Chávez a tâté le terrain et il a vérifié, lors des élections municipales de l’année dernière, que bien qu’il ait perdu la capitale et les quatre états qui dominent l’économie, le chavisme conservait un avantage confortable au niveau national. Du point de vue électoral, après dix ans de pouvoir, il était pratiquement intact.

Alors Chávez est passé encore une fois à l’attaque et il a choisi le faire en cherchant à gommer la victoire unique que pouvait revendiqué l’opposition, celle d’avoir freiné la possibilité de prolonger le pouvoir. On ne peut pas nier que la proposition de Chávez démontre une honnêteté brutale. Plus d’un président a essayé de rallonger son mandat, mais dans tous les cas, que ce chroniqueur rappelle, le président en question a dissimulé son ambition dans un plus vaste paquet de réformes constitutionnelles. Honnête mais non ingénu : pour s’assurer l’appui des gouverneurs et maires, cette fois Chávez a remisé son projet de Conseils Communautaires et pas seulement cela : dans sa nouvelle proposition il a étendu la possibilité de faire réélire tous les fonctionnaires élus par un vote populaire.

Les enquêtes semblent donner raison à Chávez. Selon Datanálisis, cabinet qui a correctement prédit l’échec du chavisme en 2005, le Si aujourd’hui s’impose au Non, même si les résultats restent ouverts, et que l’abstention peut être déterminante.

Mais les Vénézuéliens ne votent pas aujourd’hui pour un candidat, ni pour une tactique, ni pour un programme de gouvernement. Ils votent sur un système de représentation.

Selon Chávez et ses partisans, il s’agit d’une extension des droits du peuple parce qu’il élimine des restrictions pour la présentation de candidatures. "Toute réduction du droit à la réélection illimitée signifie constitutionnellement la remise d’une partie substantive du pouvoir politique des majorités aux élites", écrit Heinz Dieterich dans le blog "Mariátegui". Peut être, mais les limites au nombre de candidatures n’ont pas été créées pour ennuyer des leaders illuminés, mais pour empêcher que les gens comme Luis Patti puissent exercer des charges publiques. À cet esprit "hobbesien", la limite temporelle, pensent certains , n’est pas dirigée contre celui qui gouverne bien. Son objectif est plutôt d’éviter qu’un mauvais homme politique s’installe longtemps au pouvoir, ou qu’un bon se transforme en mauvais et s’installe au pouvoir. Ou que l’ambition du pouvoir illimité fase qu’un bon homme politique devient mauvais.

Pourquoi, bon, il faut le dire, le peuple quand il vote peut se tromper. Les Allemands ont voté pour Hitler. C’est certain, la médiation des institutions, l’équilibre de pleins pouvoirs et l’alternance dans le gouvernement de la soi-disant démocratie moderne n’ont pas empêché l’ascension au pouvoir d’un fanatique assassin comme Bush. Mais pour Bush ce fut plus difficile qu’Hitler et Hitler a pu arriver plus loin. Ce sont les quotidiens américains qui ont publié les photos d’Abu Graib et de Guantanamo et, après une période de confusion, et qui ont pris la tête des plaintes pour séquestrations et tortures. Et c’était les organisations de droits de l’homme, dont le siège est aux États-Unis qui ont joint les preuves, et ce sont les tribunaux américains qui jugent les affaires qui compromettent le plus les responsables et ce fut le peuple américain qui lui a dit assez à la guerre en Irak en 2005 et l’année dernière ça suffit au néolibéralisme et à la révolution culturelle néoconservatrice. Parfois les contrôles que les institutions imposent aux gouvernants peuvent servir. C’est certain, parfois ils ne servent à rien, mais ce n’est pas clair non plus, que l’élimination de ces contrôles institutionnels favorise l’ensemble de la société.

Il ne convient pas non plus d’oublier ou de repousser pour plus loin le problème de la succession. Chávez exerce ce qui en sciences politiques est connu comme "un leadership charismatique". Kenneth Jowitt, l’un des experts principaux de l’ Union soviétique, enseignait à Berkeley que les successions de leaders charismatiques sont presque toujours traumatiques et font courir un risque à la continuité des réformes de la période précédente. Bien que ce ne soit pas les seuls, les régimes communistes ont beaucoup d’expérience avec ce problème. Les nord-vietnamiens n’ont jamais accepté de leadership charismatique et tout au plus tous les six ans le parti change le chef du Gouvernement, de plus il ne peut pas présider le parti. La Chine a récemment pu éviter les successions traumatiques quand elle a éliminé le leadership charismatique. Elle l’a fait en adoptant une règle non écrite qui limite les présidents à des mandats de quatre ans, avec la possibilité d’une réélection. La succession à Cuba est moins traumatique que l’on pouvait s’y attendre, mais quelques changements semblent inévitables. Ainsi Fidel Castro a semblé le comprendre : après avoir choisi son frère comme successeur - au lieu d’un jeune cadre - il s’est assuré que mandat de gouvernement sera beaucoup plus court que le sien. Seul le régime anachronique charismatique de la Corée du Nord a survécu au changement de siècle.

Chávez ne se base pas sur ces exemples mais sur ceux de l’Europe occidentale pour défendre les avantages supposés d’une possible réélection illimitée : il dit que cette possibilité existe dans vingt-sept pays de l’Union Européenne. C’est certain, mais il existe dans ces pays des contrôles verticaux et horizontaux qui sont absents dans le système présidentiel vénézuélien. Le parlementarisme européen sépare les fonctions de direction de Gouvernement et de la direction de l’État, faisant du chef d’État une espèce de tuteur des biens de l’État que gère le gouvernement. Le parlementarisme européen dote la législature du pouvoir de changer le gouvernant pour des raisons strictement politiques, à travers d’un vote de défiance. Cela oblige le gouvernant à soigner sa majorité législative et la manière de le faire est de partager le pouvoir. De même, que le fait que le présidentialisme avec possibilité de réélection illimitée ne soit pas pratiqué dans le reste de monde ne veut pas dire qu’il est mauvais. Dans les faits, il implique un transfert de pouvoir en faveur du président depuis les institutions supposées chargées de le contrôler. Le pouvoir concentré a ses avantages : il est plus rapide, plus résolutif, il sert affronter des menaces externes et discipliner la société civile. Mais il a l’habitude d’être brutal avec les minorités que consciemment ou inconsciemment, il ne veut représenter.

En ce qui concerne les conséquences à long terme pour la survie de la révolution bolivarienne, même les chavistes reconnaissent que la nécessité apparemment impérieuse que Chávez reste à la présidence au-delà de 2013 est un signe de faiblesse. "Son rôle, efficacité et vision politique aujourd’hui le rendent irremplaçable. Chávez exprime une force de la révolution autant que la faiblesse de celle-ci... et cela appelle à l’inquiétude naturelle quant à l’impossibilité d’avoir généré à l’avenir des alternatives de conduite et de continuité", remarque le journaliste Roque González de la Rose dans un article qui appuie cependant avec ferveur la posture de SI.

C’est pourquoi il est difficile de s’opposer aux aspirations de Chávez, mais plus difficile est encore de comprendre comment c’est un service fait à la révolution bolivarienne en renforçant ce qui se présente comme sa plus grande faiblesse, soit, "l’impossibilité de générer des alternatives de conduite et de continuité". Tout cela en échange d’une victoire tactique qui vient toujours bien mais qui n’apparaît pas comme indispensable, étant donnée la pauvreté évidente et le manque de propositions alternatives.

Enlever à Chávez un aiguillon concret pour préparer sa succession, c’est lui enlever un aiguillon pour qu’il renforce ses buts par la voie institutionnelle. Autrement dit, c’est enlever des chances de survie à sa révolution ou programme des réformes au-delà de son mandat. C’est pourquoi, cela fait du bruit "une réélection illimitée" : parce que bien que la phrase suggère le contraire, rien n’est pour toujours. Même Chávez, bien que cela soit difficile de l’accepter.

Traduction d l’espagnol pour El Correo de  : Estelle et Carlos Debiasi

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