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4 décembre 2009

Obama contre l’Amérique Latine
Raúl Zibechi

par Raúl Zibechi *

 

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Le panorama politique régional commence à prendre forme alors que n’est pas encore terminée la première année de l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche. Les bases militaires en Colombie, le coup d’État au Honduras et la légitimation des élections par Obama, la menace de démettre Fernando Lugo de la présidence du Paraguay et le triomphe possible de la droite au Chili sont pour le moins les révélateurs d’un virage profond dans une région qui avait vu une avancée des forces de gauche depuis le début du nouveau siècle.

Comme le soutient Immanuel Wallerstein, il est certain que les droites de la région obtiennent un meilleur score avec Obama que pendant les gouvernements de George W. Bush, et que cela est en relation avec les difficiles équilibres que traverse la politique interne des États-Unis, qui affaiblissent la position du président, situation dont tire partie la droite régionale. Cependant, il y a au moins deux faits additionnels à prendre en compte. Est-il aussi certain le présupposé selon lequel que l’Amérique Latine n’est pas prioritaire pour les États-Unis ? En parallèle, je ne crois pas qu’on puisse séparer l’actuelle offensive de la droite du faible résultat des gouvernements progressistes de la région.

Sans doute les États-Unis ont leurs priorités fixées en Asie - Irak et Pakistan - où ils espèrent pouvoir contenir leurs rivaux et s’assurer des flux d’hydrocarbure pour maintenir leur hégémonie globale. Mais nous ne pouvons pas oublier que l’Amérique Latine fut la première marche qu’ils ont ont dû grimper pour devenir une superpuissance mondiale. Sans ce pas, il est très probable qu’ils ne seraient jamais parvenus à la place qu’ils ont occupée. Je crois qu’il y a trois raisons pour considérer que la Maison Blanche et le Pentagone travaillent fort pour inverser la détérioration de leur hégémonie dans la région. La première, est que cela continue d’être un espace privilégié pour freiner ou décélérer leur chute comme puissance. En Amérique Latine, ils peuvent accéder aux ressources hydrocarbonés dont ils sont besoin, à la biodiversité pour se propulser comme le principal détenteur des nouvelles technologies (bio et nano), et pas moins que le matelas géographique et politique qui lui octroie la sécurité dans un monde de plus en plus instable.

En deuxième lieu, la région est de beaucoup le lieu de la planète d’où ont surgi les plus grands défis face à la domination tant impériale que du capital, double défi qu’ils ne trouvent pas ailleurs. Les processus de changements au Venezuela et en Bolivie, ajoutés aux opportunités de réformes ouvertes au Paraguay, en Équateur, et aux gouvernements qui repoussent le Consensus de Washington au Brésil et en Argentine, mais aussi au Salvador et au Nicaragua, dessinent une scène inquiétante pour les États-Unis.

Finalement, l’existence du Brésil, l’une des deux ou trois puissances émergentes dont l’influence se répand dans leur ex -arrière-cour, suppose un problème de grande envergure, comme le démontre la réaction face à la visite du président d’Iran, Mahmud Ahmadinejad, à Brasilia. Le récent échange de lettres entre Obama et Lula révèle que le conflit principal dans la région n’est pas entre la Maison Blanche et Chávez, mais avec le Brésil. Les points de friction sont trop nombreux : conférence sur le climat à Copenhague, round de Doha, Honduras, Iran, Moyen-Orient et Haïti. Obama a dit qu’il légitimait les élections de Micheletti et Lula a parlé de « déception » ; Obama s’était permis de faire des suggestions sur le programme nucléaire iranien, et Lula s’est mis en colère et a soutenu sans détours Ahmadinejad.

A Manaos, Lula s’est lâché en disant que, « qu’aucun gringo ne vienne demander que nous laissions les amazoniens mourir de faim » pour sauver la forêt. Marco Aurelio García, son conseiller international, a dit que l’appui d’Obama aux élections du Honduras « est très mauvais pour la relation des États-Unis avec l’Amérique Latine" » Une crise conjoncturelle ? Oui, mais aussi un choc d’intérêts de longue date, qui ne peut que tendre les relations bilatérales et régionales.

Du point de vue régional, le Brésil est une menace similaire ou plus grande que la Chine pour l’hégémonie étasunienne. Le Brésil possède le septième des réserves mondiales d’uranium et peut compter sur les cinquièmes de pétrole, il a la plus grande biodiversité de la planète, et est appelé à occuper une place déterminante mais, surtout, pour remplacer le rôle hégémonique des États-Unis en Amérique du Sud. Une perspective appelée à déstabiliser la domination globale de l’ex-superpuissance.

Si nous acceptons, comme le GEAB 2020, que nous entrons dans la phase du démantèlement géopolitique mondial faisant partie de la crise systémique, rien ne va rester à sa place. Un pays qu’on prétend hégémonique mais qui ne peut déjà même pas contrôler l’Afghanistan, dont la dette publique représente 125% du PIB, dont les Forces Alliées sont très affaibliées et qui traverse une situation interne de fracture profonde sociale et politique, ne peut pas se permettre que des fissures profondes soient ouvertes dans sa cour arrière.

Il est certain que les États-Unis ont encore beaucoup de marge de manœuvre. Les multinationales minières qui plument la région andine sont Etasuniennes et Canadiennes, ainsi que les propriétaires des « pacs » technologiques pour le soja et d’autres monocultures, et qui à pas de géants s’approprient la biodiversité. De plus, les gouvernements de la région font leur travail, comme Lula, après avoir financé des multinationales brésiliennes pour qu’elles concourent avec celles du nord, renonçant à créer des entreprises étatiques comme cela fut le cas pendant la période desarrolliste. Avec cela, il facilite la croissance d’une bourgeoisie puissante qui travaille activement pour la droite.

Enfin, l’usage de la force. Le Honduras nous apprend que ce recours est intact et que tous les retards acceptés par la Maison Blanche n’ont fait que légitimer un nouveau type du putschisme. Nous ne verrons plus de chars et d’avions prenant d’assaut des palais présidentiels, mais des institutions étatiques qui font le sale travail. A l’avenir il faudra moins écouter les discours et plus les faits, et continuer à se préparer pour gagner les rues où continue à se jouer la possibilité de modifier la relation de forces.

Traduction de l’espagnol pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi.

La Jornada</U> . Mexico, le 4 Décembre 2009.

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