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23 de marzo de 2004

« Nous ne sommes pas capables d’abolir le capitalisme », Susan George

 

Par Thierry Brun
Politis, 26 février 2004

Dans « Un autre monde est possible si ? », Susan George jette un regard sans concession sur le mouvement altermondialiste. Elle souligne la nécessité de rester réaliste et de déterminer clairement les actions possibles.

Vous ajoutez un « si » au slogan des altermondialistes, avec le titre « Un autre monde est possible si... ». N’est-ce pas un avertissement que vous adressez à ce mouvement ?

Susan George : J’essaie de m’adresser à la fois à ceux qui ne connaissent pas le mouvement altermondialiste, qui veulent simplement savoir de quoi il s’agit et pourquoi nous sommes là, et à ceux qui sont déjà dans le mouvement. Un passage du livre a été éreinté dans Le Monde parce que, dans un chapitre, j’explique comment attirer les citoyens et les faire rester dans le mouvement. Une petite organisation, du genre de la Ligue communiste révolutionnaire, ne changera pas le monde. Aujourd’hui, l’offensive contre tous les acquis sociaux et politiques est suffisamment grave pour qu’on essaie d’attirer le maximum de citoyens, qui ne se considèrent peut-être pas encore comme des militants.

Parfois, on a l’impression que tout est fait pour chasser la personne qui vient timidement s’enquérir de ce qu’elle peut faire alors qu’elle n’est pas dans le sérail. J’ai moi-même connu cette situation. En 1967, j’étais à Paris, outrée par la guerre du Vietnam, et je ne savais pas quoi faire. J’étais mère de famille, j’avais terminé ma licence de philo à la Sorbonne, et je n’avais rien de commun avec les maoïstes et les trotskistes qui y proliféraient. Je suis tombée sur un article de Noam Chomsky dans le New York Review sur la responsabilité des intellectuels et je lui ai écrit. Il m’a répondu, de Cambridge, Massachusetts, qu’il y avait un groupe d’Américains à Paris contre la guerre du Vietnam. C’est comme ça que je suis entrée dans un mouvement que je ne connaissais pas. Je pense qu’il existe un grand nombre de personnes dans ce cas, qui se disent qu’il n’y a probablement rien à faire mais veulent tenter le coup.

En même temps, vous prévenez qu’il ne faut pas se tromper d’adversaire...

Bien sûr. Du moins je commence par dire ce qui pour moi n’est pas un adversaire. Le marché, en tant que tel, est-il l’adversaire ? Je pense que non. Tout le problème est de savoir ce qui y est inclus et ce qui ne doit jamais l’être. Il s’agit de bloquer cette tentative de mettre dans le marché l’éducation, la santé, la culture, les services publics, l’eau, etc. Cet effort de marchandisation est le reflet d’intérêts et, en dernière analyse, du capitalisme. Mais c’est décourageant, effrayant même, de s’entendre dire qu’il faut abattre un système qui n’a cessé d’étendre et d’approfondir son emprise depuis des siècles. À supposer que l’on veuille démanteler le capitalisme ­ je veux bien ! ­, il faut au moins savoir où est son point d’appui pour l’attaquer. Est-ce la Bourse de Wall Street ? Le 11 Septembre l’a ébranlée mais en quelques jours elle est repartie de plus belle. Est-ce qu’il existe une classe ouvrière internationale pour abattre ce capitalisme ? Je n’en vois pas. La seule classe internationale visible est celle qui se déplace à Davos, en Suisse, au Forum économique mondial. Il faut un effort de réalisme pour déterminer sur quoi doivent porter nos efforts.

Vous allez jusqu’à dire que les discussions du type « faut-il renverser ou abolir, réguler ou réformer le capitalisme » sont des arguties ésotériques...

Ce sont des discussions qui ne vont nulle part, parce que l’histoire n’est pas entre nos mains. On ne sait pas, on fait ce que l’on peut en espérant que le résultat final sera un système tout autre que celui d’aujourd’hui. Pour moi, les victoires politiques sont presque toujours graduelles, parcellaires, incomplètes. Si l’on parvient à renverser le capitalisme, ce ne sera qu’au travers d’un processus extrêmement douloureux : écroulement des institutions financières mais aussi des économies, des retraites, des assurances des gens ordinaires. L’histoire nous apprend que cela peut aussi conduire au fascisme. Il est vrai que notre structure financière est absolument disproportionnée par rapport à l’économie réelle et qu’elle pourrait s’écrouler. Mais, là aussi, que se passe-t-il dans la pratique ? Aux États-Unis, après des faillites retentissantes portant sur des dizaines de milliards de dollars et spoliant des dizaines de milliers d’employés, une mesurette est votée, la loi Sarbanes-Oxley, qui aménage à la marge les audits ­ ils ne doivent plus être des audits maison. Cela n’a rien à voir avec une réforme fondamentale. En Europe, les deux plus grosses firmes agroalimentaires italiennes, l’équivalent de Carrefour aux Pays-Bas et bien d’autres groupes encore sont emportés dans des faillites frauduleuses. Tout le monde le sait. Mais aucune proposition de loi n’est faite pour mettre tout cela à plat. Faut-il essayer de provoquer un effondrement de cette bulle ? Le mouvement altermondialiste pourrait-il le faire s’il le souhaitait ? Je ne pense pas qu’il en soit capable, à supposer que cela soit souhaitable. L’idée que nous pouvons provoquer l’effondrement du capitalisme paraît complètement délirante.

Vous espérez pourtant qu’un mouvement pour une justice globale remette les choses à plat. De quelle manière ?

Je préfère l’appellation « mouvement pour une justice globale » au terme « altermondialiste ». Elle pose clairement que nous sommes internationalistes, qu’il s’agit de justice et donc de droits dans le monde. Quelles sont les visions du possible pour ce mouvement ? Ce n’est peut-être pas révolutionnaire, mais je trouve que le modèle européen du welfare state tel qu’il a été imaginé dans les années 1930, puis après la guerre, serait un modèle plus qu’acceptable pour le monde entier. Il n’est pas réalisé, y compris chez nous, mais, dans l’idéal, il est fondé sur le concept de solidarité intergénérationnelle, de résolution des conflits sur la base du droit et de la négociation, de service public. Je préfère traduire welfare state par « État du bien-être » plutôt que par « État providence », car c’est un État qui essaie de faire en sorte qu’on n’ait pas constamment, individuellement, peur du chômage, de la vieillesse, de la maladie, de ne pas pouvoir correctement éduquer ses enfants. Le modèle européen a été une tentative d’instaurer ce type de relations entre le citoyen et l’État. Il serait un modèle universel réaliste. Le monde est assez riche pour le faire. Si l’on se pose la question de qui peut le porter, je ne vois que l’Europe. Mais elle prend malheureusement le chemin opposé. C’est là que la responsabilité du mouvement pour une justice globale en Europe est écrasante. C’est à nous d’essayer de réorienter ce qui se passe aujourd’hui en France. Le Medef n’hésiterait pas à nous ramener au XIXe siècle s’il le pouvait, et il ne se demande pas qui va continuer à faire tourner l’économie, et qui en sera exclu.

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