recherche

Accueil > Empire et Résistance > Union Européenne > France > Mythes et réalités de la débâcle en France

22 septembre 2014

Mythes et réalités de la débâcle en France

par Rafael Poch de Feliu*

 

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

Dans le discrédit de Hollande, au plus bas de l’histoire de la Ve République, se mélangent le feuilleton, un découragement généralisé et le manque de caractère pour contester certaines légendes.

Le discrédit de François Hollande est tombé au plus bas de l’histoire de la Ve République : seulement 13% des Français lui font confiance, selon le dernier sondage. Parmi des conséquentes difficultés d’alcôve et quelques légendes économiques, l’effondrement du président-de cinq points depuis le sondage précédent, il ya seulement deux mois- semble entrainer le Premier ministre Manuel Valls, un homme qui a continuellement lancé des lignes vers la droite et le patronat, et qui a perdu 14 points durant la même période, conservant un soutien de 30%.

Le sondage, publié hier, a été réalisé avant la publication de l’ouvrage - demi témoignage, demi business opportuniste, de l’ex compagne du président, Valérie Trierweiler, femme jalouse et pleine de ressentiment qui lave un peu le linge sale du couple dans la transe de leur séparation et qui avec la première édition de 200 000 exemplaires, arrivée hier dans les librairies, se serait mis dans la poche un demi million d’euros.

La presse a publié sous forme condensée deux ou trois pages manifestement épicées que contient ce livre de plus de 300 pages. Bien que la société soit tolérante dans le domaine amoureux, et qu’il y a une séparation claire de la vie privée de la vie politique, le livre peut être dévastateur, car il pleut sur du mouillé.

Hollande a pris ses fonctions en promettant de mettre fin au style vulgaire de l’histrionique Nicolas Sarkozy, le premier président français qui a intégré de façon médiatique sa vie privée à la politique en donnant de quoi se mettre sous les dents aux médias. « Je serai un président normal » a-t-il dit. Sans le vouloir, Hollande semble prêt à surpasser son prédécesseur.

Plus de huit Français sur dix ne font pas confiance au président. Tout le monde est malheureux. La droit économique, française et internationale, qui contrôle les médias, est mécontente parce qu’il lui semble que Hollande n’est pas assez « allemand » dans la politique d’austérité et aussi parce qu’il n’a pas assez démantèle l’Etat et le secteur public, qui en France sont encore importants.

La gauche appelle à un changement de ligne dans une direction keynésienne pour affronter l’Allemagne. Les derniers ministres du gouvernement qui réclamaient cela viennent d’être renvoyés. Des deux côtés de l’échiquier politique, le nationalisme français et un sens élémentaire de souveraineté frustrée, expriment un autre mécontentement général qui, pour l’instant, est capitalisé par le Front National d’extrême-droite.

Le bilan économique de ces deux années, mesuré dans le taux de chômage, la compétitivité et les exportations, n’est pas bon. Le taux de chômage, à un niveau idyllique vu de l’Espagne, augmente lentement, mais le soupçon que les recettes appliquées ne fonctionnent pas fait son chemin. Les réductions des coûts de main-d’œuvre ne produisent pas plus d’investissements, et la discipline budgétaire asphyxie les moteurs de l’économie, ce qui fait que le déficit reste.

Hollande est devenu président à la suite d’un hasard que dépeint parfaitement l’état de la social-démocratie européenne : d’abord, le candidat de son parti, qui est appelé « socialiste », n’était rien de moins que le patron du Fonds monétaire international, l’organisme chargé de l’approfondissement des catastrophes économiques en Amérique Latine dans les années quatre-vingt et dans la plupart des pays en développement. Son nom était Dominique Strauss-Kahn (DSK), mais il s’est avéré être une sorte de monstre sexuel. Dans son livre, la Trierweiler explique que quand il a su que DSK s’avait couvert de gloire pour avoir bondi sur une femme de chambre d’un hôtel de New York, Hollande a commencé à faire des paris politiques ...

Mais si tout cela, l’économique, le socialisme dégénéré et mélodramatique, s’avère dévastateur pour l’image de Hollande, cela ne permet pas d’expliquer la situation. Pour ce faire, vous devez vous rappeler comment le président actuel de 13% a été reçu au printemps 2012, quand il était le seul candidat.

The Economist, la « Pravda » du marché de la City de Londres, consacre donc sa couverture au « dangereux Monsieur Hollande » parce qu’il est arrivé au pouvoir ne voulant pas être un « président normal » mais surtout, parce qu’il a promis de faire face au secteur financier (« c’est mon ennemi », avait-il dit) et réorienter la politique désastreuse pour l’Europe de Berlin, visant à assurer que le secteur financier responsable du crack de 2008 va encaisser jusqu’au dernier centime toutes ses dettes au détriment de l’Etat Social sur lequel repose la démocratie européenne.

Aujourd’hui, c’est déjà plus que clair que Hollande n’est pas un danger, mais la France, par sa tradition et son statut social, reste le seul grand pays ayant la capacité de tenir tête à Berlin et aux banques, organisant une coalition de pays et de majorités sociales intéressées par un changement pour passer à autre chose. Comme le répète le Prix Nobel d’économie Paul Krugman, c’est la logique profonde du « French bashing », le dénigrement de la France, de son « excès d’État » (lorsque la crise est le résultat des excès de la déréglementation) et sa prétendue « catastrophe », répétée ad nauseam partout.

La réalité simple, dit Krugman, est que, avec tous ses problèmes, la France va mieux que les pays « corrects » comme les Pays-Bas et la Finlande. On pourrait ajouter que la France se développe au-dessus de la moyenne européenne, bien qu’elle exporte moins, elle a une économie plus diversifiée que l’économie allemande, la croissance de l’année dernière la place juste un peu derrière l’Allemagne (0,3%, par rapport à 0,4% outre-Rhin), et la dynamique de son marché intérieur et ses caractéristiques démographiques ne sont pas mauvaises, et certainement beaucoup plus solides que celles de l’Allemagne qui accusent les effets de la précarisation à outrance qui fige la capacité d’achat de millions de consommateurs et décourage les jeunes à fonder une famille et avoir des enfants.

En lisant la presse, y compris la presse française, il y a quelque chose à étudier- quand l’on arrive à Paris en s’attendant à voir quasiment un champ de ruines et l’on trouve quelque chose de complètement différent. Paraphrasant les hymnes de la Pologne et de l’Ukraine, la France, pour démoralisée quelle soit n’est « pas encore perdue ». Bien que son président soit à 13%, il y a encore de la vie au-delà de la triste austericide européenne.

* Rafael Poch correspondant à Paris pour La Vanguardia

Version originale : « Mitos y realidades de la debacle de Francia ».

La Vanguardia. Barcelone, le 6 Septembre 2014.

* Rafael Poch, Rafael Poch-de-Feliu (Barcelone, 1956) a été vingt ans correspondant de « La Vanguardia » à Moscou et à Pékin. Avant il a étudié l’Histoire contemporaine à Barcelone et à Berlin-Ouest, il a été correspondant en Espagne du « Die Tageszeitung », rédacteur de l’agence allemande de presse « DPA » à Hambourg et correspondant itinérant en Europe de l’Est (1983 à 1987). Actuellement correspondant de « La Vanguardia » à Paris.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi.

El Correo. Paris, le 22 septembre 2014.

Retour en haut de la page

El Correo

|

Patte blanche

|

Plan du site