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2 mars 2014

Mexique : La guerre de la « corne de bouc »

par Guadi Calvo *

 

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Corne de bouc, tel est le nom populaire donné au mythique AK-47, mieux connu sous le nom de kalachnikov, arme préférée des groupes de narcotrafiquants au Mexique. Dans cet article, L’auteur revient sur la situation de violence générée par la guerre entre les cartels de la drogue.

Peut-être que jamais les historiens ni les analystes politiques ne pourront démêler toutes les conséquences engendrées par l’attentat du 11 septembre 2001, mais l’on aurait pu difficilement imaginer qu’une guerre entre les narcotrafiquants mexicains ait pu en résulter.
Dans les durs affrontements entre les cartels du Golfe et de Sinaloa, un protagoniste se distingue : le mythique AK-47, appelé familièrement au Mexique « corne de bouc » à cause de son chargeur courbé de 70 balles. Ce fusil d’assaut fut dessiné par le soviétique Mijail Kalashnikov en 1947. Depuis lors, il n’y a pas eu une révolte, une révolution ou une guerre dans laquelle l’AK-47 n’a pas occupé une place centrale. Ce n’est pas pour rien que c’est l’arme à feu qui a causé le plus de victimes dans l’histoire de l’humanité.

Sa maniabilité a rendu l’AK-47 extrêmement populaire dans les troupes d’assaut que les chefs narcotrafiquants supervisent du fond de leur clandestinité ou leurs cellules.

La guerre de la « corne de bouc » a fait 9 000 morts au cours du sextennat de Vicente Fox (2001-2006), c’est-à-dire 4 par jour ou 1 500 par an, dans la lutte pour le contrôle des places, zones de culture et centres de réception et de distribution, en plus des commerces liés au crime comme les paris illégaux, les combats de coqs, la traite des blanches et la vente de drogue au détail.

Ces combats se sont intensifiés à partir de 2005. Si nous prenons en compte les 3 001 soldats états-uniens tués en Irak entre février 2003 et la fin de 2006, il y a de quoi être troublé par le chiffre de 6 000 morts dus aux affrontements entre les cartels, dans la république mexicaine, au cours de cette même période.

Dédaignant n’importe quel pacte, la guerre atteint absolument tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre se retrouvent à proximité du conflit : journalistes, policiers, fonctionnaires et même les familles des capos, qui avaient toujours été protégées par une loi non écrite que plus personne ne respecte.

Au début des années 80, le narcotrafic n’était pas considéré comme un commerce important par les groupes de contrebandiers mexicains qui opéraient à la frontière avec les États-Unis.

En 1982, le président Reagan déclara la guerre contre les drogues et mit le commandement de cette lutte dans les mains de son vice-président George H. Bush qui, de Miami, dirigea la création d’un mur de contrôles aériens et maritimes pour les navires colombiens qui arrivaient, débordant de cocaïne, par les Caraïbes.

Les cartels colombiens s’adaptèrent aux changements et commencèrent à négocier avec les petits contrebandiers mexicains les routes d’accès de leur marchandise aux états de l’Union. Près d’une décennie plus tard, un nouveau coup du destin modifia à nouveau le panorama de ceux qui étaient déjà devenus des cartels mexicains. Les grandes organisations colombiennes du narcotrafic, surtout celles de Medellin et de Cali, subissaient des coups foudroyants dans leurs infrastructures.

Les chefs les plus importants, comme Pablo Escobar Gaviria, Gilberto Rodriguez Orejuela, Jose Santacruz Londono, les frères Ochoa et Gonzalo Rodriguez Gacha étaient morts, détenus ou avaient été extradés ; bref, inopérants.
Les Colombiens finirent par perdre la distribution finale de leur marchandise aux États-Unis et, par conséquent, les revenus exorbitants qu’elle génère.

Le kilo de cocaïne se vend, en Colombie, à 2 500 dollars et atteint, au Mexique, les 8 500 dollars. Dès qu’il traverse la frontière avec les États-Unis, son prix monte à 12 000 et, à New York, Los Angeles et dans d’autres villes, il grimpe pour se situer entre 35 000 à 40 000 dollars.

Les cartels mexicains commencèrent à générer des profits qui dépassent le budget annuel du Federal Bureau of Investigation (FBI, Bureau fédéral d’investigation). Le cartel de Juarez, à sa meilleure époque, arriva à gagner 200 millions de dollars par semaine. La fortune de Miguel Angel Felix Gallardo, capo du cartel de Guadalajara, était estimée à 10 milliards de dollars. Le cartel de Guadalajara parvint à produire près du 50% de la drogue commercialisée dans le monde. Lorsque Felix Gallardo fut arrêté en 1989, ce qui était autrefois le puissant cartel de Guadalajara commença un processus d’affaiblissement jusqu’à se fractionner, à nouveau, en de petites organisations sans transcendance.

C’est alors qu’est arrivé Amado Carrillo Fuentes, le mythique « Seigneur des cieux », leader du cartel de Juarez et le plus important des narcotrafiquants mexicains, ainsi nommé à cause de la flotte d’avions dont il disposait pour inonder de cocaïne le marché nord-américain, et qui mit en place le mécanisme qui va permettre aux cartels de travailler sans ingérence entre eux.

Mais, au matin de cet ensoleillé 11 septembre 2001, avec la destruction des tours jumelles du World Trade Center, tout se compliqua pour les cartels mexicains. Chacun d’entre eux disposait jusqu’alors de son créneau sur le marché, de ses points de passage, de sa chaîne de distribution et de ses revenus du marché du nord si lucratif. Chaque cartel, avec son segment de frontière, opérait avec la complicité des autorités policières, frontalières et politiques corrompues des deux côtés de la frontière.

L’alliance contre-nature entre les politiciens et le narcotrafic était si évidente et éhontée que des fonctionnaires municipaux, étatiques et fédéraux ont fait acte de présence sans se cacher aux funérailles de quelques grands chefs narcotrafiquants. On soupçonne que la plupart des municipalités gouvernées par le Partido Acción Nacional (PAN, Parti Action Nationale), des présidents Vicente Fox et Felipe Calderon, ont été pratiquement achetées par le pouvoir narco.

La frontière du nord, longue de 3 200 kilomètres, a toujours été une zone submergée de conflits. Les milliers d’immigrants illégaux qui, chaque jour, échouent dans leur rêve de « passer de l’autre côté », l’énorme commerce légal, la contrebande et les activités de narcotrafic, la transforment en une zone de problèmes exaspérants. Par exemple, 36% du commerce entre le Mexique et les États-Unis passent par la ville de Nuevo Laredo ; par ses ponts internationaux, 8 mille véhicules et 36 mille personnes circulent tous les jours. Ce flux constant rend impossibles les contrôles efficaces et c’est dans ces zones que les narcotrafiquants concentrent leurs efforts de contrôle.

La première réaction du gouvernement fédéral des États-Unis aux attentats du 11-Septembre, a été de fermer hermétiquement ses frontières. Les pilotes suicides d’Ossama Ben Laden ont aussi annihilé le paisible monde du narcotrafic mexicain. Depuis lors, tout est devenu terrain pour intrigues, embûches, vengeances.

La disparition d’Amado Carrillo Fuentes [leader du cartel de Juarez, ndlr] et la nouvelle réalité post 11-Septembre, à la frontière et dans le monde, ont créé une dynamique de balkanisation dans les cartels, d’où ont surgi des structures plus petites, violentes et sans les codes imposés par l’existence du « Seigneur des cieux ».

Ce dernier est décédé le 4 juillet 1997, dans la phase postopératoire d’une chirurgie esthétique qui aurait changé son apparence si populaire dans les services de sécurité comme la Drug Enforcement Administration (DEA).

Au bout de cette opération, qui dura huit heures, Carrilo Fuentes succomba aux complications cardiaques provoquées par un des médicaments. Les médecins impliqués furent « exécutés » quelques jours plus tard par des tueurs à la solde du cartel de Juarez.

Ce cartel, qui est la plus grande organisation criminelle d’Amérique latine, se retrouva dans les mains d’une structure collégiale composée notamment des frères d’Amado, Vicente et Rodolfo, Ismael Zambada et le chef de Sinaloa, Joaquin ‘El Chapo’ Guzman.

Le cartel du Golfe, dirigé depuis la prison de haute sécurité de Las Palmas, par Osiel Cardenas Guillen, arrêté en mars 2003 et prêt à être extradé aux États-Unis, bénéficie de l’appui de Benjamin et Francisco Arellano Felix, les leaders du cartel décimé de Tijuana. Ce pacte, conclu à Las Palmas, déclare la guerre au cartel de Sinaloa-Juárez. Pour montrer le sérieux de leur projet, entre novembre et décembre 2004, ils ont exécuté Miguel Angel ‘El Ceja Güera’ Beltran, et Arturo ‘El Pollo‘ Guzman, tous deux membres importants du cartel de Sinaloa.

En janvier 2006, dans ce pénitencier, après une grève de la faim qui déboucha une mutinerie, l’armée dut déployer dix-huit chars d’assaut autour du périmètre pour éviter que Cardenas Guillen et ses associés de la famille Arellano Felix, ne soient libérés par les Zetas, le groupe de choc du cartel du Golfe.

Le pacte resta d’application au-delà de l’échec de la fuite et leur permit de s’installer sur presque tout le territoire mexicain, dont le District fédéral [la ville de México, ndlr].

Osiel Cardenas Guillen atteignit le sommet de l’organisation [cartel du Golfe] après la mise en détention de Juan Garcia Abrego, emprisonné à Houston (Texas) depuis 1996, et après une suite d’assassinats, dont l’un commis sur un ancien capo, Salvador Gomez Herrera. L’une des victimes les plus notables d’Osiel fut Guillermo González Calderoni, l’un des principaux policiers affectés au cartel du Golfe, tué en 2003, qui fut un témoin protégé de la DEA et du FBI, et dont le témoignage fut essentiel pour mettre Juan Garcia Abrego en prison.

Osiel Cardenas Guillen incorpora au cartel du Golfe une puissante branche armée connue sous le nom de Los Zetas, dirigée par l’ex-officier de l’armée, Arturo Lazcano alias El Lazca ou Zeta-3. Cette organisation de tueurs est composée de déserteurs des Forces armées mexicaines, en particulier du Groupe Aéromobile de Forces Spéciales (GAFES, Grupo Aeromóvil de Fuerzas Especiales), qui ont reçu une formation en lutte contre-insurrectionnelle dans la fameuse School of Americas (École des Amériques), transférée à Fort Benning (Géorgie) en 1984 ; et ont fait face, en 1994, à la guérilla zapatiste de Chiapas. Les Zetas sont chargés de diriger, entraîner et équiper le groupe de choc d’Osiel et ont des accointances dans plusieurs états. Toujours habillés en noir, ils se déplacent en voitures blindées et en 4x4, ils utilisent des fusils d’assaut allemands, les MP5, difficiles à trouver au marché noir, et les immanquables « cornes de bouc ». Leur armement inclut aussi des lance-grenades, des grenades à fragmentation – acceptées incontestablement chez les tueurs – des mitrailleuses 50 mm, des missiles sol-air SAM-7 de fabrication russe. Ils ont recours, également, à des hélicoptères équipés de lance-fusées. Ils sont experts en torture, extorsion et enlèvements.

Une autre partie du groupe de choc du cartel du Golfe est composée par les Kaibiles, qui sont des commandos de soldats d’élite de l’armée du Guatemala, ayant suivi également une formation en lutte contre-insurectionnelle et en torture.

Les Kaibiles, dont les pratiques sont bien connues des paysans et des milliers de disparus, morts et torturés pendant la dictature du génocidaire Efrain Rios Montt, furent mis à la retraite par la signature des accords de paix en 1996, entre le gouvernement du Guatemala et la guérilla marxiste de l’Unité Révolutionnaire Nationale Guatémaltèque (UNRG, Unidad Revolucionaria Nacional Guatemalteca). Beaucoup des membres de ces commandos ont trouvé un emploi auprès des cartels mexicains qui ont dupliqué leurs salaires antérieurs.

Pour des missions très ponctuelles comme les exécutions de fonctionnaires, les cartels emploient des mercenaires états-uniens, britanniques et israéliens, avec des honoraires qui varient entre 50 000 et 250 000 dollars.

Une autre façon de faire passer de la drogue depuis le 11-Septembre, est par voie souterraine. Le problème des tunnels a augmenté en Arizona, en Californie, au Nouveau Mexique et au Texas. Pour y faire face, le gouvernement nord-américain applique la même technologie utilisée dans la recherche infructueuse de Ben Laden, dans les grottes de Tora Bora, en Afghanistan.

Ces constructions sont exploitées surtout par les cartels de Tijuana, de Juarez et du Golfe. Des agents du gouvernement états-unien ont découvert un tunnel de plus de 600 mètres, entre Tijuana et San Diego, par où ont été transportés de la cocaïne pour 70 milliards de dollars en quatre ans.

Au cours de l’année 2006, la violence s’est concentrée dans l’État de Michoacan, l’un des principaux producteurs de pavot et de marijuana, et où se trouve le port Lazaro Cardenas donnant sur le Pacifique, par où transitent quotidiennement quelque 2 000 containers. Cet État possède, également, 200 kilomètres de côtes sauvages qui sont devenues une gigantesque porte d’entrée pour la drogue qui arrive par différents moyens de Colombie.

Au Michoacan, on a enregistré la moitié des crimes commis dans le pays et c’est le premier endroit qui doit être nettoyé par le nouveau et illégitime [1] gouvernement de Felipe Calderon et où se sont déployés 7 000 effectifs militaires et policiers sous le commandement du général Manuel Garcia Ruiz.

Les grands rivaux du cartel du Golfe, c’est l’alliance du cartel de Sinaloa, dirigé par Joaquín Guzmán, et de celui de Ciudad Juarez, qui ont commencé à cultiver et à fabriquer de la drogue sur le territoire des États-Unis, dans des parcs nationaux d’Arizona, du Texas, du Nouveau Mexique, de Californie, de Washington, de l’Utah, du Kentucky et de l’Oregon. Le cartel de Sinaloa-Juarez dispose aussi de ses propres groupes de choc intégrés par des membres des Forces armées et de divers groupes régionaux, comme les Negros, les Güeritos, les Contras, les Pelones, les Chachos, les Lobos et les Texas, l’archi-connue Mara Salvatrucha, ou MS-13, omniprésente dans toutes les manifestations de violence sociale d’El Salvador à Los Angeles ; et tous ces groupes sont équipés d’armes très sophistiquées et des inestimables « cornes de bouc ».

Le 6 septembre 2006, dans un boui-boui appelé « Sol y Sombra », de la ville d’Uruapan, dans l’État mexicain de Michoacan, 15 individus sont arrivés à bord de trois camionnettes. Ils étaient masqués et de noir vêtus, avec des gilets de l’Agence Fédérale d’Investigation (AFI, Agencia Federal de Investigación). Dès qu’ils entendirent charger les « cornes de bouc », les paroissiens se jetèrent par terre, tout ne fut que prière tandis que les rafales des balles AK-47 prirent la place de la musique, percutant la lourde atmosphère. Deux des visiteurs ouvrirent un sac de plastique noir et, comme une étrange offrande, tapissèrent le sol avec cinq têtes humaines. Ils partirent en silence par où ils étaient arrivés. Personne ne se leva jusqu’à longtemps après que le bruit de la dernière camionnette se soit fondu pour toujours dans la nuit et que les échos des cornes de bouc se soient dissous dans le vide.

Guadi Calvo pour Le Jouet Enragé , n°9, mai 2007.

  • Traduction  : Le Jouet Enragé. Traduction revue par l’équipe du RISAL.
  • Article publié dans RISAL le 9 août 2007
NOTA : Cet article inédit en espagnol, je l’ai écrit pour la revue française Le Jouet Enragé, vers le milieu de 2009. De son contenu, seule la nombre de morts a changé, le reste démeure tragiquement, plus ou moins, égal.
Guadi Calvo

Hamartia. Buenos Aires, le 2 mars 2014

* Guadi Calvo est un écrivain et journaliste. Analyste international spécialiste de l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie centrale. Collabore avec différents médias et radios en Amérique Latine : dirige sur Facebook : « Linea International », « Journal Hamartia », et « Jornada Latinoamericanas », « Revista Archipielago » (Mexique), « Caratula » (Nicaragua), « A Plena Voz » (Venezuela) Radio Madre (530 AM) Radio Grafica (89.3 FM )

Notes

[1[NDLR] De nombreuses présomptions de fraude pèsent sur l’élection présidentielle du 2 juillet 2006.

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