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26 décembre 2002

Médicaments à bas prix : les pays pauvres attendront

 

Pour protéger son industrie pharmaceutique, Washington a bloqué l’accord sur les génériques.
Il aura fallu à peine plus d’un an pour que "l’esprit de Doha" passe aux oubliettes. Conclu à l’arraché à la mi-novembre 2001 dans la capitale du Qatar, le lancement d’un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales avait pourtant été baptisé "cycle du développement"en raison des avancées réalisées en faveur des pays pauvres, notamment l’accès aux médicaments à bas prix.

Par Babette Stern

Restait à en définir les modalités d’application, avec pour date butoir fin 2002.

Vendredi 20 décembre, à l’issue de trois jours de négociations, les 144 membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), réunis à Genève, n’ont pas réussi à parvenir à un consensus. L’enjeu était vital pour les pays pauvres : établir clairement un système d’exemption aux droits des brevets permettant aux pays dépourvus d’industrie pharmaceutique d’importer des copies de médicaments pour s’attaquer aux pandémies les plus meurtrières, à commencer par le sida.

L’accord de Doha entérinait de fait la primauté du droit à la santé sur le droit des brevets en déclarant que "rien n’empêche les Etats- membres de prendre des mesures pour protéger la santé publique, en particulier contre le VIH/sida, la tuberculose, le paludisme et d’autres pandémies". C’est sur la liste de ces "autres pandémies" que les négociateurs n’ont pu se mettre d’accord.

Les pays en développement, non producteurs, soutenus par les organisations non gouvernementales, plaidaient pour avoir le droit de définir eux-mêmes ce qui relève de la protection de la santé publique dans leur propre pays et donc d’obtenir un accès large aux génériques. Les pays à revenu intermédiaire, notamment le Brésil et l’Inde, gros producteurs de génériques, soutenaient cette position puisqu’une large exemption sur le droit des brevets leur ouvre des débouchés commerciaux.

Les Etats-Unis, soucieux de préserver leur industrie pharmaceutique de la concurrence des génériques, ont fait valoir que la formulation du texte présentait des risques d’extension du dispositif à des maladies non transmissibles comme le diabète et l’asthme. Selon la version officielle, cette extension fragiliserait la protection des brevets et donc affaiblirait la recherche et le développement de médicaments par l’industrie pharmaceutique. Plus prosaïquement, il s’agit pour Washington de limiter les possibilités d’extension du système à des affections qui génèrent des profits beaucoup plus élevés pour les laboratoires. Des experts du cabinet britannique Bryan Garnier and Co évaluaient récemment à 50 milliards de dollars les ventes de médicaments menacés par l’arrivée des génériques d’ici 2007, dont 17,8 milliards pour les américains Merck et Pfizer.

"DISCRÉDIT COLLECTIF"

Quant à la position de l’Union européenne, elle a constamment fluctué entre objectif humanitaire et realpolitik, au grand dam de la délégation française qui n’a cessé de manifester son soutien à un accès le plus large possible des médicaments aux pays pauvres.

En signe d’ouverture et pour éviter d’endosser la responsabilité d’un échec, les Américains avaient suggéré d’élargir la liste à quelque 15 maladies tropicales prévalant surtout en Afrique. Mais cet ajout a été refusé par les autres membres car jugé trop restrictif par rapport au mandat plus large de la déclaration de Doha.

Les mises en garde du nouveau directeur général de l’OMC, le Thaïlandais Supachai Panitchpakdi, contre "le discrédit collectif" qui menaçait les pays membres s’ils ne parvenaient pas à résoudre "ce qui est davantage une question humanitaire qu’une pure question commerciale", n’ont pas été entendues.

"Les membres de l’OMC se sont perdus dans des débats juridiques loin de l’esprit d’ouverture envers les pays en développement qui avait marqué la réunion de Doha, a estimé German Velasquez, coordinateur du programme d’action sur les médicaments de l’OMC. Pendant l’année, on s’est perdu dans des élucubrations, des débats juridiques de terminologie, de processus administratif, avec des annexes, oubliant qu’il y a entre temps des millions de personnes qui sont en train de mourir."

Les négociations reprendront en 2003. Le président du groupe de négociation, l’ambassadeur mexicain Eduardo Perez-Motta, a indiqué qu’il tenterait de trouver une solution à soumettre au conseil général des 10 et 11 février.

Des ONG dénoncent la prééminence du profit

Act Up a accusé le négociateur européen, Pascal Lamy, d’utiliser son mandat public pour défendre, à l’OMC, "les intérêts privés" des grandes multinationales pharmaceutiques et limiter l’accès aux médicaments génériques des pays pauvres aux seules maladies qui menacent la survie même de ces pays, "excluant ainsi 99 % des médicaments qui seront alors réservés aux seuls habitants des pays riches".

L’Unité de recherche, de formation et d’information sur la globalisation (Urfig), une organisation non gouvernementale basée en Belgique, a dénoncé pour sa part l’attitude de l’Union européenne, pour qui "les profits plantureux des industries pharmaceutiques doivent être protégés à tout prix". Les négociations de Genève ont échoué, poursuit-elle dans un communiqué publié samedi 21 décembre, parce que les pays riches, Union européenne et Etats-Unis ont préféré, chacun pour leur part, prendre ce risque plutôt que d’accepter les attentes légitimes des peuples du Sud.

• ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 24.12.02

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