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26 janvier 2012

Les gauches et la fin du capitalisme
Raul Zibechi

par Raúl Zibechi *

 

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La crise mondiale actuelle fragmente la planète en régions de telle manière que le système-monde s’approche d’une désarticulation croissante. L’un des effets de cette régionalisation croissante de la planète est que les processus politiques, sociaux et économiques ne se manifestent plus de la même façon dans le monde et des divergences se produisent – et à l’avenir peut-être des bifurcations – entre le centre et la périphérie.

Pour les forces anti systémiques ce démantèlement global rend impossible le dessin d’une seule et unique stratégie planétaire et rend inutiles les tentatives pour établir des tactiques universelles. Bien qu’existent des inspirations communes et des objectifs généraux copartagés, les différentes vitesses que la transition enregistre sur la route du post capitalisme, et les différences remarquables entre les sujets antisytémiques, portent atteinte aux généralisations.

Il y a deux questions Importantes qui affectent cependant les stratégies dans le monde entier. La première consiste en ce que le capitalisme ne va pas s’écrouler ni va s’effondrer, mais doit être battu par les forces antisystémiques, que ce soient des mouvements horizontaux et communautaires de base, de partis plus ou moins hiérarchiques y compris des gouvernements avec une volonté anticapitaliste.

En paraphrasant Walter Benjamin, il faudrait dire que rien n’a fait plus de mal au mouvement révolutionnaire que la croyance de ce que le capitalisme tombera sous le poids de ses propres « lois » internes, surtout de caractère économique. Le capital est arrivé au monde mêlé à du sang et de la boue, comme disait Marx, et a eu à servir d’intermédiaire dans une catastrophe démographique comme celle produite par la peste noire, pour que les gens paralysées par la peur, se soient soumis non sans résistance à la logique de l’accumulation du capital. Perdre la peur dépend des gens, comme font les zapatistes, pour commencer à se réapproprier des moyens de production et de changement, et pour construire quelque chose de différent.

La deuxième question est que rien n’indique que la transition vers une nouvelle société sera brève ou se produira en quelques décennies. Jusqu’à présent toutes les transitions ont requis des siècles d’énormes souffrances, dans les sociétés où les régulations communautaires mettaient des limites aux ambitions, quand la pression démographique était moindre et le pouvoir de ceux d’en haut ne ressemblait pas du tout à celui qu’aujourd’hui accumulent le un pour cent des plus riches.

En Amérique Latine, au cours des trois dernières décennies les mouvements antisystémiques ont inventé de nouvelles stratégies pour changer les sociétés et construire un monde nouveau. Des réflexions et des modes de pensée existent aussi sur l’action collective qui par la voie des faits divergent des vieilles théories révolutionnaires, bien qu’il soit évident qu’elles ne nient pas les concepts frappés par le mouvement révolutionnaire tout au long de deux siècles. Dans la conjoncture actuelle nous pouvons enregistrer trois faits qui nous imposent des réflexions différentes de celles qui émanent des forces antisystémiques dans d’autres régions.

En premier lieu, l’unité des gauches a avancé d’une façon notable et dans beaucoup de cas celles-ci sont arrivées au gouvernement. Au moins en Uruguay, en Bolivie et au Brésil l’union des gauches est allée aussi loin que ce fut possible. Il est certain qu’à l’extérieur de ces forces, il y a des partis de gauche (surtout au Brésil), mais cela ne change pas le fait central que l’union a été consommée. Dans d’autres pays, comme l’Argentine, parler d’une unité de la gauche, c’est dire très peu.

Le fait central est que les gauches, plus ou moins unies, ont donné presque tout ce qu’elles pouvaient donner au-delà de l’évaluation faite de leur déploiement. Les huit gouvernements sudaméricains que nous pouvons qualifier de gauche ont amélioré la vie des gens et diminué leurs souffrances, mais ils n’ont pas avancé dans la construction de nouvelles sociétés. Il s’agit de constater les faits et les limites structurelles qui indiquent que par ce chemin on ne peut pas obtenir plus de ce qui est déjà atteint.

En deuxième lieu, en Amérique Latine existent des germes, les fondations ou les graines de relations sociales qui peuvent se substituer au capitalisme : des millions de personnes vivent et travaillent dans des communautés indigènes en rébellion, dans des campements de paysans sans terre, dans des usines récupérées par leurs ouvriers, dans des périphéries urbaines auto organisées, et participent aux milliers d’ activités qui sont nées dans la résistance au néolibéralisme et sont devenues des espaces alternatifs au mode de production dominante.

La troisième question est que les souffrances générées par la crise sociale provoquée par le néolibéralisme dans la région ont été contenues par des initiatives pour survivre, créées par les mouvements (des cantines aux boulangeries populaires), avant que les gouvernements qui sont sortis des urnes ne s’inspirent des mêmes actions pour lancer des programmes sociaux. Ces initiatives ont été, et i sont encore, la clef pour résister et créer en même temps des alternatives au système, puisque non seulement elles réduisent les souffrances, mais génèrent des pratiques autonomes par rapport aux états, aux églises et aux partis.

Il est certain, comme le remarque Immanuel Wallerstein dans «  La gauche mondiale après 2011  », que l’unité des gauches peut contribuer à éclairer un nouveau monde et, en même temps, réduire les douleurs de l’accouchement. Mais dans cette région du monde [L’A.L.) une grande partie de ces douleurs n’ont pas diminué avec les triomphes électoraux de la gauche. Il y a presque 200 mis en examens pour terrorisme et sabotage en Équateur pour s’ être opposé à l’industrie minière à ciel ouvert. Trois militants du Front Darío Santillán ont été assassinés, il y a quelques jours par des mafias de Rosario, en Argentine, dans ce qui peut être le commencement d’une escalade contre les mouvements sociaux. Des centaines de milliers des personnes ont été déplacées de leurs logements au Brésil à cause de la spéculation en vue de la Coupe du Monde de 2014. La liste est longue et elle n’arrête pas de grandir.

L’unité de la gauche peut être positive. Mais la bataille pour un nouveau monde sera beaucoup plus longue que la durée des gouvernements progressistes latinoaméricains et, surtout, sera annulée dans des espaces tachés de sang et de boue.

La Jornada . Mexique, le 13 janvier 2012.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par  : Estelle et Carlos Debiasi

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El Correo. Paris, le 26 janvier 2012

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