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22 janvier 2018

Expliquons-nous l’inexplicable ?

Les façons actuelles de faire échec à la démocratie en Argentine

Un usage politique et arbitraire de la détention préventive et de l’association illicite.

par Eugenio Raúl Zaffaroni*

 

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

L’ancien membre de la Cour suprême argentine, Raoul Zaffaroni , explique quelles sont « les façons actuelles de faire échec à la démocratie » sous des gouvernements élus. Il intervient aussi dans un débat juridique qu’ a proposé , entre autres, Carlos Zannini en demandant si en droit, quelqu’un pouvait expliquer qu’il soit en prison.

Quelque citoyen étranger distrait pourrait penser que nous les argentins subissons un régime dictatorial, étant donné que ce sont les dictatures qui poursuivent avec fureur leurs adversaires. Il serait surpris de savoir que ce n’est pas ainsi.

Mais beaucoup d’argentins seront aussi surpris parce qu’il ne leur est pas arrivé de penser que sous un gouvernement élu démocratiquement, on pouvait mettre en prison son prédécesseur, ses ministres, le candidat à la vice-présidence d’opposition, le vice-président précédent et une députée du Parlasur. Ils seront aussi surpris que le gouvernement regarde avec des envies similaires le candidat à la présidence de l’opposition et tout autre ex-fonctionnaire qui mériterait, selon le même gouvernement, d’être envoyé sur la lune. Cela les étonnerait aussi qu’on fasse taire la presse et les journalistes ennuyeux, qu’on menace d’exclure des médias certains acteurs et actrices, qu’on licencie en masse le personnel qu’on croit être des opposants, poursuivant la Procuratrice Générale jusqu’à provoquer sa démission, et que tout cela soit caché par un monopole médiatique de discours et de constructions de réalité uniques.

Autre chose non imaginée par beaucoup, c’ est que le gouvernement ne criminaliserait pas la seule protestation, mais aussi la simple mobilisation publique, sous prétexte de certains irresponsables et quelques infiltrés jamais arrêtés, en procédant à des « razzias » de voisins et d’adolescents. Ce qui est arrivé au jeune, Esteban Rossano, toujours détenu. Il ne leur a jamais traversé l’esprit avec la mort de Maldonado et de Nahuel, que notre peuple mapuche serait stigmatisé comme terroriste payé par la Couronne britannique et que, sous un gouvernement élu, on dise que face à un mort à cause de la police , il y a une présomption en faveur de la police et, par conséquent,qu’ ils s’en tiendront toujours à la version policière. Encore oins que le Président lui même réclame des juges « propres, à lui » et que l’on poursuive les « non acquis », seulement parce qu’ils ne sont pas aux ordres dans le contenu de leurs sentences.

Ils ont cru ces gens surpris que cela se passait seulement dans des dictatures ou des régimes totalitaires. Mais ils se sont trompés, parce que cela peut aussi se produire sous des gouvernements élus. Cela survient quand les formes actuelles de faire échec à la démocratie n’ont pas été perçues à temps, et que les précautions pour les empêcher n ’ont pas été prises en mettant à jour les institutions. Maintenant, la Constitution elle même, comme projet d’État d’autres siècles, prend de l’eau par tous les côtés et permet de pervertir la démocratie et de se moquer d’elle.

Par ces orifices institutionnels, dans les démocraties du monde et spécialement dans celles de notre région, le fantôme de Göbbels renaît aujourd’hui, avec ses onze fameux principes, désormais appelés « lawfare » [Guerre juridique]. Ce fantôme incorpore un secteur judiciaire à son chœur de « pdg’s » qui matraquent avec un lancinant : « ils ont tout volé ». Anxieux de se comporter comme des « juges de la maison », insensibles à l’évidence du vieux Héraclite (« Panta rhei », « Toutes les choses coulent ») peut-être pensant à de rapides « promotions », les juges qui appartiennent à cette minorité causent un triple dommage : individuel (aux hommes politiques poursuivis), social interne (à la confiance dans le droit) et collectif externe (à l’image de la Nation). Sans doute que ce « lawfare » est aussi « law far », parce qu’il est très loin du droit. Il est à son antipode. Et parfois, il tombe dans ses propres genres pénaux.

Que cela soit parce qu’il reste des juges « non acquis » ou pas tout à fait « acquis » (ou parce que d’ autres sont conscients de la temporalité inévitable du pouvoir), quelques décisions ont été corrigées, ce qui n’enlève rien au caractère juridiquement aberrant de celles qui ne sont pas révoquées, comme celles qui se maintiennent, sans précédents dignes de citations dans notre histoire judiciaire et doctrinaire.

Les arbitraires judiciaires ont toujours recours aux sujets dans lesquels la faiblesse argumentative de l’institut permet de les retordre et, certes, il y a deux sujets extrêmement faibles et manipulables : l’un est la prison préventive, de nature procédurale ; l’autre est l’association illicite, de nature pénale. Nous nous concentrerons sur ces des deux faiblesses.

La prison préventive

La prison préventive est celle qui se présente pendant le processus, avant toute condamnation, face à une accusation simple et, comme son nom l’indique, se traduit par un emprisonnement, à savoir qui impose une peine quand on ne sait pas encore si le condamné est coupable ou non. Il s’agit du sujet le plus incompréhensible de tout le droit de la procédure pénale : une vraie quadrature du cercle.

Pour éviter d’admettre qu’il y a des peines sans condamnation, les spécialistes de la procédure affirment que c’est une mesure de précaution, analogue à la mise sous séquestre. Cela ne l’est pas, parce que celle-ci porte sur des biens et celui qui la subit peut exiger une garantie pour le cas où il ne serait pas condamné par le procès civil, qui sera sous forme de biens ou d’ argent. Mais comme le prisonnier perd une liberté, il est impossible de le réparer en lui rendant le morceau de l’existence qu’on lui a prise.

Les juristes nazis et fascistes ont reconnu que c’était une peine et ont affirmé qu’il devait en être ainsi : si quelqu’un est en prison, toujours « ce sera pour quelque chose ». L’un des plus cités entre nous se demandait : Comment est-il possible que l’on considère quelqu’un innocent et qu’on le mette en prison ? [1]

Ceux parmi nous qui ne sont pas des nazis ni des fascistes , affirment aussi que c’est une peine pour quelqu’un qui, comme nous ne savons pas encore s’il est coupable, au moins pour le moment nous devons le considérer comme innocent. C’est pourquoi, justement, nous soutenons que personne ne devrait être prisonnier sans avoir été condamné avant.

Mais comme nous ne sommes pas non plus fous, nous devons reconnaître que, si quelqu’un a tué son voisin, il ne peut pas prendre le maté le jour suivant dans le jardin de sa maison et saluer la veuve par-dessus la haie. C’est pourquoi, nous ne résolvons pas la quadrature du cercle, mais il ne nous reste pas d’ autre remède que de soutenir que cette peine sans condamnation peut seulement être extrêmement exceptionnelle. C’est que prévoit notre Constitution, notre législation, le droit international et nos juristes de tous temps, contre une réalité qui s’obstine à remplir les prisons avec des condamnés sans condamnation.

Cette résignation inévitable face à la quadrature du cercle se trouve dans l’ article 18 de la Constitution Nationale, invariable dans ses 165 années de validité. Bien qu’il commence par déclarer que « aucun habitant de la Nation ne peut être puni sans un jugement préalable fondé sur une loi précédente au fait du procès » [2], son dernier paragraphe admet la détention préventive : « Les prisons de la Nation seront saines et propres, pour sécurité et non pour châtier des inculpés détenus dans elles » [3], en ajoutant comme avertissement dérivé de son caractère exceptionnel et précisément dirigé aux juges que « toute mesure qui sous prétexte de précaution conduit à les mortifier au-delà de ce qu’elle exige, fera responsable le juge qui l’autorise ».

En lien avec cette disposition constitutionnelle, l’article 319 du Code du procédure Pénale, établit que pourra être refusée l’exemption de prison ou la sortie , en respectant, le principe d’innocence et le 2e article de ce Code, quand [4] l’évaluation provisoire et objective des caractéristiques du fait, [5] la possibilité de la déclaration de récidive, [6], les conditions personnelles de l’accusé ou si celui-ci a joui d’une liberation précédente, feront présumer, avec fondement, que le même essaiera d’éviter l’action de la justice ou d’engourdir les investigations. Le 2e art. du code, expressément rappelé ici, dans la partie qui intéresse dit : « Toute disposition légale qui limite la liberté personnelle, qui limite l’exercice d’un droit attribué par ce code, ou qui établit des sanctions du procès, devra être interprétée avec restriction » [7].

Voyons maintenant comment l’on manipule la prison préventive à travers un cas concret, à partir de celle requise contre Cristina Kirchner, Héctor Timerman et Zannini (comme coauteurs) et Khalil, D’Elía et Esteche (comme complices nécessaires).

La Chambre a révoqué l’accusation absurde de trahison à la Nation, encadrant les conduites supposées [8] dans un curieux triangle de type pénal, avec des peines maximales de six mois (art. 241), deux ans (art. 248) et six ans (art. 277).

En faisant un effort pour laisser de côté le mémo désopilant d’Alberto Nisman, que maintenant les juges suivent (tandis qu’un d’eux est poursuivi pour le non lieu qu’il avait prononcé) [9], centrons-nous sur la détention préventive.

En ce qui concerne « l’évaluation provisoire et objective des caractéristiques du fait », qui serait la première objection à la remise en liberté, le maximum de la peine la plus grave est identique à celle d’une escroquerie simple et, donc, ce n’est pas la gravité du fait imputé qui l’ empêche, puisque dans le cas contraire tout accusé pour escroquerie serait en détention préventive, ce qui n’est pas le cas. évidemment.

Au sujet de la « possibilité de déclaration de récidive », malgré sa constitutionnalité douteuse, on peut observer qu’elle ne correspond pas pour le moins aux cas dans lesquels les accusés n’enregistrent pas de condamnations fermes antérieures, mais pour autant cela ne semble pas être l’obstacle décisif pour les juges même dans ces cas.

En ce qui concerne le fait qu’un des accusés « essaiera d’éviter l’action de la justice », il n’existe pas le moindre indice, puisque tous ont été dans le droit, aucun ne s’est rebellé ou a fui et, plus encore, dans le cas de Zannini, qui s’est spontanément présenté à la police et à qui on a dit qu’ils n’ avaient pas de mandat contre lui, mais quelques heures après , dans la nuit ils l’ont arrêté de façon spectaculaire, conformément à la pratique d’exhiber les détenus politiques de manière honteuse et interdite.

À ce sujet, il convient de rappeler la pénible publicité médiatique de l’arrestation de l’ex-vice-président. Celui-ci, alors qu’il était en détention préventive, avait été autorisé par la justice à assister à la naissance d’un de ses enfants, mais sous surveillance et uniquement pour ce motif, devant rentrer tout de suite à la prison de haute sécurité. Nous préférons ne pas imaginer les gardiens postés dans la salle d’accouchements. Il est bon aussi de rappeler que l’une des conditions de la peine - et plus de la détention préventive – est qu’elle ne touche pas des tiers innocents [10]. Tout cela, en dépit de l’avertissement de l’art. 18 dirigé aux juges.

Il est bon d’ajouter que, selon le défenseur, le juge qui refuse la remise en liberté à D’Elía, lui avait accordé avant l’exemption de prison, ce pourquoi il ne se savait pas menacé par une détention préventive, mesure qui apparemment a été expressément révoquée.

En synthèse, nous pourrions dire qu’il est aussi probable que n’importe lequel d’entre eux essaie d’éviter l’action de la justice, autant qu’il tue sa grand-mère.

On peut ajouter que l’état de santé de Héctor Timerman l’ empêche d’éviter matériellement la justice. Sa détention préventive tombe dans l’avertissement de la dernière partie du 18er constitutionnel, étant données les conditions imposées : il devait prévenir chaque semaine de son programme de traitement, sans compter avec la tentative d’interruption de celui-ci qu’ impliquait son impossibilité de voyager. Nous pouvons risquer qu’il ne s’agit pas seulement d’une mesure qui le « mortifie au-delà de ce que la sécurité requiert », mais d’une cruelle peine inhumaine et dégradante, interdite par l’ensemble du droit.

En ce qui concerne les « conditions personnelles de l’accusé », qui doivent être objectives, au sujet de Zannini en particulier, dans la première instance on a fait valoir « la défavorable impression sur ses conditions personnelles », sans que soit éclaircit si celle-ci découle du fait qu’il se soit présenté négligé ou trempé de sueur et sans se doucher.

Étant donné que le refus de la remise en liberté n’a pas pu s’appuyer sur aucun des autres motifs d’exception signalés dans l’article 319 du code des procédures, on a fait valoir la possibilité de brouiller l’enquête. Il est impossible de brouiller ce qui est terminé et, certes, l’enquête se termine la mise en examen déjà décidée. Cependant, les accusés continuent d’ être détenus, avec l’argument qu’il reste encore à vérifier environ 200 000 mails du Ministère de Relations Extérieures.

La Chambre continue d’estimer que les accusés, comme ils ont été des fonctionnaires, sont « présumés » maintenir des « contacts résiduels ». C’est-à-dire, que l’on « présume » que, après plus de deux ans, les accusés maintiennent des contacts qui peuvent éliminer des mails qu’ils veulent vérifier et dont on suppose que la copie est déjà dans les mains de la justice. Les uniques contacts « résiduels » à cet effet devraient être avec les juges eux mêmes, puisque autrement ils ne pourraient pas gêner la lecture de mails dont la copie est dans en leur pouvoir.

L’art. 319 admet la « présomption », mais « avec fondement », ce qui brille ici par son absence, puisqu’il n’y a pas de donnée objective qui permet de conclure que les accusés peuvent interférer dans la révision des mails, c’est-à-dire qu’on crée une présomption qui n’admet pas d’épreuve en contradiction [11] et qui n’existe pas dans la loi, ce qui excède - et c’ est beaucoup plus grave - la violation du mandat d’interprétation restrictive du 2e art. du code, pour tomber dans l’analogie ou l’invention judiciaire [12].

On peut souligner qu’avec une jurisprudence semblable, il vaut mieux que personne n’accepte aucun poste de fonction publique, parce qu’il suffira à l’avenir de n’importe quelle accusation qui à première vue , ne soit pas tirée par les cheveux, pour aller finir en prison, puisque pour nos juges, il sera suffisant de savoir qu’ils ont été des fonctionnaires pour « présumer », sans plus, qu’ils maintiennent des « contacts résiduels » et leur refuser la libération, bien qu’après un long processus ils semblent innocents. Avec une plus grande raison, on pourra « présumer » que les fonctionnaires en exercice n’ont pas de contacts « résiduels », mais de plein acte .

Ce n’est pas un moindre détail de rappeler que l’affaire débouche sur un procès (l’enquête terminée), sans prendre la déclaration du témoin le plus important, qui est Noble, qui manifestait par écrit sa volonté de faire une déclaration comme responsable d’Interpol au moment des faits et, précisément, au sujet de l’inexistence de la supposée dissimulation, à savoir, que le plus grand « brouillage de l’investigation » ne provient d’aucun accusé, mais des propres strates judiciaires.

D’autre part, s’il s’agit d’éviter l’impossible interférence des accusés dans la lecture des mails, la prison ne serait pas nécessaire dans des établissements de haute sécurité, il serait suffisant qu’ils soient dans des établissements de sécurité moyenne ou minimale. Mais il est clair que cela ne serait pas suffisant pour satisfaire les angoisses revanchardes de l’actuelle administration et de ses « propres » juges, parce que cela n’offre pas assez de matériel publicitaire à son monopole médiatique.

Nous pourrions sauter à un autre cas de manipulation de la prison préventive, scandaleux dans un autre sens, qui est celui de Milagro Sala, prisonnière politique par excellence. Dans celui-ci , le gouvernement de la Province de Jujuy et son pouvoir judiciaire, ligoté par le gouverneur, se moquent de la décision prise par la Cour Suprême de Justice de la Nation, devant lequel celle-ci reste impavide.

Les exemples de la manipulation actuelle de la détention préventive sont multiples, mais ce qui a été dit suffit pour démontrer que ce qui est fait, l’est d’une façon gravement arbitraire, qui viole le mandat d’interprétation restrictive du code des procédures, le dernier paragraphe de l’art. 18 constitutionnel qui rend les juges responsable et, aussi dans quelques cas viole, l’interdiction de cruelles peines inhumaines et dégradantes de tous les traités internationaux intégrés à la Constitution Nationale.

Association illicite

L’autre sujet d’une certaine illégalité que l’on continue de manipuler relève du droit pénal sur le fond. Il s’agit de l’étrange délit « d’association illicite » de l’art. 210 du code pénal : « sera réprimé par prison ou réclusion de 3 à 10 ans, celui qui prendra part à une association ou bande de trois personnes ou plus destinée à commettre des délits par le seul fait d’être membre de l’association ».

Comprenons-nous : trois amis prennent quelques verres de trop mais ils ne se soûlent pas, loin de là, ils sont simplement « gais ». Dans l’enthousiasme du bavardage ils se mettent d’accord pour se consacrer à escroquer avec des chèques. Cela leur semble facile. Le jour suivant ils se réunissent et réfléchissent qu’ils étaient seulement éméchés par l’alcool, mais que ce n’est pas possible, et ils ne font rien de plus. Vue à la lumière de la loi, le délit serait consommé. Ils pourraient être condamnés au minimum à 3 ans, soit, à la peine de la tentative d’escroquerie qu’ils ont jamais commis, et comme maximum, à 10 ans, soit quatre ans de plus que le maximum d’une escroquerie consommée.

Regardons un autre cas inversé : trois femmes se mettent d’accord pour dérober des sous-vêtements dans des magasins. Cela suffit pour leur appliquer une peine de trois ans au minimum. Cependant, si elles consommaient le larcin, la peine serait d’un mois à deux ans.

Avec les conséquences que nous mentionnions auparavant, la lecture littérale du texte est une expression du dit « droit pénal de volonté », propre du nazisme [13]. D’aucune façon on peut étendre la peine à un acte préparatoire, extrêmement antérieur à tout commencement d’exécution (tentative), sans violer tous les principes du droit pénal d’un État de droit, quand on est encore vraiment très loin de tout danger pour un bien juridique. Encore plus : si l’un des « malfrats » proposait qu’ils s’associent et que les autres refusent, il ne manquera pas quelqu’un qui pense qu’il y a une « tentative » d’association illicite de la part de celui qui l’a proposée [14].

Ce dispositif est complètement inconstitutionnel, et sa généalogie l’indique aussi, bien qu’elle puisse sembler sympathique à l’actuel gouvernement : on dit qu’il trouve son origine dans la nécessité de réprimer les « brigands » (les bandits de grands chemins), mais ce n’est pas certain, parce que pour cela ont été crées les catégories de vol aggravé, dans un endroit inhabité et en bande. En vérité, on l’a amplement utilisé, à l’époque où la grève était un délit (et le lockout patronal le n’était pas), pour poursuivre les syndicats comme des « associations illicites ». D’autre part, il est bon de rappeler que la peine originale du code de 1921 était d’un mois à 5 ans, mais à l’occasion de la violence politique des années soixante-dix, elle a augmenté et est restée en s’aggravant encore plus avec les qualifications.

L’inconstitutionnalité de cet article, du moins dans la forme dans laquelle il est manipulé dans une version littérale, nous l’avons toujours soutenue, même quand l’ancien président Menem a été accusé de ce délit, de sorte que ce n’est pas une nouveauté pour aucun cas actuel et, de plus, personne n’a répondu avec fondement à l’objection indubitable d’inconstitutionnalité.

Dans la pratique, il y a peu de condamnations pour « association illicite », mais ce n’est pas pour cela que cela cesse d’être utile à tout esprit de revanche politique. Tout employé de tribunal pénal sait que quand on veut refuser une remise en liberté on a l’habitude d’accuser en utilisant ce délit, même si finalement il est acquitté ou condamné pour un autre délit. Son lien avec la manipulation de la prison préventive, est donc dans la pratique étroit, bien que dans la doctrine il n’y ait pas de lien.

En conclusion, après avoir montré comment deux sujets juridiques sont manipulés pour les tordre dans un esprit de revanche politique, nous pouvons affirmer que mêmes les fausses raisons (rationalisations) ont une limite, parce qu’elles cessent d’être « des raisons » quand elles manquent de créativité. Nous sommes conscients donc qu’ il y a différentes positions et que le droit est « malléable », que nous pouvons diversement l’interpréter conformément à nos conceptions du monde, mais la malléabilité doit être créatrice (parfois, même perversement créatrice), parce que quand disparaissent les raisons et que leur place est occupée « parce que ça me chante et j’ai le pouvoir de le faire », là le droit se fracasse et ses échardes sautent de tous les côtés. Enfin, alors, les « envies » restent et « le pouvoir » passe. Comme cela fut toujours.

Eugenio Raúl Zaffaron * pour Página 12

Página 12. Buenos Aires, 21 janvier 2018.

*Eugenio Raúl Zaffaroni. (Buenos Aires, le 7 janvier 1940) il est un avocat et un notaire argentin gradué dans la faculté de Droit et de Sciences Sociales de l’Université du Buenos Aires en 1962, docteur des Sciences Juridiques et Sociales par l’Université Nationale du Littoral (1964), et juge de la Cour Suprême de Justice argentine dès 2003, jusqu’à 2014 quand il a présenté sa démission pour être arrivé à la limite d’âge qui fixe la Constitution. Actuellement Juge à la Court Interamericaine de Droits de l’Homme.

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi

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El Correo de la Diaspora. Paris, 22 janvier 2018

Notes

[1Voir le « Traité de droit de la procédure pénale » de Vincenzo Manzini.

[2Ce sont les dits « principe de légalité » et « principe d’innocence ».

[3On n’a pas de doute que ce texte se réfère, pour le moins, à la réclusion préventive, puisque il est pris à la lettre d’un illuministe [L’illuminisme est un courant de pensée philosophique et religieux du XVIIIe] : « La prison n’a pas été faite pour un châtiment, mais pour la surveillance et sécurité des inculpés » (Manuel de Lardizábal y Uribe, Discours sur les peines aux lois criminelles de l’Espagne, pour faciliter sa réforme (avec une étude préliminaire de Manuel de Rivacoba), Vitoria/Gasteiz, 2001, p. 211) et il fait référence au Digeste : Carcer enim ad continendos homines ad impair puniendos haberi debet (Les prisons sont pour la contention des hommes et non pour leur châtiment) (Le Digeste de l’Esperador Justiniano traduit et publié au siècle précédent par Don Bartolomé Agustín Rodríguez de Fonseca , du Barreau de cette Cour, nouvelle édition, Madrid, 1874, T. III, 19.8.9, p. 695).

[4Voir le « Traité de droit de la procédure pénal » de Vincenzo Manzini.

[5Ce sont les dits « principe de légalité » et « principe d’innocence

[6On n’a pas de doute que ce texte se réfère, au moins, à la réclusion préventive, puisque il est pris à la lettre d’un illuministe : « La prison n’a pas été faite pour un châtiment, mais pour la surveillance et sécurité des inculpés » (Manuel de Lardizábal et Uribe, le Discours les peines contrahido á les lois criminelles de l’Espagne, pour faciliter sa réforme (avec une étude préliminaire de Manuel de Rivacoba), Vitoria/Gasteiz, 2001, p. 211) et il fait reference au Digeste : Carcer enim ad continendos homines ad impair puniendos haberi debet (Les prisons sont pour la contention des hommes et non pour leur châtiment) (Le Digeste de l’Esperador Justiniano traduit et publié au siècle précédent par Don Bartolomé Agustín Rodríguez de Fonseca du Barreau de cette Cour, d nouvelle édition, Madrid, 1874, T. III, 19.8.9, p. 695).

[7Cela correspond avec ce qui est établi dans les traités incorporés à la Constitution (art. 75 inc. 22) : le Pacte International de Droits Civils et Politiques : « Toute personne accusée d’un délit a le droit à ce que son innocence soit présumée tandis que n’est pas établie sa culpabilité conformément à la loi » ( art. 14 un paragraphe 2 °) ; la Convention Américaine de Droits de l’homme : « Toute personne inculpée de délit a le droit à ce que son innocence soit présumée tant que n’est pas légalement établie sa culpabilité » art. 8, párr. 2) ; la Convention Américaine de Droits de l’homme : « 1er) Toute personne a un droit à la liberté et à la sécurité personnelles... 3e) Personne ne peut être soumis à une arrestation ou à un emprisonnement arbitraire » (un art. 7).

[8on doit rappeler que comme les conduites en question ne sont pas très claires, on ne sait pas vraiment bien si ce sont les mêmes qui furent précédemment qualifiées de « trahison à la Nation ».

[9On doit observer qu’est également peu claire la qualification « de complices nécessaires ». Est-ce que, si le fait était un délit, ses auteurs ne pourraient pas avoir eu besoin d’autres coopérations ? Ne pourraient-ils pas être convenus du « mémorandum » sans cette coopération ? Tout cela en dépit du fait d’observer que dans quelques cas, comme celui de Zannini, on ne sait pas en quoi a consisté cette coopération supposée, mais on la considère comme « nécessaire ».

[10cela s’appelle « principe de personnalité » ou « sans conséquences pour les tiers » de la peine.

[11Ce sont les dites présomptions « juris et de jure » qui servent à donner pour certain tout ce que l’on ne sait pas si c’est certain.

[12L’interprétation peut être « restrictive » ou « extensive », mais dans tous les cas, elle doit être dans les limites sémantiques de la loi. Quand directement on crée ce que la loi ne dit pas, il ne s’agit pas d’une « extension interprétative », mais d’une création analogique, directement interdite par l’ensemble du droit pénal du monde occidental, et seulement tolérée aujourd’hui en Chine, et avant dans le régime nazi et stalinien.

[13V. Roland Freisler, le Droit pénal de volonté, avec une étude préliminaire de Fernando Arnedo, EDIAR, Bs. As 2017.

[14Il est vrai que la doctrine en général le nie, mais comme cela intéresse peu l’arbitraire judiciaire, il n’est pas rare que quelqu’un le soutienne depuis une estrade.

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