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24 août 2009

Les bases en Colombie dans la bataille pour les biens communs de l’Amérique du Sud
Raúl Zibechi

par Raúl Zibechi *

 

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L’accord imminent entre les États-Unis et la Colombie pour l’utilisation de sept bases par le Commando Sud, fait une partie de l’âpre dbataille pour les biens communs qui marque la région sudaméricaine. D’abord quelques informations récentes : le Venezuela a atteint le premier rang quant aux réserves prouvées de pétrole dans le monde après avoir évalué à 314.000 millions de barils la Ceinture Pétrolifère de l’Orénoque, selon la compagnie pétrolière publique (PDVSA). À partir de maintenant le Venezuela occupe donc la première place en matière de réserves prouvées de pétrole au niveau mondial, laissant l’Arabie Saoudite à la deuxième place, avec 264.000 millions de barils, selon PDVSA [1]

Fatih Birol, économiste en chef de l’Agence Internationale d’Énergie (AIE), affirme que la crise du pétrole arrivera bien plus tôt que prévu. « Le monde se dirige vers une crise énergétique catastrophique qui pourrait nuire à toute reprise économique mondiale parce que la majorité des principaux champs de pétrole dans le monde ont dépassé leur pic de production ». Birol soutient que les données que l’AIE prises en compte jusqu’à présent étaient erronées et anticipe d’ici dix ans (2020 au lieu de 2030) l’arrivée du pic de production.

"La première évaluation détaillée portant sur plus de 800 champs de pétrole dans le monde, qui représentent les trois-quarts des réserves mondiales, a montré que la majorité d’entre eux est déjà arrivée à son point maximal et que le taux de baisse est presque le double du rythme calculé il y a à peine deux ans", remarque Birol. Ce taux de décroissance est de 6,7% contre 3,7 % en 2007 [2].

Il y a environ 20 ans, la Chine était le douzième partenaire de l’Amérique Latine, avec un volume commercial qui dépassait à peine les 8.000 millions de dollars, mais dès 2007, elle a occupé la deuxième place, en multipliant par treize ce montant et qui maintenant dépasse les 100.000 millions de dollars. La Chine a établi des partenariats stratégiques avec le Brésil dès les années 90 et, par la suite avec le Venezuela, le Mexique, l’Argentine, le Chili et avec le Pérou.

Cette année, la Chine a négocié des accords pour doubler un fond de développement au Venezuela, le portant à 12.000 millions de dollars, elle prêterait environ 1.000 millions de dollars à l’Équateur pour construire une usine hydroélectrique, et donnera accès à plus de 10.000 millions de dollars pour des projets en Argentine, et encore 10.000 millions à la compagnie pétrolière étatique du Brésil. Selon des chiffres officiels brésiliens, le volume de commerce bilatéral entre le Brésil et la Chine a atteint 36.440 millions de dollars en 2008, ce qui suppose une augmentation 55,9% par rapport à l’année précédente. En avril de cette année, la Chine est devenue le premier partenaire commercial du Brésil, dépassant les États-Unis. L’admission de la Chine comme pays donateur au sein de la banque Interaméricaine de Développement (BID), en avril dernier, après quinze ans de négociation, fut un signe fort de son engagement croissant d’approfondissement de ses liens avec la région [3].

Un virage important de la politique économique du Brésil vis-à-vis des Etats-Unis serait entrain de se produire. Entre août 2008 et mai de cette année, soit quand la crise économique mondiale s’est calmée, le Brésil a réduit de 17 % ses inverstissements dans des valeurs étasuniennes. C’est la plus grande réduction parmi les 15 plus grands créanciers de Washington. Témoin, la Russie a augmenté de 20 % ses achats de valeurs de la Réserve Fédérale et la Chine de 40 % dans le même temps [4].

L’entreprise étatique chinoise de pétrole (CNPC) a décidé d’accélérer ses acquisitions en Afrique et en l’Amérique Latine parce que "les prix relativement bas des actifs offrent cette année des occasions sans précédents pour la compagnie". L’une de ces occasions serait l’achat de 84 % des actions de Repsol YPF en Argentine en s’alliant avec la troisième plus grande entreprise chinoise, la CNOOC, pour 17.000 millions de dollars. Si cela se concrétise, ce serait le plus grand investissement pétrolifère de la Chine à l’étranger [5]

Les informations précédentes, recueillies dans la presse internationale de la semaine dernière, permettent de conclure que se déroule dans la région une vive concurrence pour des ressources naturelles avec la participation de puissances extra-continentales. En parallèle, les pays les plus importants (l’Argentine, le Brésil, le Venezuela) commencent à mener leurs échanges dans d’autres monnaies que le dollar et établissent des alliances avec des pays asiatiques et avec des puissances émergentes.

Le poids que les facteurs économiques liés à l’hégémonie ont dans la décision d’augmenter la présence militaire des États-Unis en Colombie, pourra être observé d’une plus claire manière à mesure qu’Obama prend plus de et plus de décisions stratégiques.

Contre qui sont les bases

Selon les Etats-Unis, il s’agit basiquement de substituer le rôle que jouait la base de Manta, en Équateur qu’ils doivent abandonner en novembre mais dont, en fait, ils se sont déjà retirés. Pour le président Álvaro Uribe, il s’agit de continuer avec le Plan Colombie, c’est à dire de continuer la guerre contre les Farc jusqu’à la gagner, et de lutter contre le trafic de stupéfiants. Sur ce point la coïncidence entre Bogotá et Washington est complète, au-delà des dirigeants colombiens, le fait d’augmenter la présence militaire étasunienne est une bonne façon de résoudre toute difficulté possible dans les relations entre les deux pays.

Le déploiement de la IV Flotte décidé l’année dernière se trouve maintenant complété par un chapelet de sept bases que le Commando Sud peut utiliser quand il en aura besoin. Certes, la Maison Blanche et le Palais de Nariño se sont engagés sur l’argument qu’il n’y aura pas de bases militaires étasuniennes parce que toutes continueront d’être contrôlées par l’État et les forces armées colombiennes, et que les 800 militaires et 600 civils qui opèrent actuellement en Colombie ne seront pas plus nombreux.

L’argument est seulement partiellement certain. Dans les nouvelles conditions de la guerre, le type de bases militaires existant pendant la Guerre Froide, de grandes concentrations humaines et des appareils, fixes et immobiles, laissent la place à un modèle plus flexible comme cela ressort du rapport "Global Route Strategy" d’ avril 2009 de la force aérienne des États-Unis. Il s’agit de pouvoir disposer de l’usage d’installations, surtout pour le passage aérien, qui rendent possible le contrôle à distance et la dissuasion en laissant l’intervention directe à des situations exceptionnellement critiques. Dans ce sens, ce qui intéresse plus la superpuissance c’est de disposer de la coopération des gouvernements de la région, lui permettant d’installer des radars et des systèmes de surveillance, l’usage d’aéroports et de ports, question beaucoup plus décisive que la présence militaire directe qui, avec l’actuelle technologie, peut se concrétiser en quelques heures.

Cependant, le nouveau déploiement du Commando Sud pointe dans une autre direction. Pour Juan Gabriel Tokatlián, professeur de Relations internationales à l’Université Di Tella, "le message principal est pour le Brésil et non pour le Venezuela" [6]. Il a raison, mais on doit ajouter quelques détails. Parler du Brésil, depuis la logique régnante à Washington, c’est parler de l’Amazonie, c’est à dire des ressources naturelles. En deuxième lieu, l’accord imminent pour l’utilisation de sept bases militaires colombiennes par le Commando Sud, peut être relatif à l’alliance croissante entre la Chine et le Brésil, dont le commerce doit se faire à travers la cordillère andine.

La stratégie du cercle

Les choses sont selon le lieu depuis lequel elles sont observées. C’est pourquoi au Brésil la décision d’augmenter la présence militaire du Commando Sud dans la région a fait l’effet d’un coup de pied. Le chancelier Celso Amorim et le conseiller pour les questions internationales Marco Aurelio García, ont été très explicites. "Ce qui préoccupe le Brésil est une présence militaire forte, dont l’objectif et la capacité peuvent aller beaucoup plus loin de ce que peut être le besoin interne de la Colombie", a dit Amorim à Folha de Sao Paulo. Il a ajouté qu’il y a une contradiction entre l’affirmation de Bogotá selon laquelle les FARC sont pratiquement anéanties et l’augmentation de la présence militaire étasunienne pour les combattre. "Dans la région, il est important d’être transparent et clair. Cela a peut être manqué. On peut avoir, par exemple, des garanties formelles sur comment ces bases seront utilisées", a-t-il conclu [7].

Le président Lula a, pour sa part, lié les bases en Colombie et la réactivation de la IV Flotte à l’existence d’énormes réserves pétrolières à 7.000 mètres de profondeur dans les eaux des états de Santa Catarina et de Espiritu Santo, qui donneront au pays l’autonomie énergétique. De cette façon, il semble s’aligner avec un vieux souci des stratèges et des militaires de son pays dans ce qu’ils nomment la "Géopolitique du Cercle". En effet, en 2002 le Centre d’Intelligence de l’Armée, dont le siège est à Brasilia, a réalisé trois études qui ont répertorié la présence militaire étasunienne en Amérique du Sud. Les conclusions indiquaient qu’en 2001 et 2002 il y avait 6.300 militaires de ce pays construisant des pistes et des détachements en forme d’une "ceinture" militaire qui entoure le Brésil [8]

L’un de ces travaux, "la Présence des États-Unis en Amérique du Sud", au compte du colonel d’infanterie à l’époque et maintenant chef militaire du Nordeste, José Alberto Da Costa Abreu, concluait que l’une des conséquences principales est "la diminution de la capacité brésilienne d’avoir du pouvoir dans l’enceinte régionale par l’existence d’une ’ceinture’ d’installations nord-américaines proches des frontières brésiliennes, principalement dans la région amazonienne" [9]

Dans la série de reportages publiés par le site militaire brésilien Defesanet, ils rappellent que 25 % du pétrole que les États-Unis consomment provient des pays andins, et que la question de l’Amazonie est le sujet le plus brûlant dans la région et un sujet extrêmement sensible pour le Brésil.

Traduction de l’espagnol pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi.

Argenpress . Buenos Aires, le 21 Août 2009.

Notes :

Notes

[1Agence Xinhua, le 13 août 2009.

[2The Independent, le 3 août 2009.

[3Le Quotidien du Peuple, le 11 août 2009.

[4Folha de Sao Paulo, le 12 août 2009.

[5China Daily, le 12 août 2009.

[6Pagina 12, 7 août 2009.

[7DPA, la Brasilia, le 2 août 2009.

[8Defesanet, le 18 janvier 2006.

[9Idem.

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