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8 janvier 2015

Le président Enrique Peña à Washington ou la remise des clés du Mexique

par Carlos Fazio *

 

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Le 6 janvier, le président Enrique Peña se rendra en visite officielle aux Etats-Unis. Politiquement très affaibli, c’est avec une légitimité pour le moins entamée qu’il rencontrera Barack Obama. La crise humanitaire héritée du régime de Felipe Calderón s’est aggravée durant les deux premières années de son mandat, et dans ces conditions, les crimes d’Etat de Tlatlaya et Iguala/ Ayotzinapa mettent brutalement en lumière toute la violence du système. A cela viennent s’ajouter des opérations louches, des scandales de corruption et de conflits d’intérêts déterrés par la dite Maison Blanche impliquant le couple présidentiel Peña/Rivera dans l’affaire du train à grande vitesse reliant Mexico à Querétaro, et la complicité du multimédia mexicain Televisa et du Groupe Higa de Juan Armando Hinojosa, fortement compromis dans les magouilles du président et de son épouse. Summum de tout, Luis Videgaray, « ministre des finances de l’année » et « philosophe mondial », fut découvert par le Wall Street Journal, après avoir révélé une transaction entre le secrétaire d’Etat aux Finances et « l’entrepreneur gênant » de la période de six ans, pour l’achat d’une propriété à Malinalco, Edomex.

Il faut donc s’attendre à ce que la rencontre Peña/Obama soit une autre mascarade politique sous forme de show. Mais la réalité les a tous deux radicalement changés. A partir de janvier Obama devra composer avec un Congrès majoritairement républicain, ce qui va considérablement réduire sa marge de manœuvre. Quant au « courageux progressiste » de Davos (Suisse) ; « homme d’Etat 2014 » de la Fondation Appeal of Conscience et « sauveur » du Mexique (dixit Time Magazine), la crise Tlatlaya/ Iguala/ la Maison Blanche lui a explosé au visage et l’a laissé trois mois en état de choc.

En raison des circonstances, Obama devra éviter les niaiseries théâtrales et contenir le charisme manipulateur dont il fit preuve, ici, à Mexico, en mai 2013, quand lors d’une campagne de marketing destinée à plébisciter son hôte, il reprit à son compte la nouvelle épopée du gouvernement peñiste, alors balbutiant, et transforma systématiquement, comme par enchantement, un pays en proie à la terreur et à une violence fratricide sans fin, en une nation prospère, formée d’une classe moyenne urbaine en pleine expansion et de jeunes nés pour réussir.

Ce Mexique faussement idéalisé par Obama renvoie aujourd’hui l’image d’une population excédée à l’extrême, qui se manifeste tous les jours à cause des crimes contre l’humanité de Iguala/ Ayotzinapa, perpétrés avec la participation directe d’agents de l’Etat contre presque une cinquantaine de jeunes étudiants d’origine paysanne pauvre. Auxquels se greffe la sauvage exécution sommaire d’une vingtaine de jeunes gens âgés de 16 à 22 ans et d’une jeune fille de 15 ans –présumés délinquants selon la version officielle −, par des soldats du 102ème bataillon d’infanterie de l’Armée Mexicaine, à Tlatlaya, le 30 juin dernier.

La débâche du « moment Mexicain » en son temps tellement acclamé, n’empêchera pas le tour d’horizon du programme secret de la rencontre Obama/Peña à l’autre Maison Blanche. Celui-ci a pour point crucial la consolidation de l’Amérique du Nord en tant qu’espace géographique regroupant le Canada, les Etats-Unis et le Mexique, sous la domination économico-militaire de Washington, pour la concurrence intercapitaliste sur les marchés et l’appropriation/ spoliation des ressources géostratégiques mondiales. Dans cette étape, l’accentuation de la crise structurelle du système s’accompagne de guerres économico-énergétiques, de convulsions géopolitiques et de campagnes de déstabilisation de l’axe Pentagone/ OTAN dans les zones d’influence russes et chinoises, et au niveau sous-régional, elle est marquée par le tournant historique, bien qu’incertain, de la prochaine reprise des relations entre les Etats-Unis et Cuba.

Dans ce contexte, il convient de rappeler les « recommandations » données en octobre par le Conseil des Affaires Étrangères, puissant gouvernement mondial de l’ombre basé à New York. Dans son rapport, Amérique du Nord : l’heure d’une nouvelle approche −analysé par David Brooks pour La Jornada−, le CFR ( en anglais Council on Foreign Relations) insistait sur le fait que pour renforcer la position des Etats-Unis et leur présence dans le monde (ergo, pour préserver l’hégémonie impérialiste), il fallait intensifier « l’ intégration » du Canada et du Mexique, via « le développement et la mise en œuvre d’une stratégie de coopération économique, énergétique, environnementale, sociale et de sécurité ».

Le rapport préconise « une stratégie de sécurité unifiée » pour l’Amérique du Nord. Mais pour atteindre cet objectif, Obama doit soutenir les efforts de Peña pour renforcer la « gouvernance démocratique » (tournure sémantique qui remplace la désuète « sécurité démocratique » d’ Alvaro Uribe en Colombie, cautionnée par Washington). Il recommande également une stratégie transfrontalière avec le Mexique, en combinant la protection du « périmètre de sécurité » à plus d’intelligence, d’évaluations des risques, de moyens mis en commun et d’actions conjointes ; tout cela, bien sûr, avec l’allégeance des forces armées mexicaines au Commando Nord du Pentagone, qui depuis 2013, grâce à l’Initiative Merida, a intensifié les entraînements auprès de civils et militaires en ce qui concerne la guérilla, le contre-terrorisme et la contre-insurrection.

Une autre directive est de soutenir « les réformes historiques du Mexique » sur le plan énergétique. Le CFR insiste sur la nécessité absolue d’une « stratégie régionale » incluant un développement des exportations, un renforcement de l’infrastructure et la promotion de l’augmentation des connexions transfrontalières en matière d’énergie. Et, comme le dit l’ex président de la Banque Mondiale, Robert Zoellick − co-signataire du rapport avec le général (r) David Petraeus, ex directeur de la CIA−, étant donné « que la réforme sur l’énergie au Mexique n’a pas encore été mise en place, il est très important que les Etats-Unis y apportent leur concours ». Une fois surmontée la contre-réforme à l’article 27 constitutionnel, le trésor se trouve dans les eaux profondes du Golfe et dans l’infrastructure hydrocarburifère transfrontalière au centre du bassin de Burgos. Voilà la raison de la présence de Peña à Washington : livrer le Mexique en mains propres.

Carlos Fazio pour La Jornada

Titre original : « Peña a Washington a profundizar la entrega »

La Jornada. México, 5 janvier 2015.

* Carlos Fazio Journaliste et analyste international uruguayen résidant au Mexique, collaborateur du quotidien mexicain La Jornada, et et l’hebdomadaire uruguayen Brecha.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Florence Olier-Robine

El Correo. Paris, 8 janvier 2015.

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