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14 octobre 2016

Le pas de clerc de François Hollande

par Jacques Sapir*

 

Le quiproquo créé par l’intempestive déclaration de François Hollande, « s’interrogeant » sur une possible mise en cause de Vladimir Poutine devant la Cour pénale internationale a abouti au report sine die de la visite du Président russe. Elle montre, outre la maladresse quasiment légendaire de François Hollande sur les questions internationales, que ce dernier ne fait plus de politique et donc plus de politique étrangère.

L’incompréhension de François Hollande

Revenons sur ce qui a déclenché cette nouvelle crise dans les relations Franco-Russes. Une mise en cause d’un chef d’Etat étranger n’est possible que si l’Etat a ratifié le traité et le statut de la CPI (ce qui n’est pas le cas des Etats-Unis, de la Chine et de la Russie) ou que si il y a un vote sur ce point au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Mais, là, on sait bien que tant la Russie que la Chine possèdent un droit de véto. Faire des menaces « en l’air », des menaces qui n’ont aucune chance de se concrétiser est de très mauvaise politique. Il s’agit ni plus ni moins d’un « bluff », qui se révèle immédiatement, et se retourne alors contre son auteur. Si François Hollande avait voulu finir de se discréditer sur la scène internationale, il ne s’y serait pas pris autrement. Mais, ce discrédit vaut aussi pour l’ensemble des positions françaises sur la crise syrienne.

Allons un peu plus loin sur le déclencheur réel de cette crise : les bombardements d’Alep. Dans cette ville qui avait avant le début de la guerre civile plus d’un million et demi d’habitants, il en reste environ 200 000 qui sont les otages, parfois consentants, de ceux que la diplomatie française appelle les « rebelles ». Or, ces rebelles qui sont-ils ? Il y a en réalité deux coalitions rebelles, d’inégale force, sur Alep [1]. La première est la coalition Jays al Naser qui est dirigée par le « front » al-Nosra et qui est rattachée à Al-Qaeda. Cette coalition s’est livrée à de multiples exactions et crimes de guerre, et mérite entièrement le vocable de « terroriste » qui est utilisé par les russes et le régime syrien. Mais, la France a soutenue et armée cette coalition. Rappelons ce mot de Laurent Fabius, alors Ministre des Affaires Etrangères, sur al-Nosra qui était censé faire du « bon boulot ». On voit que certaines affaires sont très étrangères à l’entendement de Laurent Fabius…

La seconde force est la coalition Fatah Halep, qui est composée de rebelles d’Alep en lien avec le mouvement originel, mais qui ne commande aujourd’hui quasiment aucune opération militaire. Ses forces sont exsangues, tant en raison des combats que des défections au profit de groupes alliés à al-Nosra. Or, depuis le printemps 2016 et les renforts envoyés par al-Nosra sur le terrain ainsi que ses victoires temporaires (comme la rupture de l’encerclement des quartiers d’Alep où ils son retranchés), les gens d’ al-Nosra jouissent d’un prestige évident, ce qui explique le ralliement des combattants du Fatah Halep. Ces ralliements devraient interroger toute personne sensée sur la porosité politique entre ces deux coalitions. Il n’y a aujourd’hui probablement plus de « modérés » dans cette guerre civile. Les hommes d’al-Nosra mènent une guerre insurrectionnelle dans Alep en infiltrant la population, parfois avec son accord, parfois en la prenant en otage, et ils utilisent tous les moyens à leur disposition pour échapper aux bombes russes… dont les hôpitaux qui soignent leurs blessés mais qui deviennent aussi, dans le contexte de guerre urbaine, des points d’appuis militaires. A Stalingrad, les soviétiques ont aussi bombardé les hôpitaux des troupes nazies encerclées, parce qu’ils savaient que dans le contexte d’un siège, un hôpital devient un atout militaire pour les assiégés et leur permet de faire durer leur lutte. On peut, comme le fait Caroline Galactéros, parler d’un amateurisme complet [2].

Une haine viscérale pour la Russie

La position française est, sur ce point incohérente. La France souhaite relancer l’accord de cessez-le-feu russo-américain. Mais, cet accord a été rendu caduque par la frappe erronée de l’aviation de la coalition internationale qui a bombardé l’armée syrienne le 17 septembre à Deir-el-Zor. En s’accrochant à la ce qui est maintenant une fiction, celle de « modérés » dans l’opposition à Assad, la France achève de se décrédibiliser.
Mais, peut être que tout ceci n’est en réalité qu’un prétexte. Il existe une hostilité latente entre le gouvernement de François Hollande et la Russie de Vladimir Poutine qui s’est faite jour dès 2013. Au départ, le prétexte à cette hostilité a été le sort des homosexuels en Russie, que l’on disait victimes de persécution. Puis, ce fut, en 2014, la question de la Crimée, et la politique russe vis-à-vis de l’Ukraine.

A chaque fois, le prétexte à une tension entre la France et la Russie est une exagération, voire une déformation grossière des positions russes. Le massacre d’Odessa en 2014 par les néo-Nazis ukrainiens montre ce qu’aurait été le sort des russophones de Crimée. Personne aujourd’hui ne conteste que le référendum sur le rattachement de la Crimée, n’ait représenté la volonté d’une majorité absolue des habitants de cette région. Aujourd’hui, on prend à nouveau prétexte des bombardement sur Alep, en oubliant commodément que l’Armée de l’Air américaine a bombardé un hôpital des MSF en Afghanistan, ou que la France arme l’Arabie Saoudite, qui mène une guerre féroce au Yémen et ne se préoccupe guère ni des droits de l’homme ni de la protection des civils. On voit parfaitement la mécanique du double discours qui vise à faire porter l’opprobre le plus grand sur la Russie alors que nos alliés commettent des actes largement similaires.

Il faut donc comprendre que François Hollande et ses conseillers ont une répulsion viscérale pour ce que représente la Russie de Vladimir Poutine, non pas en raison des bombardements ou de la « brutalité » des opérations de guerre menées par les forces russes mais bien plutôt parce que la Russie représente tout ce à quoi la France de Hollande a renoncé : la souveraineté nationale et un véritable projet, que l’on peut discuter mais qui a le mérite d’exister, au Moyen-Orient. Poutine apparaît comme un remord permanent pour François Hollande et une partie de la classe politique française. C’est la statue du commandeur qui se dresse dans la nuit et qui regarde Hollande-Dom Juan.

Des conséquences désastreuses pour la France

Il devrait pourtant être évident que l’on ne peut lutter contre les mouvements djihadistes, qu’il s’agisse du soi-disant « Etat Islamique » ou des groupes affiliés à Al-Qaeda, sans une étroite coopération avec la Russie. Cela impliquerait, en bonne logique, que l’on cherche un compromis avec les Russes, et d’autres forces, sur les objectifs politiques et sur l’avenir du Moyen-Orient. Car, on peut certainement discuter de certains objectifs de la Russie, mais ce qu’il est impossible de faire c’est de les ignorer. C’est pourtant ce que fait François Hollande depuis deux ans, et à notre détriment.

La logique – tout comme la raison – ont été jetées par dessus les moulins par François Hollande et ses conseillers. Leur vision du conflit est à la fois manichéistes (les « bons » contre les « méchants ») et en partie motivée par des considérations dites humanitaires. Ils ont complètement oublié le mot de Clausewitz : « la guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens ». Les russes, les iraniens, les américains, eux font de la politique. Mais pas François Hollande et ses conseillers. Ils ne font plus de politique, et cela pour une raison simple : la France a abdiqué sa propre souveraineté. Dès lors, on comprend que François Hollande ne puisse trouver un terrain d’entente avec Vladimir Poutine qui, lui, fait de la politique, quoi que l’on puisse penser des buts qu’il vise et des moyens qu’il utilise pour les atteindre. Les « pas de deux » de François Hollande à la suite des attentats de novembre 2015 envers la Russie fut un pas de clerc qui a illustré l’incapacité congénitale de sa présidence à penser en des termes qui soit réellement politiques et non politiciens ou pleurnichards. Le risque, pour la France est celui d’être éjectée du Moyen-Orient comme force politique, et de perdre ce qui survivait de son ancienne influence. Le risque, pour l’Europe, dans le sens de l’Union européenne bien entendu, est d’être confrontée à la fois à une menace terroriste multiforme et aux conséquences de la crise migratoire. Mais, l’Union européenne est moribonde et incapable de penser ce que représente le Moyen-Orient pour son avenir. Pour cela, il eut fallu qu’elle existât ! Les conséquences de la crise en Syrie comme en Libye se rappellerons à son souvenir sous la forme du flux de réfugiés, qu’elle sera incapable de gérer, et qui va dans les mois à venir, finir de déstabiliser les Balkans, et de là, une partie de l’Europe centrale.

Jacques Sapir* pour RussEurope

*Jacques Sapir est un économiste français, il enseigne à l’EHESS-Paris et au Collège d’économie de Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des problèmes de la transition en Russie, il est aussi un expert reconnu des problèmes financiers et commerciaux internationaux. Il est l’auteur de nombreux livres dont le plus récent est « La Démondialisation » (Paris, Le Seuil, 2011).

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Notes

[1Noujaim K., «  Alep, tournant stratégique  » in Huffington Post, 9 octobre 2016

[2« La décision de Vladimir Poutine humilie la diplomatie française ». Par Caroline Galactéros, Le Figaro, Paris le 11octobre 2016

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