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3 mai 2004

Le feuilleton de la corruption au Méxique

 

Le très populaire maire de gauche de Mexico, Andrés Manuel López Obrador, que beaucoup voyaient en futur président, est au cœur d’un énorme scandale. Tout a commencé par la diffusion de séquences vidéo dignes d’un film noir.

Le président du Parti écologiste, Jorge Emilio González (AFP)

Voilà qui est digne "du meilleur cinéma noir des années 50", ironise Jorge Castaneda dans le quotidien Reforma. Sur une cassette vidéo, on voit, "dans un salon privé d’un casino de Las Vegas, un homme en train de négocier, avec, à côté de lui, une mallette noire remplie de billets verts" ; ce qui est surtout intéressant, ajoute le célèbre commentateur et ancien ministre des Affaires étrangères, c’est que "les acteurs sont non seulement des gens connus et importants, mais aussi des fonctionnaires du plus haut niveau du gouvernement de la ville de Mexico". Dans un pays où la corruption n’est pas une nouveauté, la diffusion de plusieurs cassettes vidéo parvient malgré tout à provoquer un immense scandale depuis bientôt trois semaines !

Le maire de Mexico, "l’homme politique le plus populaire, le presque président Andrés Manuel López Obrador, est mêlé à ce scandale de corruption aux proportions gravissimes", rapporte encore Reforma. Et Andrés Manuel, ou AMLO comme l’appellent affectueusement les Mexicains, figure de proue du Parti de la révolution démocratique (PRD, gauche) et qu’on imaginait jusque-là vainqueur à la prochaine élection présidentielle, a dû se séparer du bras financier et du bras politique de son administration.

Corruption à l’antenne

Tout a commencé par une vidéo montrant le sénateur et président du Parti écologiste, Jorge Emilio González, acceptant un pot-de-vin de 2 millions de dollars contre un permis de construire, raconte Proceso. Puis, le 1er mars, c’est Gustavo Ponce, trésorier du gouvernement de la ville de Mexico, qui apparaît sur un enregistrement vidéo face à un tapis vert, jonglant avec de grosses sommes d’argent dans un casino de Las Vegas. Dès le lendemain, AMLO le renvoie et demande l’ouverture d’une enquête sur l’origine des fonds utilisés, ainsi que sur l’éventuelle participation de Ponce, désormais introuvable, à des actes de corruption. Apparaît alors une fraude de 31 millions de pesos (2,3 millions d’euros) dans les finances d’un des districts de la capitale.

L’affaire ne s’arrête pas là : le 3 mars, c’est au tour de René Bejarano, secrétaire particulier d’AMLO, d’être vu à une heure de grande écoute sur Televisa, la chaîne de télévision mexicaine la plus regardée, recevant des milliers de dollars des mains de l’homme d’affaires Carlos Ahumada. Bejarano rend sa carte du PRD mais tient auparavant à affirmer que "l’argent était destiné à financer la campagne de membres du parti", rapporte
La Jornada.

Tous les Mexicains sont complices

Pendant près de trois semaines, le Mexique a été tenu en haleine, dans l’attente de nouvelles révélations. "Combien sont en train de trembler aujourd’hui ?" se demande Reforma. Obrador crie au complot : "On veut me détruire", a-t-il déclaré à La Jornada. Selon lui, c’est l’extrême droite et le gouvernement fédéral qui, voulant sa mort politique, ont manipulé ses hommes. Mais, au-delà du scandale qui affecte le PRD, c’est tout le système politique mexicain qui est remis en cause. Le mois dernier, Marta Fox, épouse du président et qui affiche des ambitions politiques, avait, elle aussi, été mise en cause dans une affaire de corruption. Désabusé, l’hebdomadaire Proceso constate que "tout cela montre qu’il faudra s’attaquer à ce problème de manière frontale : lorsque c’est possible, la gauche se livre à des malversations tout autant que la droite. Les membres du PRD se comportent à l’instar de ceux du PRI qu’ils critiquent tant. Devant des occasions en or, il n’existe pas de démocrates incorruptibles."

Les réactions portent également sur le rôle des médias. Le politologue Marco Morales se demande, dans l’hebdomadaire Milenio, si l’on peut laisser les médias s’emparer à ce point de l’affaire. Il ne faut pas oublier, selon lui, que "les médias sont une industrie dont la préoccupation principale est de gagner de l’argent. Ils ont aussi des intérêts politiques et des liens avec des groupes au pouvoir. Pouvons-nous laisser jouer le rôle de persécuteur à des arbitres si peu impartiaux ?"

Quant à la politologue Denise Dresser, elle affirme dans Proceso que "la corruption persiste parce qu’elle bénéficie aux puissants. Mais elle subsiste aussi grâce à la complicité de ceux qui sont au bas de la pyramide. Les Mexicains s’indignent face à ce qui se passe dans les couloirs du pouvoir, mais offrent des pots-de-vin aux policiers. Ils vocifèrent contre la corruption mais ne retirent pas leur voix à qui la commet. Tout le système politique est en cause. La corruption accapare 9,5 % du PIB, soit plus du double des dépenses pour l’éducation et l’enseignement. Le Mexique démocratique n’a pas éliminé la corruption, il en a fait une vidéothèque". D’ailleurs, le scandale a eu des conséquences imprévues. Selon Reforma, à Tepito, l’un des quartiers du centre historique de Mexico, réputé pour ses marchés de produits volés et son insécurité, des caméras de surveillance factices se vendent désormais comme des petits pains. "Ces voleurs d’hommes politiques les ont mises à la mode", affirme en souriant l’un des vendeurs.

Par Inès Bel Aïba
© Courrier international

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