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23 novembre 2018

Le feu passe au jaune en France

par Rafael Poch de Feliu*

 

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Si en France il ne se passe rien, alors il ne passera rien de fondamental de nature libératrice et progressiste à moyen terme en Europe.

Le samedi [17 nov 2018] 300.000 des personnes ont exprimé leur protestation de façon active en organisant plus de 2000 blocages de routes et de péages dans toute la France. Il faut suivre de près ce phénomène des gilets jaunes, un mouvement auto(dés)organisé au travers de réseaux sociaux, populaires et imprévisibles. La journée de samedi a continué le dimanche et ainsi de suite. Maintenant le mouvement appelle à bloquer le Paris le samedi 24 … Tout cela rend l’establishment mediatico-politique européen très nerveux.

Le ministre de l’Intérieur français, Christophe Castaner a constaté, mardi, la « On voit bien aujourd’hui qu’on a une dérive totale d’une manifestation qui pour l’essentiel était bon enfant samedi. On voit qu’on a une radicalisation avec des revendications qui ne sont plus cohérentes, qui vont dans tous les sens » a-t-il dit. La CGT, le syndicat français le moins docile, s’est démarqué, mais trois français sur quatre ont exprimé selon les enquêtes leur appui à cette manifestation dans laquelle on entend des appels à la démission du « président des riches ».

L’étincelle fut la hausse des taxes sur les carburants. Cela a mené une ex-ministre socialiste de l’environnement, Delphine Batho, représentante typique de la gauche-caviar, que la protestation est une « manifestation de solidarité au lobby pétrolier ». Mais derrière la fiscalité sur le diesel se cache une vraie question de classe, une injustice fiscale qui grève les gens de banlieue, les plus enchaînés à l’usage de la voiture pour aller au travail, ou ceux qui travaillent avec, dessinant toute la géographie de la France périphérique des zones rurales et des banlieues urbaines. Il y a dans leur protestation une injustice comparative envers le traitement fiscal que reçoivent les riches, avec l’élimination de l’impôt sur les grandes fortunes, et une indignation et un ras le bol contre les déclarations dédaigneuses de Jupiter Macron qui met en évidence, chaque mois, sa mentalité élitiste. C’est une fracture de classe qui fait peur : désorganisée, radicale et imprévisible.

Tout à coup, comme on le lit dans la presse allemande, on met en garde sur le danger provoqué par ce qu’avant on considérait comme une réussite et une victoire : la décapitation et l’intégration des organisations syndicales qui défendaient encore des intérêts de classe. Le paradoxe du résultat de décennies de politiques dirigées à décaféiner les syndicats est qu’il débouche sur une préoccupation devant le danger que suppose l’absence d’interlocuteurs (syndicaux) corrompus avec qui négocier une colère comme celle-ci.

Au un moment où dans toute l’Europe surgissent des populismes de nature conservatrice ou réactionnaire avec lesquels la droite capitalise et canalise les flots de mécontentement et de souffrance sociale suscités par la crise, il faut être attentif à toute manifestation d’un mouvement qui ressemble à quelque chose de classe, bien qu’il finisse en eau de boudin. Si en Europe, parvenait à se former quelque chose de semblable à un bloc populaire-citoyen antibourgeois, cela pourrait bien être à partir de ce type d’étincelles. Avec la configuration capitaliste actuelle des espaces et géographies, le prix du carburant occupe un rôle pas très différent de celui du pain dans les insurrections anciennes. Heureusement, après pas mal d’hésitations, le France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon s’est rendue compte de cela et a exprimé son appui à cette protestation. Et le lieu se trouve en France.

Il y a longtemps que je soutiens modestement que si en France il ne se passe rien, c’est-à-dire, que si ce qui demeure de la plus grande tradition sociale et républicaine du continent s’avère incapable de réagir à cette crise qui accroit l’inégalité sociale et balaye les droits très chèrement acquis, alors il ne se passera rien de fondamental de nature libératrice et progressiste à moyen terme dans cette partie du monde.

La dernière de Macron est d’appliquer la directive européenne pour réduire les retraites d’un pays où il y à peine des retraités pauvres, comme c’est le cas en Allemagne où ce nettoyage a été fait il y a des années déjà. Macron a exprimé la semaine dernière tout le délire narcissique qui accompagne l’ « européisme » établi après avoir dit à Berlin que « L’Europe et en son sein, le couple franco-allemand se trouvent investis de cette obligation de ne pas laisser le monde glisser dans le chaos et de l’accompagner sur le chemin de la paix ». La simple réalité est que l’action de cet axe, qui en France est vécu de façon croissante comme une simple subordination à l’Allemagne, crée le chaos dans l’Union Européenne avec une politique néolibérale qui excite tout ce qui dissout et désintègre à l’ « européisme ».

P.S. La visite de Macron à Berlin, où il a obtenu des appuis à sa proposition d’une armée européenne, a inclus une offrande florale dans le Neue Wache, petit temple de l’avenue Unter den Linden. Aux temps de la RDA, l’Allemagne communiste, c’était un mémorial aux « victimes du fascisme et du militarisme ». Dans les années quatre-vingt-dix, après la réunification, le mémorial a été remanié pour les « victimes de la guerre et de la tyrannie », un concept qui embrasse le nazisme et le communisme. La rénovation est rentrée ainsi dans la ligne de la doctrine établie par les ex-nazis qui ont gouverné l’Allemagne occidentale dans l’après-guerre et qui cherchaient leur rédemption durant la guerre froide sous le manteau général du « totalitarisme ». L’unification conceptuelle présentait le communisme et le stalinisme comme frères jumeaux du nazisme et du fascisme, ignorant la différence idéologique fondamentale ; qu’il ne peut pas exister un « bon » nazisme, contraire à toute approche humaniste, mais oui un « bon » socialisme qui développe des idéaux humanistes radicalement antagoniques avec l’antihumanisme stalinien. Aujourd’hui le temple comporte une plaque qui mentionne parmi les victimes de la tyrannie, les Allemands expulsés de leurs foyers en Europe centrale et orientale après l’échec de 1945 et par les représ-alliés [represailles + alliés] du régime de l’Allemagne de l’Est. Une nouvelle histoire nationale à la carte pour des temps nouveaux.

Rafael Poch de Feliu* pour son Blog personal

Blog personnel. Catalunya, le 21 novembre 2018.

* Rafael Poch-de-Feliu (Barcelone, 1956) a été durant plus de vingt ans correspondant de « La Vanguardia » à Moscou à Pékin et à Paris. Avant il a étudié l’Histoire contemporaine à Barcelone et à Berlin-Ouest, il a été correspondant en Espagne du « Die Tageszeitung », rédacteur de l’agence allemande de presse « DPA » à Hambourg et correspondant itinérant en Europe de l’Est (1983 à 1987). Blog personnel. Auteur de : « La Gran Transición. Rusia 1985-2002 » ; « La quinta Alemania. Un modelo hacia el fracaso europeo » y de « Entender la Rusia de Putin. De la humiliación al restablecimiento ».

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo de la Diaspora. Paris, le 23 novembre 2018

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