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25 septembre 2010

Le dernier piège de la Banque mondiale

par Raúl Zibechi *

 

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

Los recursos naturales en América Latina y el Caribe :
¿más allá de bonanzas y crisis ?

La diffusion du récent rapport du Banque mondiale, Les ressources naturelles de l’Amérique Latine et des Caribes : au-delà de la prospérité et de la crise ? (Le 13 septembre)[Txt en espagnol], il pourrait contribuer au débat urgent et nécessaire sur les stratégies les plus adaptées pour sortir de la pauvreté et de la dépendance, pour affronter les problèmes sociaux et environnementaux que l’extractivisme génère, et profiter d’une articulation favorable pour conduire le continent vers une rupture avec le néolibéralisme. Ce n’est pas que le rapport de la BM n’apporte rien d’intéressant, mais plutôt c’est une plaisanterie de mauvais goût. Cependant, beaucoup de gouvernements de la région, y compris, les soi-disant « progressistes » paressent être d’accord avec certaines de ses conclusions les plus néfastes.

La vice-présidente pour l’Amérique Latine et les Caraibes de la BM, Pamela Cox, préface le rapport en disant que les pays de la région « sont devenus parmi les plus prospères du monde grâce à la production de métaux précieux, de sucre, de caoutchouc, de grains, de café, de cuivre et de pétrole ». Elle rejette que l’exploitation des ressources naturelles a été une malédiction pour la région et croit que les perspectives de courte terme sont « flatteuses » de par les prix élevés du marché. Le rapport lui-même assure que « les exportations de biens du secteur primaires ont toujours activé les économies de la région, en remplissant les coffres des gouvernements », et que l’Amérique Latine « peut tirer des bénéfices significatifs pour être la mine et le grenier » des économies centrales. Bien sûr, il ne considère pas que les bénéficiaires principaux ont été les grandes multinationales et les pays du nord, jamais les exportateurs de matières premières.

L’objectif monétariste de la BM la mène à proposer que les « bénéfices extraordinaires » qui sont obtenus par les exportations de minerais, d’hydrocarbure et de produits agricoles, dont les prix restent très élevés sur les marchés globaux, soient utilisés pour réaliser une économie « qui pourrait être utilisée pour stabiliser ensuite la dépense dans les temps de crise de ces biens », comme soutient le rapport signé notamment par Augusto de la Torre, l’économiste en chef de la banque mondiale pour l’Amérique Latine et les Caraibes. Il condamne les nationalisations des entreprises qui exploitent des ressources naturelles et consacre une partie substantielle de ses conclusions à indiquer les chemins les plus adaptés pour « éviter ou minimiser les impacts sociaux et les conflits associés aux industries d’extraction  ».

De cette façon, le principal think tank néolibéral évalue que c’est précisément le prix international élevé des commodities qui permet que la région traverse avec succès la crise mondiale, et non son éloignement croissant avec les recettes de la BM elle-même et du FMI. La forte dépendance des exportations de matières premières que suppose 24 % des revenus fiscaux en moyenne dans la région, avec des cas qui arrivent jusqu’à 49 %, est un sujet de vraie inquiétude. On ne discute même pas de la détérioration des termes d’échange, ni de la différenciation des exportations, de l’industrialisation et de la souveraineté alimentaire, des questions stratégiques qui sont escamotées sous la vague d’exportations de produits du secteur primaire qui surexploitent les biens communs comme l’eau.

Ce n’est pas la première fois que la BM fait de faux pronostics et qu’ après elle se lave les mains quand arrivent les résultats désastreux. Vers le milieu des années 90 la BM faisait la promotion de la privatisation des retraites avec l’argument de ce que le vieillissement de la population mènerait le système public à la faillite. Un rapport récent du quotidien El País assure que le Cercle d’Entrepreneurs de l’Espagne, s’appuyant sur les analyses de la BM, assurait en 1996 que le système public de retraite connaîtrait un déficit de 10 % du PIB pour l’année 2000, quand en réalité il accumule une épargne équivalente à 6% du PIB ; alors que, les retraites privées sont au bord de la faillite (El Pais, 19/9/10). En effet, aux États-Unis il y a 31 états qui peuvent rester sans argent pour payer les retraites privées, tandis qu’au Royaume-Uni , elles ont perdu 37 % de leur valeur.

En Amérique Latine les voix qui appellent à un débat de fond sur l’intensification de l’exploitation de la nature continuent à être minoritaires et, ce qui est pire, elles n’ont pas l’habitude d’être écoutées dans les sphères officielles. Ni même dans les gouvernements qui se proclament opposés au capitalisme. Dans la campagne électorale vénézuélienne, où dimanche 26 est renouvelée l’Assemblée Nationale, la droite a réussi à polariser le débat en installant la question de la sécurité en ville. Cependant, les diverses gauches ne réussissent pas à remettre en question un modèle de développement qui continue d’être dépendant de l’exportation du pétrole. Ce qui n’a pas changé depuis qu’en 1999 Hugo Chavez est devenu président.

C’est sur ce point où l’inertie rapproche les faits concrets des positions tricheuses de la BM. Tandis que le capital mondial élabore des propositions pour approfondir le modèle, les propositions alternatives continuent à ne pas être écoutées. Elles comprennent, néanmoins, un vaste éventail : depuis le néo-développementisme jusqu’au sumak kawsay ou le bon vivre estampillé dans les constitutions de l’Équateur et de la Bolivie. L’économiste Jorge Katz, qui s’inscrit dans la première tendance, vient de dénoncer au congrès annuel de l’Association d’Économie pour le Développement de l’Argentine, que le décile le plus riche dans son pays a un revenu per capita aussi grand que le même décile dans des pays anglo-saxons, pendant que la population qui a les plus petits revenus est 20 fois plus pauvre que les strates les plus pauvres des pays développés.

L’actuelle phase du modèle néolibéral, bien que certains préfèrent parler de « pos-néolibéralisme » quand il s’agit des gouvernements progressistes, ne peut que générer une polarisation économique et sociale. Dans ce cas, le progressisme interpose des politiques sociales qui ne peuvent pas modifier la distribution des revenus, mais qui sont liées à l’exploitation de la nature. Il ne sera pas simple de sortir de l’extractivisme. Mais jamais on l’obtiendra sans un profond débat qui anticipe la confrontation indispensable avec un modèle prédateur.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

La Jornada . Mexico, le 24 septembre 2010.

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