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6 avril 2015


Le business-modèle de la guerre éternelle : Une petite entreprise familiale typique qui ne connaît pas la crise

par Robert Parry *

 

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L’expert néoconservateur Robert Kagan et sa femme, la secrétaire d’État adjointe Victoria Nuland, font tourner une entreprise familiale remarquable : elle a suscité une guerre ouverte en Ukraine et a aidé à relancer la guerre froide avec la Russie – et elle intervient pour exiger que le Congrès augmente les dépenses militaires pour que l’Amérique puisse mieux se défendre contre ces nouvelles menaces à sa sécurité.

Ce duo mari-et-femme extraordinaire fait d’une pierre deux coups pour le complexe militaro-industriel, une équipe intérieure-extérieure qui crée les justifications aux dépenses militaires, applique la pression politique pour s’assurer de crédits plus élevés et s’assure que les fabricants d’armes reconnaissants prodiguent des subventions généreuses aux groupes de réflexion bellicistes de même opinion qu’eux à Washington.

Non seulement la communauté plus large de néoconservateurs en bénéficie, mais d’autres membres du clan Kagan le font aussi, y compris le frère de Robert, Frederick, qui émarge à l’American Enterprise Institute, et sa femme Kimberly, qui dirige sa propre affaire l’Institute for the Study of War.

Robert Kagan, chercheur principal à la Brookings Institution (qui ne divulgue pas de détails sur ses fondateurs), s’est placé vendredi dernier sur son perchoir préféré, la tribune libre du Washington Post, pour faire mordre les Républicains à l’hameçon et obtenir qu’ils renoncent aux plafonds de dépenses limitant le budget du Pentagone, qu’il a calculé à environ 523 milliards de dollars (apparemment sans compter les dépenses de guerre supplémentaires). Kagan invite les législateurs du parti républicain à y ajouter au moins 38 milliards de dollars et, de préférence, plutôt entre 54 milliards et 117 milliards de dollars :

« Le fait que ceux qui préconisent plus de dépenses mènent une bataille difficile et en arrivent finalement à voter un montant plus bas dans un Congrès contrôlé par les Républicains, en dit long – sur l’hypocrisie républicaine. Les Républicains peuvent dénoncer bruyamment le [président Barack] Obama qui affaiblit la sécurité nationale, pourtant lorsqu’il s’agit de payer pour la politique étrangère que toute leur rhétorique robuste implique, trop d’entre eux restent introuvables. […]

« Les éditorialistes et les chroniqueurs qui s’en sont pris à Obama et ont acclamé les républicains doivent dire à ces derniers, et à leurs lecteurs, que la sécurité nationale coûte de l’argent et que sinon les lettres et des discours ne sont que des paroles creuses. […]

« Cela ennuiera cette partie de la base républicaine qui veut voir l’importance du gouvernement diminuer, qui aime plafonner les dépenses budgétaires et ne se soucie pas de ce qu’il fait pour la défense. Mais le leadership [le rôle exceptionnel des États-Unis, NdT] consiste à dire parfois aux gens ce qu’ils ne veulent pas entendre. Ceux qui se proposent de diriger les États-Unis dans les années à venir, républicains et démocrates, doivent montrer quel est leur genre de courage politique, tout de suite, au moment où les décisions budgétaires cruciales sont prises. »

Ainsi, la façon de montrer son courage – du point de vue de Kagan – c’est de déverser toujours plus de milliards dans le complexe militaro-industriel, donc de mettre de l’argent là où les républicains parlent du besoin de défendre l’Ukraine et de résister à un mauvais accord nucléaire avec l’Iran.

Pourtant, s’il n’y avait pas eu les efforts de Nuland en tant que secrétaire adjointe au Département d’État pour les affaires européennes, il n’y aurait pas de crise de l’Ukraine. Survivante néocon(ne) qui a conseillé le vice-président Dick Cheney, Nuland à obtenu des promotions sous l’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton et a aussi reçu le soutien du Secrétaire d’État actuel, John Kerry.

Confirmée dans son poste actuel en septembre 2013, Nuland a bientôt déployé des efforts extraordinaires pour promouvoir un changement de régime en Ukraine. Elle a vivement recommandé aux chefs d’entreprises et aux activistes politiques de défier le Président élu Viktor Ianoukovitch. Elle a rappelé aux chefs d’entreprises que les États-Unis avaient investi 5 milliards de dollars dans leurs aspirations européennes, et elle a littéralement distribué des cookies aux manifestants antigouvernementaux sur la place du Maïdan de Kiev.

En travaillant avec d’autres néoconservateurs importants, y compris le président du National Endowment for Democracy, Carl Gershman, et avec le sénateur John McCain, Nuland a fait comprendre que les États-Unis soutiendraient un changement de régime contre Ianoukovitch, ce qui est devenu plus probable
lorsque les néonazis et d’autres milices de droite venant de l’Ukraine occidentale ont afflué à Kiev.

Début février 2014, Nuland a discuté de ce changement souhaité par les États-Unis avec l’ambassadeur usaméricain en Ukraine, Geoffrey Pyatt (lui-même vétéran d’une opération de changement de régime à l’Agence internationale de l’énergie atomique qui avait aidé à installer le béni-oui-oui Yukiya Amano au poste de directeur général en 2009.

Nuland a traité le nouveau groupe de fonctionnaires ukrainiens qui lui était proposé comme si elle négociait les postes dans une équipe de base-ball, rejetant certains, en appréciant d’autres. « Yats est le bon mec », a-t-elle dit de son favori Arseniy Iatseniouk.

Dénigrant l’Union européenne pas suffisamment agressive à son gré dans l’affaire ukrainienne, elle a déclaré « Fuck the UE » – et se demandait comment « faire coller ce truc » alors que Pyatt réfléchissait pour savoir comment « faire accoucher cette chose ». Leur appel téléphonique non sécurisé a été intercepté et diffusé.

Le changement de régime en Ukraine

Le coup d’État contre Ianoukovitch a eu lieu le 22 février 2014, quand les milices néonazies et autres extrémistes violents ont envahi des bâtiments gouvernementaux, forçant le président et d’autres fonctionnaires à fuir pour sauver leurs vies. Le Département d’État de Nuland a rapidement déclaré le nouveau régime légitime, et Iatseniouk est devenu Premier ministre.

Le président russe Vladimir Poutine, qui présidait alors les jeux Olympiques d’hiver à Sotchi, a été pris au dépourvu par le coup d’État chez ses voisins et a tenu une réunion de crise pour déterminer comment protéger les Russes ethniques et une base navale russe en Crimée, ce qui a conduit à la sécession de la Crimée et à son annexion par la Russie il y a un an.

Quoiqu’il n’y ait aucune preuve que Poutine avait provoqué la crise en Ukraine – et en effet toutes les preuves indiquent le contraire – le Département d’État a colporté un thème de propagande auprès des médias d’information américains dominants et crédules, affirmant que Poutine avait orchestré la situation en Ukraine, d’une façon ou d’une autre, et que donc il pourrait commencer à envahir l’Europe. L’ancienne secrétaire d’État Clinton a comparé Poutine à Adolf Hitler.

Alors que le nouveau gouvernement de Kiev avait lancé une opération anti-terroriste brutale pour mater un soulèvement au sein des importantes populations russes ethniques de l’Ukraine de l’est et du sud, Nuland et d’autres néocons américains ont poussé à des sanctions économiques contre la Russie et ont exigé la livraison d’armes au régime issu du coup d’État. [Voir Consortiumnews.com – « Ce que les Néoconservateurs attendent de la crise de l’Ukraine. » ]

Dans le tir nourri de la guerre de l’information destinée au public américain et mondial, une nouvelle guerre froide a pris forme. Des néocons éminents, y compris le mari de Nuland, Robert Kagan, co-fondateur du New American Century qui a dirigé la guerre en Irak, ont insisté aux États-Unis sur un sujet de politique intérieure : la faiblesse qu’Obama avait manifestée, invitant ainsi l’agression de Poutine.

En mai 2014, Kagan a publié un long essai dans The New Republic intitulé « Superpowers Don’t Get to Retire » [Les superpuissances ne partent pas en retraite], dans lequel Kagan reproche vigoureusement à Obama d’échouer à prolonger la domination américaine dans le monde et à exiger une attitude américaine plus musclée envers ses adversaires.

Selon un article du New York Times décrivant comment cet essai est né et quelles seraient ses conséquences, l’auteur Jason Horowitz raconte que Kagan et Nuland ont partagé à la fois une même vision du monde et des ambitions professionnelles, avec Nuland qui édite les articles de Kagan, y compris celui qui démolissait son prétendu patron.

Quoique Nuland ne fasse pas de commentaires spécifiques sur l’attaque de son mari contre Obama, elle a indiqué qu’elle partageait des vues semblables. « Inutile de le dire, a déclaré Nuland, mais rien ne sort de la maison qui ne soit digne de ses talents. Disons-le comme ça. »

Horowitz a relaté qu’Obama a été si préoccupé par l’attaque de Kagan qu’il a révisé son discours à West-Point pour désamorcer un peu la critique et a invité Kagan à déjeuner à la Maison Blanche, où une source m’a dit que cela ressemblait à une rencontre d’égal à égal. [Voir Consortiumnews.com – « La vraie politique étrangère d’Obama : la faiblesse »]

Saborder un accord de paix

Et, quand la paix menace d’éclore en Ukraine, Nuland intervient pour s’assurer que les intérêts de la guerre sont protégés. Le mois dernier, la chancelière allemande Angela Merkel et le président français François Hollande ont conclu un accord pour un cessez-le-feu et un règlement politique, connu comme Minsk 2, incitant Nuland à s’engager dans la manœuvre en coulisses pour saboter l’accord.

Dans une autre conversation entendue à Munich, Nuland a raillé l’accord de paix comme le truc de Merkel à Moscou, selon le quotidien allemand Bild, citant des sources anonymes, probablement du gouvernement allemand qui peut avoir mis la salle de conférences du luxueux hôtel Bayerischer Hof sur écoute et avoir diffusé les détails par la suite.

En écho au mépris de Nuland à l’égard de Merkel, un autre fonctionnaire américain a parlé des Accords de Minsk 2 comme de la connerie des Européens à Moscou .

Nuland a suggéré que Merkel et Hollande n’étaient préoccupés que par l’impact concret sur l’Europe de la guerre en Ukraine : « Ils ont peur que les sanctions contre la Russie fassent des dégâts à leur économie ». Selon l’histoire de Bild, Nuland a aussi défini une stratégie destinée à contrer la diplomatie de Merkel passant par des propos virulents pour décrire la crise en Ukraine.

« Nous pouvons nous battre contre les Européens, nous pouvons utiliser contre eux l’arme de la rhétorique », aurait affirmé Nuland.

Le général Philip Breedlove, commandant des forces aériennes de l’Otan, aurait déclaré qu’envoyer plus d’armes à Kiev « augmenterait le prix à payer par Poutine dans cette bataille ». Nuland a lancé aux politiciens américains présents : « Je vous recommande vivement de parler des systèmes défensifs que nous pourrions livrer pour contrer les systèmes offensifs de Poutine ».

Nuland semblait déterminée à faire couler l’initiative de paix de Merkel et Hollande, bien qu’elle ait été arrangée par deux alliés américains majeurs et ait été approuvée par le président Obama. Et, cette semaine, l’accord semble en effet avoir été taillé en pièces par Iatseniouk, le Premier ministre choisi par Nuland, qui a inséré une pilule empoisonnée dans la législation destinée à mettre en œuvre les Accords de Minsk 2.

Le Parlement ukrainien de Kiev a en effet ajouté une clause exigeant que les rebelles commencent par se soumettre et laissent le gouvernement ukrainien organiser des élections sur place avant de définir une structure fédérale. Ceci alors que Minsk 2 avait appelé au dialogue avec les représentants des territoires rebelles de l’Est dans la perspective d’élections et de l’établissement d’une large autonomie pour la région.

Au lieu de quoi, reflétant la position dure de Nuland, Kiev a refusé les pourparlers avec les chefs rebelles et a insisté pour rétablir le contrôle sur ces territoires avant toute avancée du processus. Si cette loi est maintenue, cela débouchera presque certainement sur une reprise de la guerre entre des forces militaires soutenues par la Russie dotée de l’arme nucléaire et les États-Unis, un développement très dangereux pour le monde. [Voir Consortiumnews.com : « Du poison dans les pourparlers de paix »]

Non seulement la guerre civile en Ukraine reprendra, mais aussi la guerre froide entre Washington et Moscou, ce qui générera beaucoup d’argent pour le complexe militaro-industriel. Vendredi, le mari de Nuland, Robert Kagan, a insisté pour que ce dernier point soit mis en exergue dans le journal néocon, le Washington Post.

La Récompense

Mais ne pensez pas que les portefeuilles des contribuables américains ne s’ouvrent qu’à propos de ce couple. D’autres cercles de réflexion néocons gravitant autour de Washington vont aussi se faire plein d’argent, dont Frederick Kagan, qui travaille pour l’American Enterprise Institute, une officine de droite, et sa femme, Kimberly, qui dirige son propre groupe de réflexion, l’Institute for the Study of War (ISW) [Institut pour l’étude de la guerre, NdT].

Selon les rapports annuels de cet institut, ses premiers partisans étaient surtout des fondations de droite, comme Smith-Richardson Foundation et la Lynde and Harry Bradley Foundation, mais il a été ensuite soutenu par une foule d’entrepreneurs dans la sécurité nationale, y compris des entreprises très importantes comme General Dynamics, Northrop Grumman and CACI, ainsi que par des sociétés moins connues comme DynCorp International, qui a assuré la formation de la police afghane, et Palantir, une entreprise de technologie, fondée avec le soutien du capital risque de la CIA, In-Q-Tel. Palantir a fourni des logiciels aux services du renseignement militaire états-uniens en Afghanistan.

Depuis sa création en 2007, ISW s’est surtout concentré sur les guerres au Moyen-Orient, particulièrement l’Irak et l’Afghanistan, y compris en coopérant étroitement avec le général David Petraeus lorsqu’il commandait l’armée américaine dans ces pays. Plus récemment, cependant, ISW a commencé à traiter surtout de la guerre civile en Ukraine. [Voir Consortiumnews.com : « Des néocons ont guidé Petraeus pendant la guerre afghane »]

Autrement dit, la famille Kagan a mis au point un modèle économique circulaire, qui se perpétue indéfiniment : il œuvre dans les coulisses à encourager les guerres, influençant en même temps le débat public par des articles rédigés par des cercles de réflexion et des tribunes libres dans les journaux prônant l’augmentation des dépenses militaires. Puis en collectant des subventions et autres financements de la part de fournisseurs d’armements reconnaissants.

Pour être juste, le petit commerce familial Nuland–Kagan n’est qu’un exemple, à toute petite échelle, illustrant la manière dont le complexe militaro-industriel a fonctionné pendant des décennies : les analystes des cercles de réflexion fournissent des justifications aux dépenses militaires, les bureaucrates gouvernementaux mettent en œuvre les politiques de guerre nécessaires et les producteurs d’armements se font beaucoup d’argent avant d’en restituer une part aux cercles de réflexion – la boucle est bouclée, le cycle sanglant mais rentable peut repartir pour un tour.

La seule originalité de l’opération Nuland–Kagan est peut-être que tout le processus reste entièrement dans la famille.

Robert Parry pour Consortiumnews

Original en anglais : « A family bussiness of perpetual war »

Consortiumnews. USA, le 20 mars 2015.

Traduit de l’anglais pour le Saker Fr. par : Jefke, relu par Diane et jj

* Robert Parry, es un periodista de investigación, conocido principalmente por la divulgación del l’Caso Iran-Contra para Associated Press y Newsweek. Es también el autor de « America’s Stolen Narrative : From Washington and Madison to Nixon, Reagan and the Bushes to Obama ». , Media Consortium,‎ 2012, 236 p. (ISBN 978-1893517059)

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