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20 novembre 2019

Le Néofascisme, phase dure du néolibéralisme

Les droites dans le cône sud et le monde

par Diego Sztulwark*

 

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

Il y a un an, les élites putschistes du Brésil ont agi au sein de l’Etat de droit afin de ne pas avoir à légitimer le programme néolibéral dans les urnes. Ils ont mobilisé l’appareil judiciaire, emprisonné Lula et lui ont interdit d’être candidat. Quelle droite représente le gouvernement Bolsonaro ? « L’étonnement devant ces phénomènes doit servir à produire des connaissances utiles sur le plan politique et à ne pas tomber dans la paralysie du fait que les choses que nous vivons sont ‘encore’ possibles au XXIe siècle », déclare Diego Sztulwark dans la préface de son livre « La ofensiva sensible » (Edition Caja Negra).

Le fascisme peut-il revenir ? Ni Trump, ni Le Pen, ni Bolsonaro ne répètent le fascisme historique. Il est probablement plus exact de parler de fascisme postmoderne. D’un type particulier de vitalisme qui s’affirme dans une certaine essence ou pureté ethnique, ou de classe, par la violence intolérante et par l’infériorisation de populations entières, qu’elles soient migrantes, noires ou non, femmes ou homosexuels. La question de l’actualité du fascisme est un exercice de caractérisation des forces et des circonstances politiques et historiques.

Du point de vue du débat marxiste sur l’Etat et la politique, le fascisme historique ne pouvait être assimilé à n’importe quel gouvernement de caractère autoritaire ou conservateur, mais répondait à une certaine situation dans laquelle le grand capital centralisé jouait en sa faveur sur les classes intermédiaires, dans le but de déplacer les cercles des classes dirigeantes qui ont bloqué leur expansion, affirmant ainsi leur domination sur l’ensemble. Pour Ernesto Laclau, le fascisme (qui englobe également le nazisme) est un phénomène de mobilisation de la société contre la menace des travailleurs socialistes et contre certaines couches de l’ancien bloc de classe au pouvoir qui, comme ce fut le cas en Italie et en Allemagne dans les années 30, ont empêché le déploiement de l’hégémonie capitaliste. Dans l’État fasciste, l’idéologie raciste, nationaliste et militariste, la politisation de la petite bourgeoisie et l’interpellation des couches populaires sont alors inséparables de la direction stratégique et de la nécessité de développent du grand capital.

Après Georges Sorel, qui a théorisé le fascisme en tant qu’agent d’un mythe mobilisateur, le Péruvien José Carlos Mariátegui a perçu une sorte de jeu de miroir entre fascisme et bolchevisme, tous deux porteurs du mythe mobilisateur, au détriment de la démocratie parlementaire. Déjà Walter Benjamin, dans un texte classique des années 1930 - « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » - mettait en garde cet ensemble de miroirs inversés en termes de relation entre esthétique et politique : la politisation bolchevique de L’art, qui remettait en question les différences de classe, répondait à « l’esthétisation de la politique », qui évoquait un mise en spectable belliqueuse qui préservait les relations entre propriété et production. Des années plus tard, alors que le fascisme avait déjà triomphé dans une grande partie de l’Europe, Benjamin était revenu à la question du fascisme, cette fois pour dénoncer les mécanismes qui, à l’époque de sa confrontation, condamnaient la social-démocratie à l’impuissance. Dans la thèse VIII de « Sur le concept d’histoire », texte rédigé en 1940, on peut lire :

Sur le concept d’histoire, Thèse VIII :
La tradition des opprimés nous enseigne que « l’état d’exception » dans lequel nous vivons est la règle. Nous devons parvenir à une conception de l’histoire qui rende compte de cette situation. Nous découvrirons alors que notre tâche consiste à instaurer le véritable état d’exception ; et nous consoliderons ainsi notre position dans la lutte contre le fascisme. Celui-ci garde au contraire toutes ses chances, face à des adversaires qui s’opposent à lui au nom du progrès compris comme une norme historique. S’effarer que les événements que nous vivons soient « encore » possibles au XXe siècle, c’est marquer un étonnement qui n’a rien de philosophique. Un tel étonnement ne mène à aucune connaissance, si ce n’est à comprendre que la conception de l’histoire dont il découle n’est pas tenable.
-Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire, Traduction Maurice de Gandillac (Œuvres III), 1940.

En d’autres termes, si la gauche européenne n’a pas été en mesure de vaincre le fascisme, cela est dû « en partie non négligeable » à sa croyance en une « norme historique » fondée sur l’idée de « progrès ». Au lieu de partir de la tradition spécifique des opprimés - la connaissance de l’exception en tant que norme unique -, elle s’est laissé confondre par la tradition des oppresseurs - d’une temporalité linéaire de type évolutif. Le marxisme, réduit au discours des forces productives (plus d’usines, plus de travailleurs, plus de voix aux partis socialistes, etc.), court le risque d’adopter la norme de la tradition des oppresseurs. Le prix à payer pour l’adoption d’un point de vue « antiphilosophique », c’est-à-dire s’étonner de l’apparition apparemment anachronique du nazisme, est clair. Pour Benjamin, il est nécessaire de concevoir l’histoire d’un point de vue permettant d’étendre l’exception à l’ensemble du champ social. L’étonnement face à des phénomènes tels que celui de Bolsonaro, au Brésil, devrait nous permettre de produire des connaissances utiles sur le plan politique, qui ne demeurent pas bloquées dans une paralysie philosophique face au fait que les choses que nous vivons sont « encore » possibles au XXIe siècle. Penser au fascisme d’hier et d’aujourd’hui signifie donc rester vigilant face à ce que chaque époque propose comme évolution normalisée de la situation.

Dans Les nouveaux visages de la droite, Enzo Traverso caractérise la montée des droites en Europe et aux États-Unis avec le terme de « postfascisme ». C’est une catégorie qui peut être critiquée pour son imprécision - elle indique seulement un « après » le fascisme - mais qui a plutôt l’avantage de permettre une analyse concrète des mélanges de traits racistes, autoritaires et xénophobes de ces mouvements qui dénoncent les élites de la finance, tout en continuant à établir des liens étroits avec elles. Le terme « postfascisme » tente de nommer un ensemble de continuités et de discontinuités - à établir pour chaque cas particulier - en ce qui concerne le fascisme historique, qui se distingue invariablement de ce dernier sous un aspect fondamental : il ne représente pas une mobilisation de la campagne populaire, ni d’ailleurs la formation d’une nouvelle force sociale.

Cette formulation devient particulièrement intéressante si nous la prenons dans le contexte de la discussion sur la manière de caractériser la droite qui est arrivée avec Macri au gouvernement argentin. Est-il légitime ou plutôt politiquement utile de relier Macri à la dictature ? Dans les nombreuses mobilisations contre son gouvernement, cela se faisait encore et encore sous forme de chants et de slogans. Mais chanter dans la rue ne décrit pas avec précision un phénomène complexe, mais bouleverse de toute façon une historicité dans le corps ; et les deux sont également nécessaires.

Le problème est en vue :

Est-il possible de caractériser une droite moderne qui triomphe électoralement dans la continuité du terrorisme d’État, dont le protagoniste central était le parti militaire qui n’a pas remporté les élections ?

L’affirmer sans plus supposerait une qualification erronée, dans la mesure où l’arrivée du parti Cambiemos s’est fait dans le cadre de l’état de droit. Mais ne pas le faire impliquerait, au contraire, de nier toute continuité entre différents processus historiques. Dans l’histoire de l’Argentine, le fascisme n’a jamais existé en tant que forme dominante. Certains secteurs de la gauche et du libéralisme ont échoué en tentant de l’attribuer au mouvement créé par Juan Domingo Perón. Mais, comme l’expliquait Leon Rozitchner, Perón n’exprimait pas l’option de domination par voie de guerre ouverte, mais par la trêve. Ceci est, à travers le temps et non par le sang. Le meurtre et la torture en tant que moyens de restructuration des relations de pouvoir étaient des moyens utilisés par des militaires très différents.

En 1977, l’amiral Emilio Eduardo Massera [membre de la Loge P2] ], alors membre de la junte militaire, prononça un discours à l’Université jésuite d’El Salvador dans lequel il expliquait les motivations de la croisade occidentale chrétienne et son plan. Il l’a exécuté dans l’obscurité de l’ESMA : la défense de la propriété contre l’idéologie marxiste, la défense de la famille contre la perversion freudienne, la défense des valeurs absolues contre la relativité einsteinienne. Les pratiques d’extermination dans les centres de torture clandestins et les vols de la mort, le catholicisme fondamentaliste de nombreux cadres et les liens inséparables avec les hiérarchies de l’Église catholique, ainsi que la défense de la famille conventionnelle et de la propriété privée sont les éléments qui ont fait de l’État terroriste argentin - une catégorie forgée par l’historien Eduardo Luis Duhalde - le meilleur temoin de la violence fasciste dans notre pays.

La situation est présentée sous un jour très différent lorsque nous nous intéressons aujourd’hui à l’aile moderniste du gouvernement [néolibéral] macriste, dont le discours est illustré dans les références faites au travail de Alejandro Rozitchner, ce mélange particulier de néocapitalisme, d’esthétique rock et de bouddhisme. Il ne se laisse pas assimiler de manière linéaire au fascisme. La thèse de l’existence d’une « nouvelle droite », fondamentalement différente de celle du terrorisme d’État, se soutient elle ou pas .? La question a de nouveau été soulevée en 2017, après la disparition forcée suivie de la mort de Santiago Maldonado dans le contexte de la répression étatique sur le territoire mapuche et de la victoire du parti au pouvoir aux élections de mi-mandat. Dans ce contexte, le journaliste et politologue José Natanson a tenté de contribuer à la discussion avec son livre « ¿Por qué ? La rápida agonía de la Argentina kirchnerista y la brutal eficacia de una nueva derecha  ». [Pour quoi ? L’agonie rapide de l’Argentine Kirchneriste et l’efficacité brutale d’une nouvelle droite].

Là, il y fait référence à une droite « démocratique » - sans doute une nouveauté historique - qui devrait être comprise dans de nouveaux termes et en cela il a raison. L’assassinat du militant mapuche Rafael Nahuel, peu de temps après l’apparition du corps de Maldonado, confirme ce qui était déjà évident : la défense de la terre en tant que marchandise, dans le cadre d’une redéfinition stratégique de l’horizon extractiviste du capitalisme local, établit de nouveaux ennemis de l’État et promeut non seulement la pratique de l’annihilation physique, mais également sa légitimité. Et cette situation ne se caractérise pas facilement par l’idée d’une droite « démocratique ». L’hypothèse de Traverso - pas une « nouvelle » droite, mais des « nouveaux visages » de la droite, permet de saisir simultanément les continuités et les innovations historiques, sans perdre de vue le contenu ouvertement réactionnaire de l’ensemble. Ni fascisme, ni nouvelle droite démocratique, au moins par eux-mêmes, ne sont donc des termes appropriés.

La leçon du Brésil

Pour commencer à comprendre les phénomènes conservateurs et postfascistes dans le Cône Sud du continent américain, et particulièrement en Argentine et au Brésil, il est nécessaire de faire le bilan de ce qui s’est passé dans ces pays au cours des gouvernements dits progressistes. Dans son article « Limitations des gouvernements de Lula et Dilma », Rita Segato énumère les principales faiblesses de la direction du Parti des travailleurs (PT), qui découlent de la rupture avec sa propre origine. En dépit d’être né en tant qu’organisation mixte, en partie mouvement social et en partie parti politique, lorsqu’il parvient au gouvernement - et particulièrement après le scandale de l’affaire de dessous de table appelé « mensalão » - le PT adopte les formes conventionnelles de la politique, ce qui lui fait perdre le pluralisme interne et réduire ses objectifs pour se maintenir au pouvoir. La principale conséquence de cette fermeture est l’affaiblissement des structures collectives non étatiques qui étaient toujours en vigueur, « un maillage de relations et une aide mutuelle qui existaient encore dans morceaux de communautés à travers le pays » [1] et qui auraient pu modifier l’orientation, erronée, de beaucoup de leurs politiques.

En raison de ce confinement, le PT est tombé, selon Segato, dans une confusion conceptuelle entre l’expansion de la consommation et l’expansion de la citoyenneté. Cette confusion a entraîné une dynamique négative dans laquelle l’expansion de la consommation a correspondu à une réduction de la citoyenneté, un phénomène inévitable lorsque « les aspirations des consommateurs en tant qu’objectif central » sont prioritaires, tandis que ces liens avec la communauté sont négligés ou rompus » ce qui pourrait conduire à une réelle politisation « à travers un débat approfondi, de la prise de conscience de la compréhension critique « des valeurs de la théologie du capital ». Cette situation s’est encore aggravée pour deux raisons. D’une part, cette expansion de la consommation ne résultait pas d’une répartition de la richesse structurelle, mais d’un accroissement des exportations de produits de base - soja, hydrocarbures, minéraux - qui permettait un plus grand bien-être social sans une tentative ferme de la part du gouvernement sur les processus de concentration de la richesse. Et de l’autre, parce que ce mode d’accumulation implique « la dépossession et le déracinement de la communauté et du territoire des peuples, avec leur mode de vie alternatif et leurs objectifs divergents par rapport au projet historique du capital ». Pendant la gestion du PT, Segato rappelle « Plus de peuples autochtones et de dirigeants communautaires ont été tués que durant tous les gouvernements démocratiques précédents. »

Manque aussi une compréhension de l’importance de faire avancer juridiquement le déni de la dictature et, au contraire, se renforçait le punitivisme juridique, dont Lula a été victime. Il n’existait aucune compréhension réelle de l’augmentation du crime organisé et de son impact sur l’économie, ni de l’ampleur du lien entre accumulation, opportunités politiques et activité criminelle (le crime organisé étant, dans n’importe quel pays, l’une des principales formes d’attaque contre la possibilité de démocratie). En politique internationale, un certain nationalisme prévalait, empêchant, par exemple, que le Brésil « accompagne l’Argentine dans son projet de loi sur les médias ou rende Telesur accessible, même par câble, au téléspectateur brésilien » et, enfin, « Surtout, l’ordre patriarcal n’a pas été touché », pilier de l’ordre politique répressif, colonial et fondamentaliste contre toute politique de communalisme.

Segato reproche au PT son aveuglement avec l’occupation des institutions, sans se rendre compte à quel point l’Etat de droit au Brésil demeure un ensemble de structures néocoloniales plus ou moins extérieures à la reproduction de la vie de peuples entiers. Ce pari si linéaire lors de la prise des fonctions a isolé le PT des vecteurs d’avancement requis par la mobilisation populaire et aveuglé vis-à-vis des stratégies que les droites les plus fascistes ont déployées directement sur le terrain social. Cette évolution vers la prise de contrôle de l’État finit par dépolitiser, puisqu’elle ne conduit finalement ni à l’appropriation de l’État, ni à une transformation depuis là haut, ni à la reconstitution de la société.

Lors du premier forum mondial de la pensée critique, organisé par le CLACSO en 2018, Rita Segato a ajouté que la défaite de gouvernements tels que le PT avait été provoquée par l’action directe des forces réactionnaires sur le terrain social : « trop de fiches à l’État », trop peu pour l’intelligence collective et aux trames communautaires. En tant que synthèse néocoloniale d’une société stratifiée, les États ne sont pas assez démocratiques, ni suffisamment représentatifs de la dynamique populaire pour croire que leur simple appropriation entraînera des transformations favorables. De même, les manœuvres tactiques n’approfondissent pas nécessairement le débat et n’exercent pas l’intelligence des foules. Peu d’attention a été accordée à la stratégie fasciste avec laquelle la démocratie est généralement acculée, à travers un authentique complot de double clamp consistant à établir un fondamentalisme chrétien (catholique ou protestant) sur tout le continent et à l’augmentation intentionnelle de la criminalité organisée, comme un mode de contrôle de la vie paramilitaire. Le fondamentalisme et le paramilitarisme sont des opérations de guerre contre les aspirations populaires, fondées sur le renforcement du « mandat de la masculinité », c’est-à-dire du mépris des corps féminisés et des territoires communalisés. La vie, comme dit Segato, ne se change pas depuis l’État mais depuis la société :

Je crois que la route est amphibie aussi en politique. Au sein de l’État, qui finit toujours par nous trahir, cherchant des failles, des fissures, pour les transformer en clivages capables de briser le cristal institutionnel toujours colonial de l’Amérique Latine, c’est-à-dire toujours à l’extérieur dans sa gestion de la vie des peuples et des territoires. Mais n’oubliez pas que le changement c’est fait dans la société et ce les gens qui le font. Et c’est ce qui a échoué : la conscience collective n’a pas été travaillée, les gens n’ont pas changé, bien que la vie de la majorité se soit améliorée. [Ibid]

Toni Negri a apporté une autre contribution fondamentale à la compréhension de l’ascension de Bolsonaro. Dans son article « Un fasciste du XXIe siècle », la tactique du coup d’État dans le respect de la loi et le lien entre le néolibéralisme en crise et le postfascisme en tant que prothèse, constituent les principales nouveautés de ce processus. Contrairement aux coups d’État militaires du passé, le coup d’État contre Dilma Rousseff, selon Negri, était une opération menée dans le cadre du processus constitutionnel. Derrière l’improbable rhétorique moraliste des médias et des opérateurs politiques se cachait un programme d’ajustement, « à l’approbation immédiate, par le Congrès, de certaines lois caractéristiques d’un régime néolibéral » [ 3 ] (parmi elles, l’interdiction de l’augmentation dépenses publiques pendant une longue période). La première chose qui intéresse Negri est de souligner comment les élites du coup d’Etat agissent au sein de l’État pour éviter la nécessité de légitimer le programme néolibéral par la population. La faiblesse électorale de ces élites les a amenées à mobiliser le pouvoir judiciaire, qui a fini par emprisonner et mettre hors la loi Lula en tant que candidat. La deuxième chose qui l’intéresse est de s’interroger sur le processus électoral ultérieur, qui s’est déroulé sous la menace - provenant du processus institutionnel lui-même - d’une intervention de l’armée nationale au cas où la gauche triompherait. Les élections au cours desquelles un « fasciste du XXIe siècle » a été élu président établissent, à posteriori, la légitimation démocratique du pouvoir, légitimant les actions des élites dans le dénuement de Dilma et pendant le gouvernement provisoire.

Le post-fascisme brésilien est donc une appropriation perverse de la démocratie : « " La démocratie directe est en fait assumée, de manière massive et mystifiée, par ces dirigeants fascistes, transformés à la manière du gouvernement en une figure de gouvernement légitimatrice » ". [2] Les réseaux sociaux et les médias institutionnels se concentrent volontairement sur cette fonction de légitimation. Le désastre brésilien est celui de l’annulation démocratique de la démocratie, qui se concrétise par « l’attachement de la liberté d’expression au pouvoir » et par l’annihilation de toute sphère expressive autonome. Le raisonnement de Negri le conduit à conclure, tout d’abord, que c’est l’incapacité du néolibéralisme à proposer des modèles cohérents d’équilibre politique et institutionnel, « de se maintenir au milieu de la crise, face à des résistances croissantes ». Cela conduit à disloquer le dynamisme constitutionnel et repose sur « une forte récupération de la souveraineté ». Pour que le néo-fascisme contemporain puisse être compris avant tout comme une « phase dure » du néolibéralisme, typique d’une période où celui-ci se heurte « au maximum de difficultés, ou où ses dispositifs se brisent, ou mieux, où il fait face à l’ émergence d’une forte résistance ». Et, deuxièmement, contrairement aux techniques totalitaires utilisées par le fascisme historique, le post-fascisme actuel utilise des mécanismes flexibles, à la fois pour la transformation autoritaire de l’État et pour le sauvetage du programme néolibéral. Cette flexibilité - qui est corroborée tant aux États-Unis qu’en Europe ou en Amérique du Sud - correspond à une époque où la foule occupe le centre de la lutte de classe en tant que protagoniste des processus historiques. Le fascisme postmoderne est indissociable d’un phénomène d’implosion immanente de cette même foule « en termes d’insécurité économique ou environnementale et de peur de l’avenir », d’un fort repli sur la « défense de l’identité ».

L’intolérance homophobe et l’agressivité militariste à l’égard des formes de vie sont affichées sans honte dans la figure de Bolsonaro, incapable de tout autre projet que d’arraser les Noirs, les trans, les féministes, les peuples autochtones et de mettre en œuvre un programme antisocial contre les pauvres. Dans ces conditions, une politique du symptôme consiste à créer des alliances entre ces personnes incriminées, des liens qui ne seront sûrement pas à la charge d’une gauche déjà épuisée et qui, selon Negri, ne se produira pas sans l’étincelle des mouvements féministes.

Diego Sztulwark * pour le Revista Anfibia

* Diego Sztulwark est un chercheur et écrivain argentin. Il est coordinateur de groupes d’étude sur la pensée politique et philosophique. Il écrit régulièrement pour le blog Lobo Suelto , a co-écrit plusieurs livres et fait partie de l’équipe éditoriale de Tinta Limón Ediciones. Il est chroniqueur à Radio La Tribu et membre du CELS.

Revista Anfibia de l’Université Nationale de San Martin. Province de Buenos Aires, novembre 2019.

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo de la Diaspora. Paris, le 20 novembre 2019

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Notes

[1Rita Segato, « Limitaciones de los gobiernos de Lula y Dilma », Buenos Aires, Le Monde Diplomatique, noviembre/diciembre, 2018

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