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13 octobre 2003

"Le Modèle est toujours debout en Argentine"

par Claudio Katz *

 

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Depuis l’entrée en fonction de Kirchner, le ministre Lavagna agit dans un cadre différent de celui qui a dominé l’année passée pendant sa gestion avec Duhalde. Ce changement a généralisé un débat sur la gestion économique actuelle. Le modèle en vigueur dans les années 90 persiste t-il ou a-t-il été dépassé ? La politique qui a appauvri la majorité du peuple est-elle entrain de changer ? À la lumière de l’accord signé récemment avec le FMI, la réponse à ces questions est clairement négative.

Le même ajustement avec une autre enveloppe

La convention ratifie le gel des salaires et des retraites de l’Etat, qui depuis la dévaluation accumulent une détérioration supérieure à 30%. Comme l’inflation prévue pour l’année qui vient, avoisinerait 7%, cette chute s’accentuerait. Les dépenses publiques sont maintenues à un seuil historique atteint depuis la phénoménale coupe appliquée depuis fin 2001, ce qui les situe à un niveau très inférieur à la moyenne internationale ou latino-américaine. Avec ce niveau d’ajustement qui dépasse largement ce qui était en vigueur pendant la convertibilité, les ressources disponibles pour les enseignants, les chômeurs ou l’investissement public sont insignifiantes.
Quelques commentateurs jugent que cette dureté salariale pourrait être atténuée si la collecte des impôts reprend. Mais l’avenir de cette amélioration est déjà compromis par le paiement de la dette. Lavagna lui-même a reconnu que l’excédent fiscal décidé est supérieur à 3% du PBI si on le mesure en termes comparatifs avec d’autres pays. Il suffit de rappeler qu’on va renforcer l’ajustement terrible supporté cette année (2,5%) et que l’excédent obligatoire est beaucoup plus important que le « déficit zéro » traumatique que Cavallo a prétendu imposer il y a deux ans.

On sait qu’une politique d’économie budgétaire conspire contre la reprise et c’est pourquoi Bush a recouru à l’augmentation radicale du déficit budgétaire pour contrecarrer la récession. Avec le même objectif, la France et l’Allemagne se disposent à violer les restrictions budgétaires de l’Union Européenne et le Japon développe sans pause les dépenses publiques pour résister à la stagnation. Seulement en Argentine on accepte d’examiner avec une telle légèreté néo-coloniale le pourcentage d’excédent qui va déboucher de la pire dépression de l’histoire.

La même politique d’ajustement est présentée maintenant avec une plus grande sobriété parce que personne n’ose répéter les manifestations qui ont accompagné le « blindage » de Machinea ou le « megacanje » de Cavallo. Mais les interprétations prédominantes investissent la réalité des faits. On parle du « triomphe du négociateur argentin » et « de l’attitude digne » maintenue pendant la négociation, comme si l’excédent fiscal était une réalisation nationale et non imposée par le FMI. Il est faux que l’accord ait été conclu sous la pression de Kirchner, puisqu’il est apparu qu’il y avait une exigence manifeste du gouvernement américain. C’est pourquoi les félicitations de la Maison Blanche sont arrivées immédiatement. Dans le cadre de l’isolement impérialiste en Irak et des tensions financières en Amérique latine, Bush a décidé d’éviter les dangers que présentait une grande faillite argentine. Quelques porte-parole du grand capital ont compris cette convenance, tandis que les représentants directs des créanciers continuent à protester. Cette plainte va persister comme un mécanisme de pression pour être payé, même si tous savent que l’Argentine ne peut pas payer plus que ce qui a été décidé.

Il faudra attendre quelques mois pour voir si effectivement il existe une certaine concession significative de la part du FMI. Tant l’augmentation de tarifs que l’octroi de plus grandes compensations aux banques sont restées en suspens pour le moment.

Quelques économistes se félicitent parce que l’excédent fiscal inférieur à 3.5% ou 4% sera initialement examiné, mais ce réconfort ressemble à la présentation triomphale qu’a faite Lavagna de la réduction du chômage de 18 à 17%, ou de la diminution de la pauvreté de 56% à 53%. Face à la catastrophe sociale qu’affronte l’Argentine, ces « succès » sont insignifiants. 3% d’excédent fiscal n’est pas compatible avec la redistribution des recettes, ni avec une relance économique basée l’amélioration du pouvoir d’achat.
Le pays n’avait aucune nécessité de signer l’accord parce qu’il est à la marge du marché financier international et ne recevra pas de crédits nouveaux. En revanche, le FMI était dans l’urgence d’éviter le défaut par la perte patrimoniale que provoquerait le non respect des échéances. Le gouvernement de Bush fut confronté à la perspective d’être obligé de recapitaliser le FMI avec l’argent des plombiers américains.

Lavagna a privilégié à nouveau les paiements aux organismes internationaux, qui contrairement au reste des créanciers, les perçoivent ponctuellement et en devises. Il a aussi favorisé le secteur local des entreprises et les banques qui ont pésifié leurs titres publics. Mais maintenant va commencer la négociation dure avec les créanciers privés étrangers. Quelle que soit la « remise », l’extension de délais ou la réduction de taxes qui est décidée, l’accord exige de maintenir un excédent fiscal qui appauvrira les prochaines générations.

On affirme que « cette fois les obligations seront remplies », comme si quelqu’un connaît à l’avance l’évolution des multiples variantes qui détermineraient ce résultat. Traditionnellement, l’Argentine a souffert du cercle vicieux des sacrifices qui conduisent simplement à la cessation de paiements. Il suffit d’observer l’ampleur des échéances de 2005 et de 2006 pour remarquer à quel point il sera difficile d’honorer une dette dont on a prouvé qu’elle était frauduleuse et qui dans une grande mesure a été déjà soldée.

Banaliser la misère

La politique économique renforce la tendance à la baisse du « coût salarial », qui depuis des décennies rend propice le secteur capitaliste dominant. La détérioration des salaires a été beaucoup plus abrupte que pendant les trois grandes précédentes réductions salariales (1976, 1985 et 1989). Le discrédit du néo-libéralisme empêche dans le secteur public de continuer à justifier cette agression, en culpabilisant les employés eux-mêmes ou en identifiant leur activité avec le dégoût. Mais, depuis l’orbite officielle on essouffle sur l’amélioration des salaires privés, parce que l’augmentation de 28 pesos (85 €) de juillet est dérisoire et concerne seulement 18% de la population active.

La contraction salariale renforce aussi la déstabilisation parce qu’on maintient toutes les règles d’assouplissement qui ont créé des situations d’exploitation scandaleuse. La journée de travail (2000 heures annuelles = 42 heures par semaine) est plus longue en Argentine qu’en Europe, Etats-Unis, Mexique ou Brésil et les accidents de travail augmentent vertigineusement avec tout indice de reprise (3 décès par jour au premier semestre). Ce niveau de sur-occupation coexiste avec un pic record de chômage, pourquoi n’implante- t-on pas la réduction de la journée de travail, ce qui permettrait de distribuer l’emploi en plus entre des ouvriers qui ont perdu leur poste de travail.

Dans un pays écrasé par le chômage, la « libre négociation des salaires » est une fiction. Il est aussi trompeur de penser que le manque d’emplois a significativement diminué depuis la fin de la dépression, parce que sont comptabilisés comme occupés ceux qui perçoivent le plan d’aide aux Chefs de Famille. Si on élimine cette mascarade, l’indice du chômage a été maintenu au-dessus le 21%. Mais, la sur-occupation qui reflète l’évolution du travail éventuel a baissé seulement de 19,9% (octobre 2002) à 18,8% (mai 2003), confirmant une augmentation de la précarisation. Les nouveaux emplois qui apparaissent incluent généralement une dégradation des tâches et l’évasion fiscale.

Le plus grand danger auquel fait face l’Argentine est la banalisation de la misère, si on généralise le conformisme face à la tragédie sociale. Comme les fonctionnaires actuels présentent ce drame comme un « héritage du modèle » et se disculpent de ses effets, ils suggèrent qu’il constituera une donnée inamovible des prochaines années. C’est pourquoi, la proposition d’éliminer la pauvreté de 54% et l’indigence de 26% de manière immédiate n’est pas même examinée. Tout au plus, on évalue comment introduire un point d’accroissement des frais d’aide en oubliant leur faible impact, puisque le coût du panier alimentaire duplique les 150 pesos (50 €) attribués aux chômeurs.

On a créé un climat de condescendance envers un gouvernement qui n’adopte aucune mesure pour mettre fin à la faim dans le « grenier du monde ». Il n’est pas nécessaire qu’apparaissent des photos de Tucuman qui ressemble au Biafra pour rappeler que 17,5% de la population souffre de malnutrition et que quatre millions de personnes manquent complètement de couverture sociale. Tel est le prix de l’ajustement en cours. Quelqu’un meurt, des centaines de personnes tombent malades, des milliers sont inondées et des millions s’abrutissent avec la réduction des dépenses publiques et son application systématique.

Impôts régressifs et crise des AFJP

Le gouvernement espère que la hausse du niveau d’activité augmente les recettes sans altérer la structure fiscale régressive. Ainsi les créanciers pourraient être payés en maintenant un système fiscal qui oblige seulement et principalement à faire payer les consommateurs appauvris.

Derrière l’obsession fiscale qu’exhibe Lavagna, ce sont les commissaires aux comptes du FMI qui exigent de pénaliser l’évasion, d’effectuer des enquêtes sur l’AFIP, d’entamer des procédures judiciaires contre le triangle de l’ export et de sanctionner les manipulations comptables. C’est pourquoi on effectue des inspections contre l’évasion fiscale et on élimine les quasi-monnaies qui circulent sans contrôle fiscal.
Mais cette pression n’affecte pas ceux qui ont accumulé des fortunes depuis la dévaluation. Les exportateurs continuent, par exemple, à payer les mêmes taxes malgré l’accroissement généralisé des prix internationaux des céréales et des combustibles. Ce profit de 11% pendant le premier semestre a été totalement monopolisé par les groupes exportateurs.

Mais plus scandaleux est l’appui continu aux AFJP, parce que personne ne dissimule que la privatisation des retraites a été la principale cause de l’effondrement fiscal. Tandis que l’Etat a continué à financer le passif, il a perdu les recettes qui ont été absorbées par le groupe d’organismes qui perçoivent des commissions incroyables pour effectuer des opérations légalement douteuses et économiques ruineuses pour les affiliés. 75% de leur portefeuille est actuellement composé par des titres publics en défaut, créant une situation future dramatique pour les pensionnés de ce secteur.

Cela n’a pas sens de trancher si le coupable de cette faillite est l’Etat ou les directeurs des AFJP qui ont éludé la pesification des titres en réclamant sa re-dollarisation, parce que pendant les dernières années des fonctionnaires publics et les directions privées ont appartenu aux même club. Leur activité conjointe a produit la situation inhabituelle d’un régime privé dont les actifs sont publics et qui a été formellement créé pour terminer avec le pillage officiel de fonds . Mais entre-temps cette catastrophe s’est aggravée et personne n’a opté pour une solution à commencer par éliminer les AFJP et restituer les apports patronaux.

Les aides aux banques

Depuis qu’il est en poste Lavagna a récompensé les banquiers qui ont exproprié les épargnants avec un vaste plan de compensations. Sans restituer un seul dollar aux petits déposants, les financiers ont reçu l’année passée des titres pour 13.000 millions de pesos (4.300.000 €) et ont obtenu avec l’échange du CVS par le CER, 3.000 autres millions. En plus, le montant des remboursements par les recours judiciaires accordés aux épargnants n’ a pas encore été résolu.

Il faut savoir qu’un titre en possession des banques n’est pas comparable à un petit Bocon reçu par n’importe quel petit épargnant qui a dû vendre ce bout de papier à 40% de sa valeur nominale pour pouvoir survivre. Les organismes accumulent ces titres et ils les utilisent dans des opérations comptables et financières. Actuellement la moitié des actifs bancaires est formée par des titres de l’Etat, qui seraient revalorisés si on remplit l’accord avec le FMI.

Mais quel sens cela a-t-il de maintenir un système bancaire privé soutenu avec des titres publics et aidé avec des réescomptes officiels ? Ce qui apparaît formellement comme une activité de médiation entre des capitalistes, en réalité opère comme un réseau dépendant de fonds du Trésor. Les banques perçoivent mais ne prennent pas de risques et, comme cela a été démontré dans la crise, quand elles affrontent une corrida au lieu de répondre avec leur patrimoine, elles confisquent l’argent de l’épargnant.

Cette façon d’agir explique aussi comment le crédit est resté paralysé malgré l’amélioration des dépôts. Face à la contraction de la demande, les organismes financiers préfèrent accumuler de la liquidité et s’assurer des frais d’intermédiation plutôt que de prêter sans soutien officiel. C’est pourquoi, ils réclament une certaine forme de garantie étatique et l’implantation de mécanismes d’indexation.

Il ne faut pas oublier que sur le plan financier la crise n’est pas réglée. Le système privé a été surdimensionné avec le transfert de déposants vers la banque publique, et sa réduction n’est pas finie malgré la fermeture de succursales et le licenciement de 13.000 employés depuis 1999.

Conflits et affaires avec les privatisées

Sur le terrain des services publics privatisés le problème des tarifs oppose les entreprises avec les utilisateurs par l’intermédiaire du gouvernement. Mais le plus frappant de cette discussion est l’omission du caractère inutile de ces augmentations (de tarifs) pour le fonctionnement courant des compagnies. Les entreprises ont non seulement accumulé des profits extraordinaires pendant la convertibilité, mais elles ont transféré des bénéfices à l’extérieur et ont contracté des dettes pour effectuer des investissements limités. Mais leurs bilans actuels reflètent des profits suffisants pour assurer une prestation de services normale. Les augmentations tarifaires manquent de justification et si le gouvernement les accorde (après les élections ou à la fin d’année), il aura répété la conduite de soumission qui règne depuis la décennie passée.

Lavagna négocie au Parlement des « superpouvoirs » pour décider des augmentations « en avance » hors du cadre régulateur actuel et derrière le dos de la société, c’est-à-dire sans audition publique. Il est probable qu’on masquera ces augmentations en introduisant des « tarifs sociaux », qui en réalité servent à compenser l’impossibilité pour les entreprises d’encaisser les factures des 60% de pauvres de la population. On parle aussi d’introduire « des tarifs différentiels », qui pourraient impliquer des prix différents selon le type d’activité industrielle. Mais le bénéfice qu’obtiendrait la population avec ce changement n’est pas clair.

Mais le plus nuisible est la réactualisation du principe d’assignation à l’Etat des activités déficitaires pour que les sociétés privées préservent la rentabilité de leurs affaires. Ce critère persiste dans la renégociation des contrats, qui devraient être résiliés dans leur totalité, vu le non respect généralisé des objectifs d’investissement ou des calendriers de tarifs.

Il existe des cas scandaleux comme le Correos (la Poste) et Aéropuertos Argentinos (Aeroports), où le concessionnaire a simplement cessé de payer la redevance (due à l’Etat). L’annulation de ces contrats ne peut pas être remise à plus tard, mais ne compensera pas les pertes provoquées pour l’Etat. Dans le cas des chemins de fer, on vérifie plus nettement le schéma de charger l’état avec les pertes, puisque le secteur public assumera les coûts de l’investissement tandis que les concessionnaires continueront à gérer le service. Et cette même division des tâches serait étendue au péage : l’état construirait les nouvelles routes, tandis les privés perçoivent des tarifs qu’ils ont calculés à partir de leurs estimations propres. Comme les services formellement privatisés ne prennent pas risque et sont solvables grâce à l’état, il est probable que les activités les plus touchées terminent dans un type de reétatisation.

Mais là où il y a de plus grands profits, règne un mutisme total. Personne ne parle du pétrole, ni du gaz, dont le volumineux revenu permettrait de financer le montant des investissements dont a besoin le pays. La déprédation du brut continue à la vue de tout le monde. Les réserves qui en 1991 couvraient 24 années de demande n’atteignent maintenant seulement plus que 14 années, parce que, tandis que l’exploration décline, les exportations ont crû de manière spectaculaire. Les privés profitent des décennies de travail préalable d’YPF sans apporter d’investissement et en obtenant des bénéfices lucratifs par la fixation discrétionnaire des prix intérieurs.

Comme le démontrent les récentes coupes massives d’électricité et d’eau, le chantage tarifaire ne se limite pas à la pression diplomatique. Mais le problème le plus aigu est la détérioration des services qui accompagne la paralysie des investissements. Un exemple dramatique est l’eau, parce que plusieurs millions de personnes manquent d’eau potable ou d’égouts parce que le concessionnaire a négligé les contrats. Dans la sphère des services publics le dilemme est net : soutenir les profits des privatisées ou améliorer les services que la population utilise.

Problèmes du schéma exportateur

Depuis la dévaluation s’est produit un changement d’hégémonies à l’intérieur du bloc dominant. Les gagnants de la convertibilité étaient les entreprises privatisées, les groupes importateurs et tous les créanciers de l’état. En revanche, dominent maintenant les exportateurs, les industriels qui remplacent des importations et les financiers locaux qui acquièrent des actifs dévalorisés.

Les groupes pétroliers (qui continuent à conserver à l’extérieur 70% de leurs devises) et les céréaliers monopolisent les plus grands profits de l’exportation. Sous leur dominion s’accentue la reprimarisation de l’économie et la distorsion qui crée la sur-expansion irrationnelle de la culture de soja. Il suffit d’observer que les activités donnant une plus grande croissance exportatrice au premier semestre ont été les oléagineux, huiles, dérivées alimentaires et combustibles pour remarquer comme on renforce le modèle périphérique et dépendant.

Les groupes locaux qui ont gagné avec la pesification de leurs dettes sont restés bien situés après la dévaluation et sont encore mieux situés les contractants privilégiés de du secteur public. Dans la sphère financière, les groupes locaux gagnent du terrain, en achetant des entreprises étrangères, et les fonds d’investissement en acquérant des entreprises en faillites. Ces changements se reflètent dans les nouvelles autorités de plusieurs Groupes (UIA, ADEBA, AEA), qui ont assumé un discours plus national pour adapter leurs activités lobbyistes au nouveau contexte de mise en question du néo-libéralisme.

Mais de nouveaux conflits émergent parmi les rivaux capitalistes qui luttent pour un plus grand espace dans le pouvoir politique. Ces chocs se concentrent sur trois secteurs. Sur le plan fiscal, les créanciers gardent jalousement l’excédent fiscal, tandis que les exportateurs résistent à tout accroissement des retenues et les groupes locaux prétendent rendre compatible l’encaissement des titres de l’état avec le maintien des subventions qui les favorisent.

Sur le terrain du change, les créanciers et les privatisées ont la nostalgie d’un dollar bas pour percevoir ou remettre des bénéfices, tandis que les exportateurs appuient le taux de change haut, tout en réclamant des mesures régulatrices du flux de devises. Par exemple, la décision de limiter la recette de « capitaux hirondelles » revient plus à préserver l’exportation qu’à pénaliser les mouvement spéculatifs. C’est pourquoi on n’a pas bloqué la sortie des capitaux, ni instauré aucun type de charge à ces opérations.

Il existe aussi des divergences autour de la portée des mesures de relance. Tandis que les créditeurs hiérarchisent seulement l’ajustement et les exportateurs leurs ventes à l’étranger, les groupes liés à la demande locale ou dépendants du secteur public pressent pour un assouplissement de la discipline monétaire.

Mais l’inconvénient majeur de la politique en cours est son effet obstacle à la croissance. Le PBI reprend, mais au bout d’une dépression tellement aigue, que ce rebond est propre de la dynamique fluctuante du capitalisme. Ce n’est pas le changement de modèle, mais cette réaction cyclique qui explique la relance en cours. Mais l’exportation et le paiement de la dette placent un plafond à la croissance, parce qu’elles ne produisent pas d’emploi et réduisent la sphère de la consommation seulement aux secteurs qui ont les plus gros revenus.

L’investissement privé reste bloqué par le traumatisme du défaut. Il est très peu probable que le courant d’investissements étrangers des années 90 reparte et comme le comportement de l’investissement local est imprévisible, il est possible qu’avec la relance disparaisse la capacité superflue. Comme la crise a produit un grand effondrement du pouvoir d’achat, quelques spécialistes estiment que le stock de capital a structurellement été surdimensionné par rapport au PBI par tête . Si ce diagnostic est correct, l’investissement privé tardera tant qu’on ne recomposera pas le pouvoir d’achat.

"Néo-keynésien ou néo-libéral ?"

Le « Lavagna de Kirchner » est-il différent du « Lavagna de Duhalde » ? A-t-il abandonné l’orthodoxie pour essayer une direction keynésienne ? Inverse t-il le modèle prédominant pendant les années 90 ? Face à cette question il convient de distinguer la fonction, le discours et la politique du ministre.

Lavagna est un arbitre entre les différents groupes de la classe dominante. Comme tout ministre d’économie, il traite et résout les conflits entre ces secteurs. Et en suivant l’exemple de Cavallo, il exerce cet arbitrage en concentrant les décisions. C’est pourquoi il exige que le Congrès lui délègue l’attribution de définir le moment et le montant des baisses de tarifs et réclame à la Banque Centrale des facultés pour influencer les prochaines faillites et les fusions d’organismes. En outre, il dirige la négociation de la dette et les licenciements des fonctionnaires (Del Bello de l’Indec) qui diffusent de manière autonome des nouvelles indésirables (le taux de chômage).

En cultivant un style diplomatique et éloigné des répliques sanglantes de Cavallo, Lavagna produit une plus grande fascination parmi les journalistes indulgents. Qui justifient cette admiration en valorisant les chocs du ministre avec « l’establishement », ils devraient rappeler les infatigables luttes de Cavallo avec Alsogaray, Aleman, Roque Fernández ou Pou. L’arbitrage consiste justement à défendre les intérêts collectifs du capitalisme au prix des exigences particulières de chaque fraction. Tout comme Cavallo, Lavagna conduit le passage d’une étape économique à une autre et ce rôle dilue le caractère objectif de ce changement. Si Cavallo a porté les lauriers de la fin de l’ hyper-inflation, Lavagna peut apparaître comme l’artisan de la relance.

Mais le ministre a entouré sa tâche d’un discours antilibéral qui offre un format anti-menemiste à chacune de ses mesures économiques. Ce gestuel agace les économistes qui ont soutenu la convertibilité et qui à accusent Lavagna « de manquer d’un plan » ou d’ « agir seulement sur le court terme ». Mais ces disputes verbales qui nourrissent les vides médiatiques n’ont pas une grande importance économique. Aucun pope du menemisme ne s’interroge le cours actuel parce qu’avec un langage critique, Lavagna légitime les grands changements des années 90. Les privatisations, le dérèglement du travail, l’inégalité sociale, les ligotages de l’endettement extérieur sont maintenus comme un droit acquis pour les propriétaires du pouvoir.

Aucune initiative de Lavagna ne présente de caractéristiques néo-keynésiennes. Il n’encourage pas la relance par la demande interne, ni la recomposition du pouvoir d’achat. Il ne stimule pas non plus la croissance avec des dépenses publiques qui caractérisaient « le New Deal » ou le développement latino-américain. L’investissement public continue d’être au plus bas et très en dessous des moyennes du Chili ou du Mexique. Associer ce qui est néo-keynésien avec l’excédent fiscal constituerait une nouveauté théorique étrange.

Il est certain qu’il ne plaide pas pour l’ouverture non-discriminée ou les privatisations sans contrôle. Mais le néo-libéralisme ne se réduit pas à ces caractéristiques. Il s’affirme aussi dans l’exclusion sociale et la flexibilité de travail. C’est pourquoi, il s’avère inadéquat de présenter Lavagna comme antilibéral. Il adapte plutôt le modèle des années 90 aux nouvelles conditions de l’Argentine appauvrie.

Des alternatives à la résignation

Le programme d’ajustement masqué que met en oeuvre Lavagna est soutenu par trois faits politiques : confiance pleine au nouveau gouvernement, la démobilisation populaire et l’acceptation résignée d’un horizon de misère. Sans ce pilier, les compromis décidés avec le FMI ne pourraient pas être accomplis, puisque cette convention est incompatible avec l’amélioration du pouvoir d’achat des travailleurs.

L’excédent fiscal requiert que les employés publics renoncent au salaire qu’ils percevaient avant la crise, que les retraités acceptent de survivre avec des mensualités inhumaines, que les chômeurs abandonnent les rues et mendient l’aide sociale et que les affamés supportent simplement en silence le génocide social. Si avec des discours « contre le modèle » le gouvernement parvient à dissoudre la protestation populaire et à faire taire les échos de la rébellion du 20 décembre, la classe dominante aura obtenu une fois de plus de préserver ses privilèges au prix de la majorité. Il peut y avoir croissance et de nouvelles affaires, mais sur un fond de rupture sociale déjà définitive. La pauvreté sera instaurée comme une donnée structurelle du pays et le chômage massif fera partie du paysage national. Il convient d’assumer d’abord cette perspective brute sans faire des fantaisies avec de nouvelles versions de la « théorie de l’écoulement », parce que le chômage scandaleux persistera même si on renforce la reprise.

Mais ce futur de la décadence économique- sociale n’est pas inévitable. Il existe l’alternative de reprendre la bataille à travers le salaire, l’emploi, la santé et l’éducation, en cherchant des chemins pour conquérir la recomposition immédiate des recettes populaires. Les fonds nécessaires pour résoudre une augmentation salariale sont disponibles au Trésor. Si au lieu de les verser au FMI, on les recycle en interne sous la forme d’un accroissement de salaires, on pourrait commencer à enterrer dans les faits (et non dans les mots) le modèle régressif des années 90. À travers une réforme fiscale qui affecte les financiers, les entreprises et les riches, on pourrait produire un véritable travail par l’intermédiaire du secteur public. Il y a un chemin pour déraciner radicalement la faim et dépasser la pauvreté. Avec la réduction de la journée de travail, on pourrait redistribuer le travail en surplus entre les chômeurs et l’augmentation du crédit public permettra une relance générale et un élan pour de nouveaux types d’activité créés par les coopératives et les usines récupérées.

Mais aucune de ces initiatives ne peut être orchestrée sous la garde du FMI parce que les créanciers acceptent seulement des mesures qui assurent le plus grand paiement immédiat de la dette. C’est pourquoi à cette table de négociations il n’y a pas de place pour un projet alternatif. Depuis là, on ne pourra pas avancer vers la reconstruction d’un « pays normal », c’est-à-dire sans affamés, ni appauvris. Payer aux créanciers tandis que la majorité survit avec des salaires ou des subventions dérisoires c’est une immoralité obscène que Lavagna déguise avec des feux d’artifice.

De la main du FMI, l’Argentine sera réinsérée à nouveau dans le monde des banquiers qui ont pillé le pays. Face à ce destin il est possible de pointer vers une autre stratégie favorable au bien-être populaire. Mais ce projet exige de résister à la banalisation de la misère et de comprendre que la politique en cours n’est pas « le moindre mal », mais une autre étape d’une souffrance sans fin. Il ne faut pas se tromper en acceptant la même prescription avec une autre enveloppe. Un programme alternatif de reconstruction populaire de l’économie est possible si nous exigeons ce qui nous correspond : récupérer notre salaire, notre travail et nos droits sociaux.

Octobre 2003

Traduction pour El Correo : Estelle et Carlos Debiasi

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