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8 janvier 2004

Le Méxique, Cheval de Troie des transgéniques en Amérique du Sud

par Silvia Ribeiro

 

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Le Mexique vient de signer un accord avec les États-Unis et le Canada pour contourner les exigences du Protocole de biosécurité internationale et garantir que les graines contaminées par des transgéniques continueront d’entrer sur le territoire mexicain en dégageant la responsabilité des entreprises et des pays qui les produisent. L’accord fut signé le 29 octobre dernier par Víctor Villalobos, du Secrétariat à l’Agriculture du Mexique (Sagarpa), J. B. Penn, du Département de l’Agriculture des États-Unis, et Andrew Marsland du Ministère de l’Agriculture et des Agroaliments du Canada. Le Mexique garantit de plus que l’accord sera étendu à d’autres pays latino-américains. Selon Blair Commber, directeur de l’Agriculture du Canada, l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay ont déjà manifesté leur intérêt.

Le Protocole de Carthagène sur la sécurité de la biotechnologie fut signé en 2000 et entra en vigueur le 11 septembre 2003. 78 pays l’ont ratifié. Connu sous les noms de Protocole de Biosécurité ou de Protocole de Carthagène, son objectif est de réguler, « en conformité avec le principe de précaution », le mouvement transfrontalier d’organismes vivants modifiés.

Le processus de négociation de ce protocole dura plus de sept ans et fut très acharné. Pour les très peu nombreuses mais puissantes entreprises qui dominent la production des transgéniques, il était fondamental qu’il soit faible et s’accorde à leurs besoins, et que le cadre légal résultant n’entrave pas le cours de leur expansion contaminatrice mais qu’il les décharge de la responsabilité des dommages. Pour défendre leurs intérêts, elles se sont appuyés sur les délégations de trois pays qui possèdaient 99 pour cent des cultures transgéniques (États-Unis, Canada et Argentine) et de trois pays serviles qui, bien qu’ils n’en tirent aucun bénéfice, ont soutenu leurs intérêts : l’Australie, le Chili et l’Uruguay. Ces nations ont formé le Groupe de Miami qui, joint à l’industrie biotechnologique, entrava et sabota autant qu’il le put les normes proposées pour protéger l’environnement, la santé et la biodiversité. Ils réussirent à faire changer la définition des « organismes génétiquement modifiés » en « organismes vivants modifiés », excluant ainsi des règles les plus contraignantes du protocole 90 pour cent du commerce mondial des transgéniques, vu que les produits traités ou à traiter en aliments ou en fourrage, et non en semences, ne sont pas considérés comme des organismes « vivants » modifiés et que les règlements sont beaucoup plus laxistes. L’industrie et le Groupe de Miami ont obtenu également le droit de ne pas informer clairement de la présence ou de l’absence de transgéniques dans une cargaison et de n’avoir qu’à faire figurer la mention « peut contenir des transgéniques ».

La première réunion des signataires du protocole aura lieu à Kuala Lumpur, en Malaisie, du 23 au 27 février prochain. L’agenda inclut la définition plus spécifique de deux thèmes importants : l’étiquetage, la responsabilité et la compensation pour les dommages.

Le Mexique, pays d’origine du maïs - l’une des quatre cultures qui avec le soja, le coton et la cannelle constituent cent pour cent du commerce mondial des transgéniques -, qui a été contaminé au coeur même de ses cultures et de son économie, vient à nouveau en aide aux entreprises transnationales et aux intérêts des États-Unis en signant un accord régional exemplaire, qui servira de « manuel » pour mettre les entreprises à l’abri de toute les décisions qui pourront être prises dans la prochaine réunion de Malaisie.

Cet accord, signé par le Mexique, le Canada et les États-Unis, contient des aspects clés qui vident de contenu les règles du protocole et les décisions qui pourront être prises à l’avenir : établir qu’une cargaison « n’est pas transgénique » si elle contient jusqu’à 5 pour cent de transgéniques ( !), que la présence « non intentionnelle » de transgéniques dans une cargaison n’obligera pas à l’étiqueter comme « pouvant en contenir », et que ceux qui appliqueront les règles de ce document auront déjà réalisé les objectifs du protocole, comme par exemple celui de prendre en compte le principe de précaution. Toutes ces demandes sont celles de l’industrie de la biotechnologie, selon Patty Rosher, porte-parole de la Coalition internationale du commerce des céréales (IGTC), qui affirme que « l’industrie a travaillé à minimiser l’impact du protocole sur le commerce » et que la demande d’une limite fixée à 5 pour cent de contamination est le but qu’elle s’est fixée lors de la prochaine réunion de Malaisie (Food Chemical News, 15 décembre 2003). Il est bien sûr indispensable aux États-Unis et au Canada, vue l’étendue de la contamination, qu’il y ait un seuil élevé de tolérance et que leurs envois de graines contaminées (la grande majorité de leurs exportations) puissent être définis comme « non intentionnels » pour éviter des procès.

La Sagarpa, qui subventionne les transgéniques et favorise les importations de maïs qui concurrencent déloyalement les producteurs mexicains et les pollue, assume actuellement la présidence de la Commission de biosécurité. Existe-t-il un conflit d’intérêts ? Pour cette raison elle prendra la tête des négociations sur la biosécurité en Malaisie. L’accord signé à ce jour ne fait pas que sacrifier de nouveau les intérêts des paysans, des indigènes et de toute la population du Mexique, ainsi que ses trésors naturels, mais il sera pour le reste du monde un exemple de la voie à suivre pour contourner les règlements préventifs existants, peu nombreux et fragiles, en faisant au passage le sale travail des pays qui, comme les États-Unis et le Canada, n’ont pas signé le Protocole de biosécurité.

Silvia Ribeiro, est chercheuse du groupe ETC.

La Jornada, 27 décembre 2003

Traduction de l’espagnol : Hapifil, pour RISAL (http://risal.collectifs.net/).

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