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3 mai 2019

Le Goulag ce sont eux, les États-Unis d’Amérique

par Rafael Poch de Feliu*

 

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A propos de ce qui attend Julian Assange aux États-Unis d’Amérique, le plus grand univers carcéral du monde.

La volonté évidente des médias établis, en réduisant au minimum possible le cas scandaleux de Julian Assange, c’est que nous oublions le sujet et qu’il soit dilué dans la cacophonie bruyante du chœur des nouvelles.(art en allemand]

Entre son arrestation, le 11 avril, et le 26 du même mois, il n’a pas été permis à Assange de recevoir une visite, ni même de médecins, d’ avocats, de députés ou de parents, à la prison de haute sécurité de Belmarsh que la BBC a désignée en son temps comme le « Guantanamo britannique ». Que quelqu’un puisse être soumis à un tel un régime d’isolement en prison pour une banale violation de liberté conditionnelle sous caution, est une insulte à l’intelligence.

Ce n’est pas le « cas Assange »

Que les choses soient claires : ce n’est pas le « cas Assange », mais celui de la liberté d’information. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, ce que l’ex-Président Jimmy Carter définit comme « l’oligarchie corrompue des États-Unis » a réalisé toute sorte de guerres, de guerres commerciales, d’embargos, de bombardements, d’invasions, d’opérations de changements du régime qui, selon les estimations internationales aboutissent à environ cinquante interventions directes dans lesquelles entre 20 et 30 millions d’êtres humains ont perdu la vie. Les États-Unis sont « la principale menace à la paix mondiale », dit Oskar Lafontaine. Eh bien, Assange est coupable d’avoir révélé beaucoup de détails et de méthodes récentes de cette violence inusitée. Il n’a pas été le seul, mais son rapport, à travers WikiLeaks la été énorme et très nuisible pour l’Empire. D’un point de vue journalistique cela a été, sans doute, le plus grand scoop du siècle. C’est pourquoi il faut donner une leçon qui affecte tous les journalistes, même s’ils ne sont pas étasuniens (Assange ne l’est pas), partout dans le monde.

Jeudi Assange aura sa première comparution judiciaire sur la demande d’extradition aux États-Unis. Ce qui a été vu jusqu’à présent de la justice britannique, complice indigne de cette barbarie liberticide, laisse craindre le pire. Mais, qu’est-ce qui attend Assange ?

Ce qui attend Assange

« Quand ils lui mettront la main dessus, ils lui feront subir des choses criminelles et immorales, ce sera la torture », explique Matthew Hoh, fonctionnaire du Center for International Policy de Washington. « Ils lui mettront un capuchon sur la tête, il sera menotté et enchaîné, ils l’embarqueront dans un vol clandestin, il sera amené aux États-Unis et soumis à l’isolement, ce qui est une forme de torture », explique le journaliste Chris Hedges, prix Pulitzer. « c’est ainsi qu’ils cassent les gens : il sera interrogé sans pause, ils lui appliqueront toutes les techniques psychologiques possibles, dans sa cellule il fera très chaud, ensuite très froid, ils le réveilleront constamment toutes les deux ou trois heures pour l’ empêcher de dormir, il est possible qu’ils le mettent dans une cellule sans eau pour l’obliger à demander de l’eau, pour aller au lavabo ou pour se laver », dit-il. « Tout le monde a son point de rupture, ils essaieront de le détruire psychologiquement. Nous l’avons vu dans de nombreux cas de détenus, la majorité d’entre eux vendus aux États-Unis par des seigneurs de la guerre d’Afghanistan ou du Pakistan : ils restent émotionnellement invalides à vie. Ce sera une torture scientifique », dit Hedges, cité par Elizabeth Vos dans Consortium News (art en anglais). Tout cela peut se déduire de l’injuste procès et de la détention subis par Chelsea Manning. « Il y aura un vernis de légalité, une apparence, mais il sera traité comme toutes les personnes dans le monde qui ont disparu dans ce système », pronostique Hedges.

La prison intérieure de l’Empire

Ce système est celui qui correspond à l’action impériale des États-Unis d’Amérique, à la violence extérieure exercée par ce pays, mais il a une dimension intérieure très claire et connue - bien que l’on parle peu d’elle - qui confère aux États-Unis d’être la capitale mondiale du Goulag : le plus grand système carcéral du monde. Le Goulag ce sont eux.

Aux États-Unis plus de mille personnes par an meurent des mains de la police, par arme à feu, coups ou gaz. La police a, dans la pratique, un permis de tuer, à en juger d’après le nombre insignifiant de policiers jugés.

« Vengeance et répression sont les objectifs explicites des institutions de l’État envers les noirs », dit le journaliste suisse Walter Tauber, un vétéran ex- correspondant de l’hebdomadaire Der Spiegel. « Qui entre dans la machinerie de la justice en tant que noir ne redeviendra presque jamais à nouveau un citoyen libre, même si son délit original a été de fumer un joint dans sa jeunesse et ensuite de voler une pizza par faim. Des millions de noirs et de Latinos sont libérés de la prison sans récupérer la liberté, parce que très peu obtiennent de devenir à nouveau des citoyens libres », dit-il.

Presque chaque jour un noir meurt sous les coups de feu d’un policier. Selon le quotidien USA Today, entre 2006 et 2012 des agents de police blancs ont tué chaque année en moyenne 96 jeunes noirs. Un tous les quatre jours. Mais ce décompte, du FBI, concerne seulement des délinquants condamnés. Cette situation a généré le mouvement Black Lives Matter (Les vies des noirs importent). La ville de Ferguson (Missouri) a été l’un des centres de ce mouvement. La protestation de Ferguson a démarré, en août 2014, après la mort du jeune Michael Brown.

Depuis ce temps-là, six personnes liées à ces événements sont mortes dans des circonstances scandaleusement suspectes : deux ont été trouvées calcinées avec une balle dans la tête dans une voiture incendiée dans deux événements indépendants. Trois autres sont mortes dans des suicides étranges et une sixième est morte dans un autobus et ce qui a été expliqué comme conséquence d’une overdose. Les leaders de la manifestation reçoivent des menaces anonymes. A l’un d’eux, le prêtre Darryl Gray, ils ont mis dans sa voiture une boîte dans laquelle se trouvait un serpent. Cette série d’incidents sont attribués par l’une des activistes concernées à « suprématistes blancs ou des sympathisants de la police ».

Le plus grand réseau de prisons du monde

Aux États-Unis plus de 2,3 millions de personnes, la majorité d’elles des noirs et latinos, sont enfermées dans le plus grand réseau mondial de prisons et centrales d’arrêt pour émigrants du monde. Si, à ceux-ci s’additionnent ceux qui sont en liberté provisoire, le chiffre s’élève à sept millions. Aucun pays du monde ne garde autant de prisonniers que les États-Unis : 698 personnes pour 100 000 habitants. Plus que l’Union Soviétique dans son étape finale. Plus que la Chine qui a 1,6 million de prisonniers avec une population quatre fois supérieure. Plus que dans l’actuelle Russie ou au Brésil (600 000) et encore plus que les 400 000 de l’Inde (chiffres de 2015). Plusieurs sont emprisonnés pour le simple fait d’être pauvres et de ne pas pouvoir payer une caution de 10 000 dollars et un prisonnier sur cinq pour avoir été condamné à des peines fermes pour des faits de drogue sans violence.

Les conditions d’emprisonnement sont atroces, comme l’a révélé en mars un rapport du Département de la Justice sur les prisons de l’Etat d’Alabama : viols, assassinats, raclées, suicides (15 dans les quinze derniers mois). Cette situation s’abrite derrière ce qu’un spécialiste définit comme « la nature occulte des prisons des États-Unis », chose qui paraît, « une option politique délibérée unique parmi les démocraties ». « Il n’y a pas aux États-Unis d’institution nationale indépendante qui supervise les conditions de vie dans les prisons », dit-il.

Un trou noir

Environ 61 000 prisonniers souffrent quotidiennement de détention à l’isolement, procédé que les Nations Unies comparent avec la torture et dont plusieurs sortent mentalement malades. Il y a trois ans j’ai interviewé Albert Woodfox, un activiste noir de 71 ans qui m’a expliqué ce qui signifie l’isolement : « Une cellule de 6 mètres carrés dans laquelle tu es seul et enfermé 23 heures par jour avec une heure à l’extérieur. Il y a aussi des gazages et des coups, ceci donc est de la torture », disait l’ex-prisonnier. « Le système est dessiné pour casser ton esprit et ta dignité, plusieurs sont devenus fous, d’autres se suicident, il y a des gens qui se coupent les veines pour pouvoir sortir quelques heures à l’hôpital ».

Woodfox a été, sûrement, le prisonnier du monde qui a passé le plus de temps dans un régime d’isolement : 43 ans et dix mois. Il est entré à la prison pour des délits mineurs pour lesquels il a été condamné à 15 ans, ensuite s’est échappé et est devenu activiste contre les conditions d’emprisonnement dans l’état de New York. Cet activisme l’a mené de nouveau à la prison où il a adhéré au mouvement des Black Panthers. « Nous avons crée l’unique cellule des Black Panthers en prison et ils nous ont accusés de la mort d’un agent, tout a été fabriqué, notre procès a été une vengeance à cause de notre militantisme ». L’isolement a fait partie de cette vengeance, parce que, « dès l’instant où tu as été condamné, tu deviens un esclave ».

Cette phrase de Woodfox n’est pas rhétorique : Adoptée en 1865, le treizième amendement de la Constitution US interdit l’esclavage …« excepté comme châtiment d’un délit dont le responsable a été dûment condamné ». Woodfox et ses collègues étaient accusés du plus grave délit : la rébellion des noirs pour être considérés et traités comme des personnes. De là toute une industrie carcérale à la gestion fréquemment privatisée qui s’est nourrie du travail esclave.

Tel, est, le contexte, général et concret, de ce qui attend Julian Assange aux États-Unis quand la magistrature britannique approuvera son extradition : entrer dans ce trou noir.

Rafael Poch de Feliu* pour son Blog personnel Rafael Poch de Feliu

Rafael Poch de Feliu. Catalunya, 1er mai 2019.

* Rafael Poch-de-Feliu (Barcelone, 1956) a été durant plus de vingt ans correspondant de « La Vanguardia » à Moscou à Pékin et à Paris. Avant il a étudié l’Histoire contemporaine à Barcelone et à Berlin-Ouest, il a été correspondant en Espagne du « Die Tageszeitung », rédacteur de l’agence allemande de presse « DPA » à Hambourg et correspondant itinérant en Europe de l’Est (1983 à 1987). Blog personnel. Auteur de : « La Gran Transición. Rusia 1985-2002 » ; « La quinta Alemania. Un modelo hacia el fracaso europeo » y de « Entender la Rusia de Putin. De la humiliación al restablecimiento ».

Titre original : « Le Goulag ce sont eux->https://rafaelpoch.com/2019/05/01/el-gulag-son-ellos/] »

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo de la Diaspora. Paris, le 3 mai 2019

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