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1er mars 2006

Le Chili de Bachelet

 

Par Victor Armony, Guillaume Bélanger
Alternative
. Canada, lundi le 27 février 2006

L’année 2006 en est une exceptionnelle pour l’Amérique latine. Entre janvier et décembre, onze scrutins présidentiels auront lieu. Dans certains pays, le choix sera probablement celui de reconduire le mandat de l’actuel chef de l’État, notamment Hugo Chávez au Venezuela. Dans d’autres, on assistera peut-être au renouveau, voire au basculement de l’ensemble du système politique, comme cela a déjà été le cas en Bolivie, avec la victoire d’Evo Morales. Dans un contexte régional où les humeurs politiques sont volatiles, l’élection de Michelle Bachelet, le 15 janvier dernier, représente cette voie mitoyenne qui est devenue l’image de marque de la démocratie chilienne : le changement dans la continuité.

Bachelet était la candidate de "la Concertation", une alliance de socialistes et de démocrates-chrétiens au pouvoir depuis seize ans. Elle a remporté le second tour avec 53 % des voix, face à Sebastian Piñera, leader de la droite libérale. Or, bien que pleinement inscrite dans le camp du statu quo, Bachelet incarne toutefois un certain changement.

« Femme » et « socialiste » sont les aspects de son identité dont les médias internationaux se sont surtout faits l’écho. Le cliché, repris sans cesse dans les dépêches, veut que le Chili soit l’un des pays socialement les plus conservateurs d’un continent aux valeurs traditionnelles.

En fait, la candidature d’une femme comme Bachelet aurait été impensable dans bien des sociétés dites « avancées » : elle est divorcée et ouvertement agnostique. Mais les Chiliens ont plutôt évalué la qualité de sa « fibre morale » à la lumière de sa réussite professionnelle comme médecin, de sa trajectoire comme ministre de la Santé et de la Défense, et de son expérience personnelle comme victime de la dictature.

Qu’en est-il de son identité « socialiste » ?

D’abord, il faut reconnaître que le sens du terme a sensiblement changé depuis la présidence de Salvador Allende. Le président sortant, Ricardo Lagos, est lui aussi socialiste. Pourtant, il est difficile de l’associer aux nouveaux leaders qui mènent l’actuel « virage à gauche » dans le Cône sud. Bachelet est certainement plus « gauchiste » que son prédécesseur, mais son penchant progressiste se manifeste surtout dans ce que l’on peut appeler un programme « citoyen ». En ceci : elle est en phase avec le vent qui souffle partout en Amérique latine. Des enjeux comme la représentation politique, la protection de l’environnement, la condition des femmes, les droits sociaux et du travail ont été au cœur de son message.

Néanmoins, les grandes orientations économiques du pays ne sont pas remises en question. Le tournant néolibéral, dont le Chili est la figure de proue du continent, suit son cours depuis les années 1980. Donc, même si Bachelet se situe très loin de Chávez et de Morales sur le plan idéologique, il existe une claire affinité entre son discours et celui de Néstor Kirchner en Argentine et de Tabaré Vázquez en Uruguay. Ces leaders se veulent à l’écoute de la société civile. Il est aussi à remarquer que, comme Kirchner et Vázquez, Bachelet accorde une importance particulière à l’examen du passé dictatorial. Et pour cause, le Chili étant l’un des pays de la région où le travail collectif sur la mémoire et la vérité autour des crimes de l’État reste encore largement à faire.

Est-ce que ces affinités se traduiront par un rapprochement entre ces pays ?

Difficile de répondre à cette question, car tous les gouvernements de centre-gauche sont tiraillés entre le renouveau nationaliste - associé à une recrudescence du sentiment anti-impérialiste - et la solidarité « bolivarienne » - le rêve séculaire d’une unité pan-latino-américaine - qui est si présente dans l’imaginaire populaire. Dans ce domaine, le Chili, encore une fois, constitue un cas d’espèce. C’est un lieu commun d’avancer que ce pays se distinguerait par son « isolationnisme », voire son « chauvinisme ». Sans tomber dans ce type de simplifications excessives, il est évident que la voie choisie a été plutôt celle d’un faible penchant régionaliste.

Le Chili demeure réticent à devenir un membre en règle du Mercosur et il a été parmi les premiers pays latino-américains à signer un traité de libre-échange avec les États-Unis. Les conflits territoriaux avec ses voisins ont donné lieu, au fil des ans, à des tensions diplomatiques importantes, et le Chili a été accusé par la Bolivie et le Pérou de mener une course aux armements dans la région. L’achat récent par le gouvernement de Lagos de dix avions de combat F-16 n’a pas manqué de renforcer cette impression. On peut toutefois s’attendre à quelques gestes concrets de bonne volonté - de « bon voisinage » - de la part de Bachelet, notamment en ce qui regarde la dispute avec la Bolivie autour d’un éventuel accès à l’océan pour ce dernier, mais les fondements de la stratégie géopolitique chilienne ne seront sûrement pas modifiés.

Pourquoi parler alors de « changement dans la continuité », si le cadre macroéconomique (discipline fiscale, contrôle ferme de l’inflation, etc.) et la politique étrangère demeurent essentiellement les mêmes ? D’une part, l’intention exprimée à maintes reprises par Bachelet de vouloir « humaniser » le système et mieux répartir la richesse est crédible : « Le rêve d’un pays plus moderne, juste et développé est là, à portée de la main », déclarait-elle le 27 décembre dernier. Elle a le mandat et, jusqu’à un certain point, les ressources pour le faire.

Son projet de démocratiser la vie publique, en favorisant la participation civique et en accordant plus de place aux groupes communautaires et aux mouvements sociaux, est certainement bien accueilli par la majorité de la population. La réforme du régime privé de retraite sera certainement l’un des principaux défis de son gouvernement. Les AFP (administrateurs de fonds de pension) font partie du noyau dur du « modèle chilien ». Quoique performant sur le plan financier, ce régime pénalise très durement les travailleurs précaires et du secteur informel, sans parler de ceux qui sont carrément exclus du marché du travail, dans une société qui figure parmi les plus inégalitaires de la planète.

Outre l’intention sans cesse réaffirmée de Bachelet d’abandonner le profil trop technocratique et gestionnaire des précédents gouvernements de la Concertation, qui sait si son identité de militante engagée et de femme n’a pas constitué aux yeux des Chiliens un atout de poids.

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