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14 novembre 2020

La saga des présidents péruviens

 

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Nouveau symptôme de la putréfaction chronique subie par les institutions péruviennes, le Congrès a limogé le président Martín Vizcarra dans une manœuvre plus que douteuse qui exacerbe la crise multidimensionnelle que traverse le pays et renforce le très fort discrédit envers la classe politique. La fragilité démocratique est patente à la vue du sort des six derniers présidents : tous ont fini par être limogés et/ou emprisonnés, à l’exception d’Alan García qui n’est pas arrivé à la prison parce qu’il s’est suicidé quelques minutes avant d’être arrêté.

À seulement cinq mois des élections présidentielles, et lors d’ une deuxième tentative, la motion de défiance a scellé la chute de Vizcarra, qui avait pris ses fonctions en mars 2018 après la démission pour cause de corruption de Pedro Pablo Kuczynski, dont il était le vice président. L’accusation sous la vague qualification d’ « incapacité morale » est basée sur des pots-de-vin présumés dans l’appel d’offres de deux travaux publics lorsque Vizcarra était gouverneur de Moquegua (2011-2014), dans une enquête qui n’en est qu’à l’étape préliminaire. Celui qui a promu la destitution fut le magnat de l’élevage Manuel Merino, Président du Congrès et maintenant le nouveau Président du Pérou, et a été mise en oeuvre par un Parlement dont 68 députés sur 130 sont poursuivis pour corruption et assoiffés d’immunité. La trouble manœuvre express a installé l’idée d’un coup d’État - à la manière des renversements parlementaires subis par Dilma au Brésil et Fernando Lugo au Paraguay - et a généré un rejet massif dans les rues avec un résultat incertain.

L’épisode n’a fait qu’accélérer la spirale autodestructrice d’un système politique de plus en plus dégradé, marqué par une corruption endémique et un affrontement constant des pouvoirs. Une crise politique, morale, économique et sanitaire profonde : le Pérou est le deuxième pays au monde pour le taux de mortalité par coronavirus. Une intrigue complexe dont l’expression la plus claire est le sort malheureux des présidents au cours des 20 dernières années :

  • Alberto Fujimori (1990-2000) : Symbole d’une époque, devenu dictateur avec l’auto-coup d’État de 1992. En novembre 2000, il s’est enfui au Japon d’où il a démissionné par fax un jour avant que le Congrès n’approuve sa destitution. En 2009, il a été condamné à 25 ans de prison pour crimes contre l’humanité.
  • Alejandro Toledo (2001-2006) : Imputé dans l’affaire Odebrecht pour avoir reçu environ 30 millions de dollars pour favoriser l’entreprise de construction brésilienne. Il a été pendant trois ans en fuite en Californie, aux États-Unis, où il a été arrêté en juillet 2019 et est assigné à résidence en attendant son extradition.
  • Alan García (1985-1990 / 2006-2011) : Il a fait face à diverses accusations de corruption au cours de son dernier mandat. Poursuivi dans l’affaire Odebrecht pour corruption présumée dans la construction d’un train, il s’est suicidé en avril 2019 alors que la police s’apprêtait à l’arrêter.
  • Ollanta Humala (2011-2016) : En juillet 2017, il a été condamné à 18 mois de prison préventive pour blanchiment d’argent et complot en vue de commettre un crime, accusé d’avoir reçu trois millions de dollars d’Odebrecht pour sa campagne. Bien qu’il soit en liberté conditionnelle en attendant son procès, il a récemment annoncé sa candidature à la présidentielle pour 2021.
  • Pedro Pablo Kuczynski (2016-2018) : Il a démissionné un jour avant que le Congrès ne vote sa destitution et est devenu le premier président latinoaméricain à perdre son poste en raison de l’affaire de corruption d’Odebrecht. Il est assigné à résidence pour blanchiment d’argent présumé et pour avoir reçu 782 000 dollars de la société brésilienne.

Gagnants vaincus

Le chapitre de Vizcarra, le sixième président consécutif qui tombe en disgrâce, est différent des autres et son départ sent davantage un coup d’État parlementaire. Bien que son bref mandat n’ait pas dévié de la continuité néolibérale et que sa politique étrangère soit restée alignée sur Washington, il a tenté de promouvoir certaines réformes anti-corruption et en 2019, il a dissous le Congrès mis en cause, appelant à de nouvelles élections. Sans parti ni parlementaires, Vizcarra est dans la mire d’ une majorité parlementaire (élue en janvier de cette année) qui a fini par avoir sa peau, faisant appel au motif vague d’ « incapacité morale » qui sert de mécanisme de destitution sans avoir besoin de longs débats ni d’arguments solides.

Deux décennies prennent fin au cours desquelles le Pérou a été connu pour les scandales récurrents qui ont secoué ses présidents ; spasmes de la crise organique d’un régime moulé par la Constitution Fujimori de 1993. À court terme, le défi est que lors des élections d’avril, le mécontentement populaire puisse enfin être capitalisé par une force progressive, comme Nouveau Pérou conduit par Verónika Mendoza [voir la proposition]. S’impose, comme objectif à long terme, le désir que le peuple péruvien, comme son voisin le Chili, puisse démolir ce lourd héritage Fujimori et commencer à écrire une nouvelle histoire.

Gerardo Szalkowicz * pour Página 12

* Gerardo Szalkowicz Auteur du livre « América Latina. Huellas y retos del ciclo progresista  ». Il anime l’émission de radio « Al sur del Río Bravo » [ou Rio Grande].

Página 12. Buenos Aires, le 14 novembre 2020

Traduit de de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo de la Diaspora. Paris, le 14 novembre 2020

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