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6 décembre 2014

La position des États-Unis d’Amérique au Moyen-Orient

par Immanuel Wallerstein *

 

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Le 27 novembre, le New York Times a titré un article « Conflicting Policies on Syria and Islamic State Erode U.S. Standing in Mideast » (Des politiques contradictoires sur la Syrie et l’État Islamique érodent la position des États-Unis au Moyen-Orient). Mais ce n’est pas nouveau. La position des États-Unis (d’Amérique) au Moyen Orient (et partout dans le monde) est entrain de s’éroder depuis presque 50 ans. La réalité est beaucoup plus vaste que le conflit immédiat entre d’un coté les forces anti Assad en Syrie et leurs sympathisants, et le régime d’Obama aux États-Unis, de l’autre.

Le fait est que les États-Unis sont devenues (selon l’expression dérivée de la pratique nautique de quelque époque) un « canon libre », c’est-à-dire une puissance dont les actions sont imprévisibles, incontrôlables et dangereuses pour elle-même et pour les autres. Le résultat est que presque personne n’a confiance en eux, même si de nombreux pays groupes politiques peuvent faire appel à leur assistance de façon spécifique et à court terme.

Comment cela fait-il qu’une puissance dont l’hégémonie fut indubitable dans le système-monde, et qui continue d’être aujourd’hui la plus forte puissance militaire, est arrivée à cet état lamentable ? Pourquoi l’invective t-on ou du moins lui reproche t–on avec sévérité, non seulement la gauche mondiale mais la droite – y compris les forces qui se situent au centre dans un monde toujours plus polarisé. La décadence des États-Unis n’obéit pas à des erreurs dans sa politique, mais est structurelle – c’est-à-dire, elle n’est pas en réalité sujette à être inversée.

Peut-être est-il utile de retracer les moments successifs de l’érosion de son pouvoir réel. Les États-Unis furent au sommet de leur pouvoir durant la période 1945-1970, quand ils ont imposé leur volonté sur la scène mondiale à raison de 95% du temps et sur 95% des sujets, ce qui constitue ma définition d’une véritable hégémonie. Cette position hégémonique fut soutenue par la collusion de l’Union Soviétique, qui maintenait un arrangement tacite avec les États-Unis sur la division de zones d’influence, où il n’existait pas de menace de confrontation militaire entre les deux pays. C’est ce qu’on a appelé la guerre froide, en insistant sur le terme « froide » et sur la possession d’armement nucléaire comme garantie « d’une destruction mutuellement assurée ».

Le but de la guerre froide n’était pas l’asservissement du supposé ennemi idéologique, mais de maintenir bride courte ses propres satellites. Cet arrangement confortable fut menacé pour la première fois par le manque de volonté des mouvements (dans ce qu’alors on nommait le « Tiers Monde »), qui n’acceptaient pas de subir les aspects négatifs de ce statu quo. Le Parti Communiste Chinois a défié la directive de Staline de parvenir à un arrangement avec le Kuomintang et au lieu de cela, a marché sur Shanghai et a proclamé la République Populaire. Le Viet Minh a défié les accords de Genève et a insisté pour marcher sur Saigon et unifier le pays sous son régime. Le Front de libération nationale algérien a défié la direction du Parti Communiste Français de donner la priorité à la lutte de classes en France et a lancé sa lutte pour l’indépendance. Et les groupes de guerilleros cubains qui ont renversé la dictature de Batista ont forcé l’Union soviétique à les aider à se défendre contre l’invasion US, après avoir arraché l’étiquette de Parti Communiste au groupe qui avait pactisé avec Batista

L’échec US au Viêt-Nam fut le résultat de l’énorme manne du trésor Us, dû à la guerre et l’opposition croissante interne à la guerre de la part des jeunes conscrits des classes moyennes et de leurs familles, qui ont légué une restriction permanente à toute action future militaire US, ce qui est devenu le « Syndrome du Viêt-Nam ».

La révolution-monde de 1968 a été une rébellion mondiale non seulement contre l’hégémonie US, mais aussi contre la collusion soviétique avec les États-Unis. C’était aussi un rejet envers les partis de la vieille gauche (les partis Communistes, les social-démocrate, les mouvements de libération nationale) sur la base que, bien qu’arrivés au pouvoir, ils n’avaient pas changé le monde comme ils le promettaient et sont devenus une partie du problème et pas une partie de la solution.

Sous les présidences de Richard Nixon à Bill Clinton (Ronald Reagan compris), les États-Unis ont cherché à diminuer le rythme de leur décadence grâce à une triple politique. Ils ont invité leurs alliés les plus proches à changer leur statut de satellite pour celui d’associé, à condition de ne pas trop s’écarter des politiques US. Ils ont changé le cap de l’économie-monde, passant du développement à la demande d’une production orientée vers les exportations dans le sud global avec les directives néolibérales du Consensus de Washington. Ils ont cherché à freiner la création d’autres puissances nucléaires, au-delà des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité, en imposant à tous les autres pays la fin des projets d’armement nucléaire, un traité qui n’a pas été signé et qui a été ignoré par Israël, l’Inde, le Pakistan et l’Afrique du Sud.

Les efforts US ont été en partie un succès. Ils ont freiné le rythme de leur décadence, mais ne l’ont pas inversé. Quand à la fin des années 80, l’Union Soviétique a commencé à s’effondrer, les États-Unis, de fait, se sont inquiétés. Il ne s’agissait pas de gagner la guerre froide, mais de la poursuivre indéfiniment. La conséquence la plus immédiate du collapse de l’Union Soviétique fut l’invasion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein. L’Union Soviétique n’était déjà plus là pour restreindre l’Irak, dans l’intérêt des arrangements entre les États-Unis et l’URSS.

Et bien que les États-Unis aient gagné la guerre du Golfe, ils ont montré une faiblesse ultérieure dans le fait de ne pas avoir pu financer leur propre rôle, mais ont été dépendant, à 90% , de quatre pays : Le Koweït, l’Arabie Saoudite, l’Allemagne et le Japon. La décision du président George H. le W. Bush de ne pas marcher sur Bagdad, mais de se contenter de la restauration de la souveraineté koweïtie, a été sans doute sage, mais le fait que Saddam Hussein se maintienne au pouvoir, a été vu, par plusieurs, comme une humiliation pour les États-Unis d’Amérique.

Le point d’inflexion suivant fut l’arrivée au pouvoir de George W. Bush avec la bande d’interventionnistes néoconservateurs qui l’entouraient. Ce groupe s’est formé suite à l’attaque D’al Qaeda le 11 septembre pour justifier l’invasion de l’Irak en 2003, afin de renverser Saddam Hussein. Les interventionnistes ont vu cela comme une manière de restaurer l’hégémonie US en perte de vitesse dans le système-monde. Mais le coup de feu est parti par la culasse sous deux formes. Pour la première fois, les États-Unis ont perdu un vote au Conseil de Sécurité des Nations Unies et la résistance irakienne à la présence US fut beaucoup plus ample et persistante que cela avait été prévu. En somme, l’invasion a transformé la décadence lente en chute précipitée, ce qui nous amène jusqu’aux efforts du régime d’Obama pour lutter avec cette décadence.

La raison pour laquelle ni le président Obama, ni aucun autre futur président ne seront capables de l’inverser est que les États-Unis ont été obstinés en n’acceptant pas la nouvelle réalité, ni en s’adaptant à elle. Les États-Unis continuent de batailler pour restaurer leur rôle hégémonique. Continuer avec ce travail impossible les pousse à entreprendre les dites « politiques contradictoires » au Moyen-Orient et dans d’autres parties du monde. Comme le canon libre, ils ont bougé constamment d’une position à une autre dans leur tentative de stabiliser le bateau du monde géopolitique. L’opinion publique US se déchire entre la gloire d’être le « leader » et le coût d’essayer de l’être. L’opinion publique tangue constamment.

Aussi d’autres pays et mouvements contemplent ce spectacle, ils ne font pas confiance aux politiques des États-Unis et poursuivent chacun leurs propres priorités. Le problème pour le monde est que les canons libres provoquent la destruction, pour les coupables et pour le reste du monde. Et cela accroit le rôle que joue la peur dans les actions ailleurs, ce qui augmente les dangers pour la survie du monde.

Immanuel Wellerstein para « Fernand Braudel Center » de la Binghamton University

Original : « U.S. Standing in the Middle East  ». Commentary No. 390, Dec. 1, 2014

Commentary No. 390. USA, Dec. 1, 2014

Traduit de l’Espagnol pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi

* Immanuel Wallerstein est un sociologue US. Il travailla en outre comme directeur du centre Fernand Braudel pour l’Étude de l’Économie, des Systèmes historiques et des Civilisations.

El Correo. Paris, le 6 décembre 2014.

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