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2 mars 2009

La politique de la catastrophe économique
Immanuel Wallerstein

par Immanuel Wallerstein *

 

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Tous les jours je lis un autre économiste, journaliste ou fonctionnaire du gouvernement qui donne son opinion sur la meilleure façon d’obtenir une reprise économique dans ce pays ou un autre. Il n’est pas nécessaire de dire que les remèdes se contredisent tous les uns avec les autres. Mais surtout tous ces experts semblent vivre dans un monde fantastique. Ils semblent croire que leurs solutions fonctionneront à relativement court terme.

Le problème c’est que le monde est à peine au début d’une dépression qui va durer un moment et qui va devenir bien pire que ce qu’elle est maintenant. Le sujet immédiat pour les gouvernements n’est pas comment s’en sortir, mais comment survivre à la colère populaire croissante à laquelle, sans exception, tous doivent faire face.

Tout d’abord voyons les réalités économiques du présent. Presque tout le monde - gouvernements, entreprises, individus - a vécu au-dessus de ses moyens pendant les 10 ou 30 dernières années, et l’a fait en empruntant. Le monde est devenu frivole avec des revenus gonflés et une consommation gonflée aussi. Mais les bulles doivent éclater. Maintenant, celle- là vient d’ éclater ( en fait plusieurs bulles ont éclaté). L’impossibilité de continuer dans cette voie a pénétré les consciences et tout à coup tout le monde a peur que l’on son épuise l’argent réel : gouvernements, entreprises et individus.

Quand cette peur s’empare des gens, ceux-ci s’ arrêtent de dépenser et de prêter. Et quand le fait de dépenser et de prêter baisse significativement, les entreprises arrêtent de produire ou diminuent le rythme. Elles peuvent fermer définitivement, ou tout du moins licencier des salariés. C’est un cercle vicieux, car fermer ou licencier des salariés conduit à réduire la demande réelle et entraine encore plus de réticence à dépenser ou à prêter. Cela s’appelle dépression et déflation.

Jusque là, le gouvernement des États-Unis, qui est encore en position d’emprunter de l’argent ou d’imprimer du papier, essaie de mettre en circulation de l’argent frais. Cela pourrait fonctionner si le gouvernement lançait une quantité énorme de cet argent, et le faisait avec prudence. Mais il est très probable qu’il ne le fasse pas ainsi. Et probablement que la quantité lancée qui devrait fonctionner va s’accumuler un plus créant une autre bulle. Et le dollar devrait alors chuter beaucoup plus vite que les autres devises, entraînant le dernier support important de l’économie-monde.

Pendant ce temps, il y de moins en moins d’argent pour la consommation quotidienne générale pour les 90 % de la population du monde plus pauvre (et ce n’est pas beaucoup mieux pour le 10% du haut). Les gens commencent à s’inquiéter. Le mois dernier nous avons vu les gens manifestant dans les rues contre les difficultés économiques, dans un nombre croissant de pays - Grèce, Russie, Lettonie, Grande-Bretagne, France, Islande, Chine, Corée du Sud, la Guadeloupe, la Réunion, Madagascar, Mexique - et probablement dans bien d’autres pays qui n’ont pas encore été revelé dans la presse mondiale. En fait, cela fut relativement discret jusqu’à présent, mais les gouvernements, sont tous sur la brêche.

Que font les gouvernements quand leur souci principal est de lutter avec le trouble intérieur ? Ils ont en réalité deux options : tirer sur les manifestants ou les apaiser. Leur tirer dessus fonctionne seulement jusqu’à un certain point. Pour commencer, les agents de la force doivent être aussi suffisamment assez bien payés pour avoir envie de le faire. Et quand il y a un grave retournement économique, régler ceci n’est pas aussi facile pour les régimes.

Alors les régimes commencent à calmer leur population. Comment ? Avant tout grâce au protectionnisme. Tout le monde a commencé à se plaindre du protectionnisme des autres pays. Mais les mécontents le pratiquent aussi. Et voilà ils en tireront plus . Tous les économistes néolibéraux nous disent que le protectionnisme empire la situation économique générale. Probablement vrai, mais politiquement assez insignifiant quand les gens sont dans les rues , réclamant du travail -maintenant !

La seconde façon par laquelle les gouvernements calment le jeu quand l’agitation est là, c’est grâce aux mesures de bien-être social. Mais pour ce faire, les gouvernements ont besoin d’argent. Et les gouvernements obtiennent de l’argent des impôts. Tous les économistes néolibéraux nous disent qu’augmenter les impôts (de tout type) lors d’une récession économique rend la situation économique générale encore plus difficile. Cela peut être vrai, mais à court terme c’est aussi insignifiant. C’est ainsi, lors d’une récession, la perception d’impôts baisse. Les gouvernements ne peuvent maintenir les dépenses courantes, pas la peine de parler de dépenses supplémentaires. Aussi, ils yaxeront d’une façon ou d’une autre. Ou ils impriment de la monnaire.

Finalement, la troisième façon de calmer le jeu, c’est par une dose salutaire de populisme. Le réel fossé de revenus entre les 1% supérieur et 20 % inférieur dans les pays et à une échelle mondiale a énormément grandi dans les 30 dernières années. Le fossé va se réduire maintenant vers une situation plus normale qui existait en 1970, qui continue à être un fossé très grand, mais moins scandaleusement grand. Ainsi, on a des gouvernements qui parlent maintenant de plafonds pour les banquiers, comme cela se passe aux États-Unis et en France. Ou on peut accuser les gens de corruption, comme en Chine.

C’est un peu comme être sur la route de la tornade. Le pire peut tomber sur les gouvernements tout à coup. Quand cela arrive, ils ont à peine quelques minutes pour se réfugier dans leurs caves. Quand la tornade est passée, et si quelqu’un est encore en vie, l’un d’eux sort pour évaluer les dégâts. Les dégâts seront très étendus. Oui, on peut reconstruire . Mais c’est là que commence la vraie discussion sur comment peut-on reconstruire, et comment partager équitablement les bénéfices de la reconstruction ?

Combien de temps ce sombre tableau va-t-il durer ? Personne ne sait ou peut être sûr, mais probablement un bon nombre d’années. Cependant, les gouvernements vont faire face à des échéances électorales, et les votants ne seront pas gentils avec les gouvernants. Le protectionnisme et les programmes de bien-être social servent aux gouvernements de la même façon qu’une cave sert pendant une tornade. La quasi nationalisation des banques est une autre manière de se réfugier dans les caves.

Ce que les gens doivent penser et ce à quoi ils doivent se préparer , ce nous allons faire quand nous émergerons de la cave, quoi que cela soit. La question fondamentale est comment nous allons reconstruire. Ce sera la vraie bataille politique . Le paysage sera inconnu. Et toute notre ancienne rhétorique sera suspecte. Le point clef à admettre, consiste à ce que reconstruire peut nous amener à un monde bien meilleur, mais cela peut aussi amener à un pire . En tout cas, ce sera un monde très différent.

Traduction pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi.

La Jornada. Mexique, le 28 février 2009.

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