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10 novembre 2020

La métaphore médico-chirurgicale dans le discours militaire de la « guerre révolutionnaire »

par Gabriel Périès*

 

L’emploi de la métaphore médico-chirurgicale dans le discours militaire de la « Guerre révolutionnaire » est cohérent sur le plan rhétorique. Il exprime tant une modernisation desauto-représentations du professionnel de la violence légitime que sa volonté d’intervention dans lasphère du politique et du social.

Le militaire, professionnel de la violence légitime, possède un langage, un discours, qui est propre à son champ, à ses compétences techniques spécifiques. Ce langage est, logiquement, présent dans tous les textes afférents à la théorie et à la pratique du métier des armes. Cependant, face aux réalités mouvantes de l’histoire, dont l’homme de guerre est souvent l’un des protagonistes principaux, mots, termes et vocabulaires conventionnels ne suffisent pas ou plus. L’emprunt d’autres formules, raffinement des concepts pour orienter l’action s’imposent.

Analogies et métaphores peuvent alors venir au secours du soldat. Elles apparaissent autant comme des instruments destinés à analyser et illustrer des réalités nouvelles que comme l’expression même des modifications indispensables à l’accomplissement efficace d’une mission. Des exemples de ce type de situation nous sont donnés par l’utilisation récurrente de tropes métaphoriques d’une catégorie particulière, dans des textes en rapport avec la doctrine de la guerre révolutionnaire (DGR) [1] ou avec ses dérivés, les concepts de guerre subversive [2] et de stratégie indirecte [3]. En effet, dans ce corpus doctrinal très large, qui se déploie depuis les conclusions tirées de la guerre d’Indochine jusqu’aux écrits théoriques traitant de la guerre froide, émerge une forme spécifique de métaphore : la métaphore médico-chirurgicale (MMC). A titre d’illustration, citons un extrait du rapport « Enseignement de la guerre d’Indochine », édité en 1955 par le commandement en chef en Extrême-Orient, dans lequel on peut lire :

« A l’actif du bilan comptent seulement les actions de « contrôle en surface » qui visent à extirper [4] d’une région les rebelles qui s’y dissimulent. Cette chirurgie, fondée sur le diagnostic des localités les plus contaminées et de villages encore relativement sains, doit amener l’ablation des tissus gangrenés et ouvrir la voie à cette convalescence, qui sera la pacification proprement dite » [5].

Au-delà de ces écrits de synthèse technique, internes à l’armée, nous trouvons aussi l’utilisation de la MMC dans des ouvrages à vocation plus théorique traitant, par exemple, de la stratégie indirecte dans le contexte de la guerre froide. Ainsi le général Beaufre a-t-il recours à cette forme de trope pour libeller un certain nombre de chapitres et de sous-chapitres de son livre Stratégie de l’action [6] : « Action et diagnostic politique » (p. 31) ; « Dissection du concept d’action » (p. 53) ; « Anatomie de la force : le niveau d’action » (p. 81) ; « Inventaire politique et diagnostic politique » (p. 82) ; « Inventaire stratégique et diagnostic stratégique » (p. 86).

Dans ce cadre, il est intéressant de relever la présence parallèle de MMC dans des écrits de militaires étrangers ayant reçu l’enseignement de la DGR. La MMC est ainsi utilisée dans le discours des militaires argentins, en 1977, lorsque, définissant « l’étape fondatrice » du « Processus de réorganisation nationale » [7], ils soulignent qu’il convient de « gagner une guerre cruelle et d’une énorme complexité, pendant laquelle, à l’activité créatrice se juxtapose, simultanément, l’action chirurgicale nécessaire à l’ablation de l’omnipotent cancer de la subversion communiste » [[E. Vásquez, PRN-La ultima, origen, apogeo y caida de la dictadura militar, Buenos Aires, Eudeba, 1985, p. 326. (...) Lire la suite dans le PDF

Gabriel Périès*, Persée. Paris, mars1991

*Gabriel Périès, Professeur (HDR), docteur en Science politique (Paris I Panthéon-Sorbonne). Enseignant-chercheur à l’Institut Mines-Télécom/ Télécom-Ecole de Management, il est rattaché au LASCO/CNRS Paris V-Descartes. Il collabore également avec le Groupe de Recherche Sécurité et Gouvernance / Toulouse I Capitole . Il est l’auteur de nombreux travaux sur les doctrines militaires contre-insurrectionnelles.). Il fait une partie en France du laboratoire LinX de l’Ecole Polytechnique et en Argentine du CEL de l’UNSAM)

Notes

[1Voir, pour informations sur le concept, P. Paret, French revolutionary warfare front Indochina to Algeria, New York, Washington, Londres, F. A. Praeger, 1964.

[2R. Girardet, « Reflexions critiques sur la doctrine militaire française de la guerre subversive », Revue des travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, 1er semestre 1960, p. 232.

[3Voir, Général Beaufre, Stratégie de l’action, Paris, A. Colin, 1966

[4Nous soulignons dorénavant tout trait caractéristique porteur de MMC.

[5Commandement en chef en Extrême-Orient, « Enseignements de la guerre d’Indochine », fasc. II, 1955, p. 47

[6Général Beaufre, Stratégie de l’action, op. cit., 1966

[7G. Périès, « Doctrine de la sécurité nationale et national-catholicisme, deux sources théoriques du Processus de réorganisation nationale en Argentine (1976- 1983) », DEA, Université de Paris I, 1986, p. 112.

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