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11 décembre 2008

La création du Sucre pour l’intégration des pays de l’ALBA dans les Amériques.

par Bernard Cassens *

 

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Autant le Sommet du G20 du 15 novembre à Washington, sans déboucher sur quoi que ce soit de concret, a bénéficié d’une énorme couverture médiatique, autant la presse internationale est restée muette sur une réunion qui va pourtant déboucher sur un événement historique : la mise en place d’une struture monétaire régionale en rupture totale avec la logique des institutions de Bretton Woods, et qui brisera le monopole du Fonds monétaire international (FMI).

On se souvient que, pour parer à la grande crise financière de 1997, partie de l’Asie orientale, le Japon avait proposé de créer un Fonds monétaire asiatique qui, en injectant des liquidités dans les circuits financiers des pays affectés, aurait permis de limiter l’ampleur du « tsunami » et d’éviter sa propagation à la Russie, puis au Brésil. Le gouvernement américain et le FMI tuèrent cette initiative dans l’œuf.

Ce que Tokyo ne put à l’époque réaliser, un petit groupe de pays est en train de le faire en Amérique Latine, et en allant même beaucoup plus loin : réunis à Caracas le 26 novembre, les dirigeants des six pays [1] membres de l’Alternative bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (Alba), rejoints par l’Equateur, ont non seulement décidé de créer un Fonds de stabilisation et de réserve qui les protègera collectivement [2], mais aussi, pour toutes les transactions commerciales, tant intra-zone que hors-zone, de se doter d’une unité de compte commune assortie d’une chambre de compensation de paiements. Cette unité de compte et cette chambre porteront le nom de Système unitaire de compensation régionale ou Sucre [3].

On reconnaîtra dans ce dispositif aussi bien les mécanismes de l’Union européenne des paiements qui, de 1950 à 1958, assura une stabilité complète des changes entre ses 18 pays membres, que ceux du Système monétaire européen et de son élément central : l’ECU (European Currency Unit), ancêtre de l’euro. Comme l’ECU, le Sucre sera seulement, du moins dans l’immédiat, une unité de compte et de valeur. Pas une monnaie avec son institut d’émission et ses pièces ou billets.

Cette initiative, qui devrait se concrétiser au début 2009, est une très grosse pierre dans le jardin du FMI. La déclaration finale de la réunion de Caracas critique en effet vertement « un système financier international qui a promu la libre circulation des capitaux et la domination de la logique de la spéculation financière au détriment de la satisfaction des besoins des peuples ». Sans être nommément désigné, le G20 n’est pas épargné : les signataires dénoncent « l’absence de propositions crédibles et vigoureuses pour faire face aux effets dévastateurs de la crise financière ».

La création du Sucre s’inscrit dans une logique géopolitique : mettre fin à l’hégémonie du FMI - dont le président vénézuélien Hugo Chávez demande même la dissolution - et donc des Etats-Unis et du billet vert, pour aller vers un monde multipolaire. La déclaration fait état de « la ferme conviction que l’espace régional est l’espace privilégié pour donner des réponses immédiates et effectives » à la crise, en vue de créer un « espace libéré des inefficaces institutions financières globales et du monopole du dollar comme monnaie de change et de réserve » et « pour avancer vers la création d’une monnaie commune, le Sucre ».

Le Sucre ne pose aucun problème de financement : à lui seul, le Venezuela dispose de réserves de change de 100 milliards de dollars. Par ailleurs, sa simple existence aura un effet dissuasif sur la spéculation. Le Système est ouvert à tous les pays de l’hémisphère et, après une nouvelle réunion de ses membres, le 14 décembre, à Caracas, il sera présenté au Sommet latino-américain et caraïbe prévu à Salvador (Brésil) le 16 décembre. Présenté, mais pas négocié, pour éviter le sort de la Banque du Sud dont la création a certes été décidée, mais dont la mise en place se fait attendre, notamment en raison des atermoiements du Brésil.

Lors de la visite du président russe Dmitri Medvedev à Caracas le 27 novembre, au lendemain de la réunion Alba élargie à l’Equateur, l’éventualité de l’entrée de la Russie dans l’Alba en qualité d’observatrice a été évoquée, comme l’avait été celle de l’Iran auparavant. La Russie songe également à créer une zone rouble qui pourrait se doter de mécanismes de coopération avec la zone Alba élargie. En Asie, le projet avorté de 1997 pourrait reprendre forme. La multipolarité monétaire semble en route…

Le Monde Diplomatique. Paris, le 2 décembre 2008.

Notes :

Notes

[1La Bolivie, Cuba, la Dominique, le Honduras, le Nicaragua et le Venezuela.

[2Dans l’immédiat et pour des raisons de procédures de décision, la Dominique n’aura qu’un statut d’observateur.

[3Du nom d’Antonio José de Sucre (1795-1830), lieutenant de Simon Bolivar et vainqueur de la bataille d’Ayacucho (1824) qui assura l’indépendance des colonies espagnoles d’Amérique du Sud.

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