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26 juin 2012

La France dans la mire de Berlin

par Rafael Poch de Feliu*

 

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Le nouveau problème de l’eurocrise est à Paris, dit-on à Berlin. On ne doit pas remarquer que Merkel met pied à terre

La Grèce neutralisée, l’Espagne soumise, le Portugal et l’Irlande sous intervention, maintenant c’est France qui est dans le point de mire de Berlin quant au pouls du sommet européen du jeudi. La corrélation des forces change et l’Allemagne arbore sa dernière arme secrète : l ’ « union politique ». Sans une « union politique », la solidarité européenne n’est pas possible, dit-on à Berlin. Pour la France, l’union politique est impossible sans un long processus et sans un vaste consensus populaire, aujourd’hui plus absent que jamais. Et, bien sûr, cela ne peut pas être la condition pour affronter les urgences inéluctables de la grande obstruction européenne. Monti et Rajoy acquiescent. Les fissures dans l’édifice de Merkel sont manifestes. C’est pourquoi en Allemagne on dit que la France est l’obstacle pour l’ « union politique ». La guerre France est servie et l’objectif allemand semble simple : sauver la face.

Une marche arrière compliquée

Pour 2013 l’effet accumulé des mesures d’économie aura soustrait au trésor de l’eurozone 600 000 millions. Ainsi, sans la compensation que représentent les exportations et d’autres apports de croissance, l’effet strict de ces mesures entre 2010 et 2013 représente une chute de 7 % du PIB conjoint de l’union monétaire, dont 2 % correspondent à l’année courante, calcule l’institut IMK allemand. En Grèce, la politique de coupes a détruit une quart du produit national. En Espagne et au Portugal le dictat de l’économie a coûté un septième du rendement économique. Les pays tombent les un après l’autre dans le sauvetage. On parle de l’Italie et de Chypre comme les suivants. C’est le port d’arrivée auquel a conduit la recette allemande. La nécessité d’une marche arrière est évidente. Mais elle est très difficile.

Difficile parce que le véhicule allemand manque de marche arrière. Pour cela l’Allemagne aurait à reconnaître une erreur d’au moins deux ans, ce qui équivaudrait au suicide politique de sa chancelière, suggère Peter Bofinger l’un de cinq savants, du groupe d’économistes indépendants qui conseille le gouvernement allemand.

« L’Allemagne est responsable de la catastrophe, mais politiquement il n’est pas du tout facile de faire un virage à 180 degrés », explique-t-il. Le public allemand est, comme aucun en Europe, convaincu de la légende semée par son gouvernement, selon laquelle la crise est « une crise de dette » dont sont responsables les mal gérés et les pays mal gouvernés de la périphérie européenne à qui l’Allemagne doit apprendre à vivre. Cette narration a réussi à transformer une question systémique en problème entre les nations, ce qui est plein d’ avantages pour le secteur financier et ses défenseurs politiques parce qu’il les retire du banc des accusés pour mettre à leur place Zorba le grec.

« Le public allemand devrait être rééduqué et cela exigerait beaucoup de courage et de leadership politique de la part de Merkel  », dit Bofinger.

Fuite en avant

Ainsi donc, l’échec de l’austérité doit se cacher avec une autre légende bismarckienne, supérieure mais avec la même clé d’Autorité, Inégalité, Austérité. La sortie de la crise est « plus d’Europe » sur ces principes. Mais la Francia ne la veut pas. Nous sommes européistes, nous voulons plus de solidarité, « qu’il y ait » toujours des garanties, mais pour cela une union politique est nécessaire, ce que la France ne désire pas, dit-on à Berlin. C’est à dire, que le vrai problème de l’eurocrise (avant la Grèce, ensuite l’Espagne) est la France.

Ceci l’explique Hans-Werner Sinn, le président de l’Institut Ifo de Munich : Pour pratiquer une solidarité, « les pays doivent former d’abord une nation commune, une constitution, une superstructure légale conjointe, un monopole de pouvoir qui garantit l’obéissance à la loi et une armée commune pour la défense ». « Malheureusement, aucune de ces conditions ne seront atteintes dans un avenir proche, parce que la France ne veut pas céder sa souveraineté », dit-il.

Est-il possible de créer rien de moins qu’une « union politique » en peu de mois quand il n’y a pas d’identité européenne, ni de projet européen, ni de consensus populaire, sans détruire le peu qui reste d’une démocratie dans le continent ? Le tenter dans des conditions de récession et avec réductions dans de plus en plus de pays membres est téméraire, cela semble une recette sûre vers la désintégration européenne.

Une union politique, « implique des discussions et des travaux en profondeur, on ne peut pas la développer sans l’appui des peuples, et un tel appui sera impossible alors que l’Union Européenne n’a pas démontré qu’elle est à la hauteur de la situation et qu’elle est capable de donner des réponses à la crise économique et monétaire », dit le ministre français pour des affaires européennes, Bernard Cazeneuve. « En l’absence de ces réponses, la crise économique et la crise financière s’ajouteront avec le risque de détruire tous les efforts obtenus jusqu’à présent dans l’intégration politique », dit-il. La réforme de l’UE ne peut pas être une condition pour les mesures urgentes qu’exige la crise, affirme Cazeneuve. A t-on perdu tout sens de la réalité ?

L’euro que, comme maintenant tous le reconnaissent a déjà été un « plus l’Europe » mal fait, doit être remédié par rien de moins qu’une « union politique ». Et sous la devise de « vite, vite que nous attrapent les marchés ».

« Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité, et ils ne voient la nécessité que dans la crise », a dit Jean Monnet dans les années cinquante. L’actuelle crise présente l’occasion pour imposer davantage de cette intégration à la mesure du pouvoir financier et du patronat qui a mené l’Europe à l’actuelle situation.

Le nouvel ennemi français

Pour le gouvernement français l’union politique n’est pas une condition nécessaire pour la solidarité financière, il y a assez avec certaines précautions et des coordinations basiques. Le FMI parle « d’un système de pas intermédiaires, avec des contrôles et des supervisions, avec de règles claires, mais en visant le partage des risques ». Pour le gouvernement allemand l’ « union politique » est la condition pour tout mécanisme de solidarité. C’est pourquoi la France est maintenant dans le point de mire de Berlin.

La belligérance de la presse allemande contre la simple possibilité de ce que François Hollande réussisse à faire atterrir l’Allemagne et consolider une ligne alternative en Europe est manifeste.

« Si Hollande considère comme une bonne idée de devenir le leader des pays économiquement chancelants du sud de l’Europe et aller à une confrontation avec Berlin, des temps rudes attendent l’Europe », remarque un observateur de Die Welt. Le président français, « ne doit pas surestimer la force de son mandat », dit-il, confiant qu’enfin Hollande abandonnera ses velléités « populistes » pour se plier au « réalisme » des marchés.

« L’Allemagne montre la force sans vouloir dominer, et cependant elle est punie avec du mépris. Elle est déjà haïe par les grecs, méprisée par les français, et sûrement le sera aussi bientôt par les Espagnols et les italiens », se lamente le Berliner Morgenpost. Mais, « si Merkel donnait son bras à tordre, ce ne serait pas bon pour l’Europe ni pour l’Allemagne », termine t-il.

L’alignement de la presse allemande avec sa chancelière est presque total et sans fissures. Il y a une union sacrée nationale autour du leadership allemand dans une croisade néolibérale aux résultats désastreux. Le ciment de cette union est l’idée curieuse que l’Allemagne (30 % de l’économie de l’eurozone qui apporte 27 % au Mécanisme Européen de Stabilité, moins que l’Espagne et l’Italie réunies) est la seule qui paie en Europe. La France est le unique pays avec la surface suffisante pour démonter cette mythologie dans les institutions européennes, et c’est pourquoi elle au pilori.

Le problème du compromis auquel la France et l’Allemagne doivent arriver nécessairement le 28 de ce mois à Bruxelles, n’est pas son impossibilité – il est parfaitement faisable - mais que personne ne doit perdre la face, spécialement l’Allemagne où les élections se tiennent l’année prochaine. L’on ne doit pas être à remarquer que Merkel met pied à terre.

Union politique ?

Mais : qu’est-ce qu’entend Berlin par « union politique » ? Au début c’était un coup d’accélérateur vers quelques impossibles « États-Unis d’Europe » fédéraux dans la ligne pointée par le Professeur Hans-Werner Sinn, mais quand mercredi une journaliste hollandaise a demandé à Merkel ce qu’elle voulait dire exactement, la chancelière a réduit le sujet à deux aspects aussi banals que vagues : « une inspection bancaire commune, avec un plus grand rôle de contrôle pour la Banque Centrale Européenne », et « plus de coopération entre chaque pays ». La sensation de ce qu’il n’y a pas de concept - au-delà de la volonté de faire bonne figure devant une opinion publique allemande mal informée et de confirmer une fuite en avant devant le naufrage pratique de l’absurde « pacte fiscal », qui met la politique économique des gouvernements dans un corset rigide- est irrésistible.

« L’Europe est seule »

Si les rencontres du G-20 de 2009 ont semblé obtenir un consensus, à partir de juin 2010 le bras de fer entre des mesures keynésiennes et l’ « austérité » a commencé. Le dernier G-20 de Los Cabos (Mexique) fut complètement improductif et s’il a reflété quelque chose, c’était l’isolement allemand. Plusieurs médias allemands ont transformé « Allemagne » par « Europe », et ont titré en disant des choses comme, « l’Europe est seule » (Handeslblatt) ou « Los Cabos démontre l’unité européenne » (Frankfurter Allgemeine Zeitung). « Merkel est internationalement vue comment la figure clef, pour dépasser l’eurocrise », expliquait Der Spiegel. Et à la mi-temps du match de l’eurocoup entre la Croatie et l’Espagne, un journal télévisé abrégé de 15 minutes lâchait ses trois messages : à Athènes, « le pire a été évité » (la victoire de la gauche), « le monde entier attend de l’Allemagne la solution de la crise », et en Europe, « tous veulent l’argent allemand », a expliqué la présentatrice. Depuis Los Cabos, le correspondant de la deuxième chaine (ZDF) tranquillisait le public en disant que, « le porte monnaie allemand reste fermé », grâce à la « dure bataille défensive » de notre ferme chancelière… Digne de l’Italie de Berlusconi.

La Vanguardia. Barcelone, le 23 juin 2012.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo. Paris, le 26 juin 2012.

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