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3 août 2009

La Bolivie versus la Spoliation de la Culture Indigène.

par Bartolomé Clavero *

 

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Le régime international de la propriété intellectuelle et des brevets non seulement dé-protège les connaissances empiriques et les expressions culturelles des peuples et des communautés indigènes, mais a même fomenté leur expropriation massive sans consentement, indemnisation et participation aux bénéfices éventuels, parfois vraiment considérables. Conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Indigènes, les États, en coopération avec les mêmes peuples indigènes, doivent établir des mécanismes de protection des connaissances traditionnelles et des expressions culturelles indigènes (un art. 31). La Bolivie affronte le défi, un défi réellement énorme compte tenu des paramètres actuels du régime international de la propriété intellectuelle.

Les connaissances traditionnelles et les expressions culturelles (CTs et ECs) ne sont pas brevetables selon le régime établi à travers les traités entre les États et l’Organisation Mondiale de la Propriété intellectuelle (OMPI), l’une des nombreuses agences des Nations Unies, agence à laquelle appartiennent presque tous les États. On connaît l’histoire. La connaissance empirique de la vertu thérapeutique d’une espèce végétale n’est pas brevetable tandis que l’extraction dans un laboratoire du principe actif correspondant pour le transformer en marchandise par l’industrie pharmaceutique est brevetable. La musique collective d’une célébration communautaire n’est pas inscrivable tandis que sa traduction en partition au nom de celui qui se présente comme son auteur ou, avec un vague scrupule, comme arrangeur d’un thème traditionnel anonyme peut être inscrite. Et c’est pareil pour tout ce qui est communautaire et a une valeur scientifique ou culturelle mercantilisable. Un produit authentique culturel social n’est pas enregistrable tandis que son moulage ou sa manipulation individuelle ou par une entreprise l’est. Avec cela, l’expropriation sans compensation ni consentement est systématique à une échelle internationale.

Il y a des cas très connus comme celui d’El Condor Pasa ou celui El León Duerme Esta Noche. Pour le pillage de connaissances scientifiques, c’est plus difficile de donner des exemples, mais les entreprises se gardent de révéler les sources qui leur permettent l’extraction d’éléments brevetables. Il n’est pas rare qu’elles y accèdent à travers le financement de recherches anthropologiques ou similaires sur le terrain des communautés indigènes comme façon de contourner d’abord et de spolier juste ensuite les connaissances empiriques. La promotion de l’investigation peut s’avérer doublement profitable puisqu’elle sert au passage à réduire la charge des impôts ou des contributions des entreprises au maintien de services publics ou sociaux. Les connaissances scientifiques et les valeurs culturelles indigènes sont en somme des biens « sans propriétaire ». Ils le sont jusqu’aux noms. Il en est ainsi d’un modèle de voiture qui s’appelle cherokee, d’une marque de sac de couchage qui s’appelle quechua ou d’un type d’hélicoptère militaire qui s’appelle apache, ce dernier sur le présupposé raciste que ce nom indigène cause déjà en soi la peur.

L’OMPI s’est montrée dernièrement préoccupée par le manque de protection internationale des CTs et d’ECs indigènes. Elle a maintenant l’idée, aujourd’hui techniquement faisable, d’organiser un gigantesque registre de tous les CTs et de toutes les ECs de tous les peuples et de toutes les communautés indigènes de tout l’univers. Son intention n’est pas cachée. Et de proclamer qu’il s’agit de protéger le droit indigène, mais en ajoutant tout de suite que le plus précieux dans un tel registre consiste en ce qu’il permettra l’accès de tiers au patrimoine culturel indigène mondial, de telle manière que son exploitation puisse avoir lieu moyennant une compensation pour le peuple ou la communauté d’où vient le CT ou l’EC. C’est un projet qui a été présenté en 2008, après l’adoption de la Déclaration des Droits des Peuples Indigènes par l’Assemblée générale des Nations Unies, l’organisation mère de l’OMPI. On ne peut pas dire que dans son projet la Déclaration et donc les droits des peuples indigènes sont ignorés royalement. Il n’a pas de justification mais il a une logique. Avec la Déclaration, un tel projet ne tient pas.

Du 24 au 26 juillet dernier a eu lieu à Vinto, en Bolivie, un sommet andin de représentants indigènes sur les CTs et ECs, portant bien évidemment, sur la revendication et la protection des droits correspondants des peuples. Le 25 de ce mois fut présenté l’Avant-projet de Loi sur les CTs et ECs indigènes élaboré en Bolivie. Cela représente un pari décisif pour assumer l’obligation précitée de l’article 31 de la Déclaration sur les Droits des Peuples avec conscience de l’immensité du défi face au complot persistant du droit international contre la possibilité que cela puisse entrer dans la pratique et octroyer des garanties aux droits des peuples indigènes sur leurs CTs et à ECs. Bien qu’elle prétende maintenant le contraire, la politique de l’OMPI est la meilleure preuve de cette vraie conspiration. D’autres agences internationales n’ont pas besoin d’être conscientes pour être complices. Avec le droit international existant, la conspiration n’a pas à être intentionnelle.

L’Avant-projet bolivien envisage l’établissement d’un registre spécifique pour l’inscription et la protection des CTs et des ECs indigènes, un registre à caractère volontaire pour les communautés et les peuples et avec une valeur simplement préventive face à la disposition indue/déplacée des uns et des autres, les CTs et les ECs, et enregistre ainsi sans valeur constitutive de droit. Cela part du bon principe que les communautés et les peuples ne peuvent être obligés à enregistrer leurs droits pour qu’ils soient reconnus et garantis par l’État. Les droits indigènes, tant culturels que territoriaux, ne dépendent pas du registre public. Ce registre ne peut pas répondre en tout au régime d’enregistrement ordinaire. Parmi les communautés et des peuples, existe une préoccupation légitime selon laquelle en dernier recours le registre sert à exposer plus qu’à protéger leurs CTs et ECs, en les rendant publics sans les garanties suffisantes. C’est pourquoi l’inscription n’est pas obligatoire pour avoir le droit. Et c’est pourquoi aussi, on propose en Bolivie un registre qui ne soit pas d accès public et qui émet seulement des certifications en cas de besoin pour la contradiction d’inscriptions au registre ordinaire, registre qui a force officielle.

Le débat fut vif au sommet de Vinto. Ne produit-on pas ainsi une incapacité à se défendre des peuples et des communautés qui ont choisi de ne pas se risquer à enregistrer leurs CTs et ECs ? Quelle protection peut s’offrir par ailleurs aux peuples et aux communautés qui s’enregistrent, si n’est pas préalablement entrée en vigueur la réforme du régime ordinaire de la propriété intellectuelle et brevets ? Et ne provoquerait-on pas alors un sérieux conflit avec le droit international ? Dans un sujet comme celui-ci, pour autant que la Déclaration les Droits des Peuples Indigènes la soutienne, la Bolivie peut-elle garantir ce que le droit international ne garantit pas ou même dé-protège ? Il y a eu des interventions, avec de bonnes raisons, qui ont défendu une politique pour garder secret les CTs. Cependant, dans le monde d’aujourd’hui, avec la pression tant des entreprises intéressées que de l’OMPI, peut-on garder longtemps ce secret ? Ne serait-ce pas une autre façon pour que continue l’exposition au pillage massif ? La protection de l’État ne devrait-elle pas être bienvenue dès que lui-même l’offre comme dans le cas de la Bolivie ?

Le nœud gordien se trouve bien sûr dans le droit international. Dans la pratique, toute option bolivienne sur les CTs et les Ecs vaudrait peu de choses si on ne tire pas les conséquences et n’applique les requêtes de la Déclaration les Droits des Peuples Indigènes dans le droit international lui même. Le régime établi de la propriété intellectuelle et des brevets joue réellement contre les droits indigènes. Mais, comment la Bolivie pourrait elle seule ou même avec les États andins unis, dans le cas bien hypothétique où tous répondaient aux demandes indigènes, faire bouger le droit international vers une révision de fond pour laquelle, aujourd’hui, il ne montre pas lui même beaucoup, quelque disponibilité ? La réforme à une échelle internationale est en tout cas impérative à la lumière de la Déclaration les Droits des Peuples Indigènes (un art. 42 :" Les Nations Unies, ses organes, y compris le Forum Permanent pour les Questions Indigènes, et les organismes spéciaux, même à un niveau local, ainsi que les États, veilleront au respect et la pleine application des dispositions de la Déclaration présente et veilleront à son efficacité", mandat qui comprend naturellement parmi ses destinataires l’OMPI).

En même temps ou, mieux, préalablement à sa propre loi pour que celle-ci ne déçoit pas, ni ne produit d’effets contraires, la Bolivie devrait prier instamment les Nations Unies pour que le dit article soit respecté d’autant plus qu’il concerne le droit indigène de la propriété intellectuelle. Quelle chance pourrait avoir un État aux cotés de quelques autres États qui pourraient l’appuyer parmi près de deux cents autres ? Peut-être plus qu’on s’en doute. Il y a plusieurs ressorts internes qui font bouger les Nations Unies. Aujourd’hui, par exemple, la Bolivie est membre du Comité de Décolonisation (le Comité Spécial chargé d’examiner la situation à l’égard de l’application de la Déclaration sur la concession de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, premier instrument qui définissait le droit à la libre détermination que maintenant la Déclaration les Droits des Peuples indigènes étend à ceux-ci). Cette position de la Bolivie peut être stratégique. D’autres organismes des Nations Unies, comme les comités des traités de droits de l’homme, pourraient résoudre des cas concrets ; les organes spécifiques sur les questions indigènes ( Forum Permanent, rapporteur Spécial, Mécanisme d’Experts) peuvent attirer l’attention sur l’un ou l’autre, mais seul le Comité de Décolonisation est en position de pouvoir aborder le sujet avec une portée générale et dans toute son étendue pour faire des propositions nécessaires à l’Assemblée générale des Nations Unies. Le sujet consiste finalement en une subsistance sournoise du colonialisme et de la reconnaissance internationale de la situation de soumission indigène de racine coloniale, que de fait vient à soulager la Déclaration les Droits des Peuples Indigènes.

Le régime international de propriété intellectuelle est une pure relique coloniale, mais une relique bien vive. Ainsi on atteint les effets décrits de violation massive des droits des peuples indigènes. Le sujet ne pourrait-il pas être amené par la Bolivie devant le Comité de Décolonisation ? Cela pourrait être mieux de viser plus haut. Faisant dans le fond la Déclaration les Droits des Peuples Indigènes la forme d’étendre la décolonisation aux mêmes, la Bolivie ne pourrait-elle pas proposer au Comité de Décolonisation qu’il se charge de l’analyse de toutes les requêtes et du scrutin de tous les cas qui concernent la décolonisation des peuples indigènes grâce au caractère effectif des prévisions de la Déclaration de Nations Unies les Droits des Peuples Indigènes ? L’enjeu n’est pas seulementle droit indigène aux CTs et aux ECs.

Ce droit pourra bien mal se défendre en solitaire comme n’importe quel autre droit des peuples indigènes. Pour que sa garantie soit effective, un changement radical de la scène complète du droit international s’impose conformément aux exigences de la Déclaration les Droits des Peuples Indigènes, un point sur lequel les Nations Unies sont déjà engagées. Il y a un socle pour que la Bolivie pousse et agisse pas seulement sur le plan du droit interne.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par  : Estelle et Carlos Debiasi.

Bartolomé Clavero est Membre du Forum Permanent de Nations Unies pour les Questions Indigènes.

Source : http://clavero.derechosindigenas.org

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