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28 avril 2008

Espions qui ne reviennent pas du froid

L’histoire des cinq agents cubains emprisonnés aux Etats-Unis.

par Eduardo Febbro

 

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

Un cauchemar de la première jusqu’à la dernière ligne, comme sont les histoires réelles quand les intérêts des États jettent dans un précipice la vie des individus.

Ce qui a commencé comme un échange prometteur entre Fidel, García Márquez et la CIA, s’est terminé avec cinq agents cubains emprisonnés et tout un mouvement solidaire pour que les espions soient libérés et puissent retourner à Cuba.

Le premier chapitre est constitué par une série de sabotages et attentats perpétrés à Cuba à partir de 1997 contre des hôtels de la capitale, La Havane. Le 4 septembre, un de ces actes terroristes perpétré dans l’hôtel Copacabana a provoqué le mort d’un touriste italien, Fabio di Celmo.

Le second chapitre est une note envoyée par Fidel Castro au président des Etats-Unis de l’époque, Bill Clinton, par le biais de l’auteur colombien Gabriel García Márquez.

La note, entre autres, disait :

« Une importante affaire. On maintient des plans d’activité terroriste contre Cuba, payés par la Fondation Cubano-américaine en utilisant mercenaires centroaméricains. Deux nouvelles tentatives ont été menées pour faire exploser des bombes dans nos centres touristiques avant et après la visite du Pape ».

Dans le même texte Castro disait que les agences d’intelligence des Etats-Unis détenaient des informations substantielles sur les responsables de ces actes et il signalait que :

« ils projettent maintenant et font déjà des pas pour faire exploser des bombes dans des avions des lignes aériennes cubaines et d’autres pays qui voyagent vers Cuba amenant et ramenant des touristes depuis et vers des pays d’Amérique Centrale ».

Le troisième chapitre est le rendez-vous que Gabriel García Márquez avait le 6 mai à 11 heures et quart du matin à la Maison Blanche afin de livrer le texte de Castro. Là, le prix Nobel de Littérature devait s’entretenir avec Clinton, mais il n’a pas été reçu par le président mais par trois fonctionnaires. Ceux-ci, au bout de 50 minutes d’audition, lui ont dit : « Votre mission était en effet de la plus grande importance, et vous l’avez très bien remplie ». Dans un récit sur cette médiation, Márquez a écrit :

« Je suis sorti de la Maison Blanche avec l’impression certaine que l’effort et les incertitudes des jours passés valaient la peine. La contrariété de ne pas avoir délivré le message au président en main propre me parut compensée par ce qui fut un conclave plus informel et opérationnel dont les résultats ne se feraient pas attendre ».

Les conséquences ont été immédiates parce que -fait peu commun- s’est instauré une sorte de coopération formelle entre La Havane et Washington. Vers la mi-juin, des spécialistes cubains et des officiels du FBI se sont réunis dans la capitale cubaine pour analyser les preuves et les documents sur les actions terroristes qui avaient comme cible Cuba. La sécurité d’État cubaine a fourni au FBI 230 pages, ainsi que des enregistrements et conversations téléphoniques et des vidéos sur les plans en cours. Les agents du FBI ont quitté La Havane avec la promesse de donner une réponse rapide aux inquiétudes cubaines. La coopération se termina là et là a commencé le quatrième chapitre.

Les Etats-Unis ont donné une réponse mais totalement à l’inverse du schéma ouvert présenté par Cuba. Toute l’information recueillie à Cuba a été utilisée pour arrêter à Miami cinq agents cubains qui étaient en territoire étasunien avec l’objectif d’infiltrer les groupuscules d’extrême droite et freiner leurs actions dans l’île. C’était un cas typique d’opération extérieure destinée à la protection intérieure. L’administration Clinton retourne les arguments, elle s’est servie des informations que Castro a livrées à García Márquez et, le 12 septembre 1998, elle a arrêté les cinq cubains : Gerardo Hernández, René González, Antonio Guerrero, Fernando González y Ramón Labañino. Aujourd’hui connus comme les « Cinq cubains de Miami », ils ont été condamnés à des peines de prison qui vont de 15 ans à perpétuité. Jugement expéditif et pour beaucoup de juristes « hallucinant » parce que la Justice de la première puissance mondiale a été incapable de présenter la moindre preuve de ses accusations. Les charges sont, en outre, contradictoires avec la mission qu’ils accomplissaient : « conspiration espionnage », ou « conspiration pour assassiner » sont deux des charges qui figurent parmi les 26 infractions qui leur sont imputées.

La jurisprudence à « géométrie variable » appliquée par Washington est tellement scandaleuse que l’Association Internationale de Juristes Démocrates (AIJD) a organisé cette semaine au Sénat français un colloque sur le cas des cinq cubains de Miami. La condamnation des agents cubains est une énormité d’autant plus abusive qu’elle laisse encore plus à découvert l’impunité avec laquelle la Maison Blanche a agi quand la CIA a monté les vols secrets déjà célèbres dans lesquels elle transportait d’un pays à un autre des supposés terroristes membres d’Al Qaida.

À l’injustice s’ajoute le caractère inhumain avec lequel sont traitées les familles des prisonniers. Magali Llort, mère de Fernando González, a raconté au Sénat la « bataille qu’il faut livrer pour ouvrir les portes de la prison et pouvoir donner un baiser à son fils ». De fait, les Etats-Unis font tout ce qui est à leur portée pour ne pas donner de visas aux familles. Olga Salanueva, l’épouse de René González, et Adriana Pérez, la compagne de Gerardo Hernández, attendent depuis dix ans un visa. Leonard Weinglass, célebre avocat étasunien qui défend Antonio Guerrero, a souligné pendant le colloque que la façon avec laquelle a agi la Justice étasunienne viole toutes les conventions existantes.

En mai 2005, le groupe de Travail des Nations Unies sur les détentions arbitraires a justement considéré que l’arrestation de ces cubains constituait une détention arbitraire. La même année -en août 2005-, après que les cinq cubains aient appel du jugement devant l’onzième Cour d’Appel d’Atlanta -en Géorgie- trois juges de cette Cour ont rendu public un document de 93 pages dans lequel ils annulaient le verdict. La troika a estimé que les cinq cubains n’avaient pas eu un procès équitable à Miami et a ordonné un nouveau jugement. Détail d’excellence de cette décision, les trois juges ont admis que les preuves présentées par la défense étaient valables. Et qu’y avait-il dans ces preuves ? Cela n’étonnera personne que dans ces dernières figurait le nom de ce grand ami de la démocratie étasunienne qu’est Luis Posada Carriles, l’agent de la CIA impliqué dans plusieurs attentats anti cubains et protégé avec toutes les armes de la loi par l’administration Bush.

Et on entame ici le cinquième chapitre, toujours ouvert. Bien que la troika ait ordonné la tenue d’un autre procès, les cinq cubains continuent à attendre. Alberto González, ex conseiller de George Bush et ministre de la Justice des Etats-Unis, est intervenu ensuite devant le tribunal pour lui demander qu’il révise la décision de la troika d’Atlanta. Cela ne vous surprendra pas d’apprendre que le 31 décembre 2005 les juges ont accepté de réviser ce qui était déjà révisé.

Les juristes présents à Paris ont énuméré avec effroi les irrégularités du procès contre les cinq, en particulier la première : les accusés n’ont commis aucun crime, n’ont pas attenté contre la sécurité des Etats-Unis, le procès contre eux s’est déroulé à Miami, une ville que la même Cour Fédérale d’Appels des Etats-Unis a considérée comme « hostile et irrationnelle » avec le gouvernement cubain. Pire encore, les cubains peuvent rester dans ces limbes d’injustice pour un temps indéfini. La révision de la révision est en cours et les parties ne se sont même pas mises d’accord sur le lieu où l’on pourrait mener à bien le prochain procès.

Comment expliquer tant de démesure ? Leonard Weinglass allègue que ce drame infini n’est pas étranger à l’ambition politique de la ministre de Justice des Etats-Unis, Janet Reno, candidate au Sénat pour l’état de Floride et à laquelle manquaient les vois cubaines. Robert González Sehwerert, avocat de René González, fait valoir que le cas des Cinq cubains « révèle la contradiction entre le droit et la politique. Le maintien des cubains en prison correspond à un intérêt politique en opposition à la loi ».

Página 12 . Depuis Paris, le 27 avril 2008.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi.

El Correo. Paris, le 28 avril 2008.

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