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21 novembre 2020

L’extraordinaire richesse naturelle de l’Argentine fait croire aux propriétaires de cette richesse qu’ils sont propriétaires du pays

 

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L’année dernière, le secteur agricole a généré moins d’un douzième du PIB total et un peu plus de la moitié de celui de l’industrie ou du commerce. La part des salaires la plus faible se trouve dans le secteur agricole. Également le taux plus élevé d’exploitation des travailleurs en raison de l’appropriation du surplus par les propriétaires. En outre, le secteur agricole a les taux les plus élevés d’informalité du travail.

Le mythe de la richesse naturelle

On entend de façon réitérée que les seuls qui génèrent de richesse authentique en Argentine ce sont les producteurs agricoles et que les autres activités ne servent qu’à faire circuler cette richesse dans l’économie dans le meilleur des cas, ou à conserver une partie de la richesse, générée par « El Campo » [la terre], en s’appropriant de manière injustifiée une partie, notamment de celle de l’Etat.

Dans cette conception, en plus de l’égocentrisme invétéré d’un secteur de la société, il semble aussi y avoir un fondement idéologique anachronique, depuis longtemps dépassé par l’évolution de la science économique. Ce soutien idéologique provient d’un mélange de la pensée physiocratique du milieu du XVIIIe siècle, qui considérait que la seule source de richesse était la nature , et aussi des idées des mercantilistes des XVIe et XVIIe siècles, qui préconisaient que la seule accumulation de la vraie richesse était les métaux précieux (maintenant remplacés par des devises) qui étaient obtenus grâce au commerce avec d’autres pays.

Hormis ces conceptions anachroniques incapables d’expliquer l’évolution actuelle du capitalisme, la simple analyse des informations statistiques sur la création de valeur ajoutée et d’emploi en Argentine montre clairement que les secteurs productifs liés à l’exploitation des ressources naturelles, notamment l’agriculture, n’est en aucun cas le principal générateur de l’un ou l’autre des deux et, en revanche, il est celui qui génère les emplois avec la qualité d’emploi la plus faible et le taux d’exploitation du travail le plus élevé, mesuré par la relation entre l’excédent brut et le coût salarial.

Physiocratie

La physiocratie a établi au milieu du XVIIIe siècle en France l’idée que la seule véritable source de richesse économique, entendue comme l’activité qui génère plus de produits que les ressources (intrants) utilisées, était l’agriculture, basée sur la conception plutôt naïve qu’une graine semée génère naturellement une plus grande quantité de graines.

Pour eux, toutes les autres activités économiques « ne font que transformer », c’est-à-dire qu’elles donnent une autre forme aux seuls produits réels issus de l’agriculture, mais elles ne créent pas de nouveaux produits ou, dans tous les cas, elles ne font que contribuer à la distribution de ces produits naturels. En d’autres termes, les physiocrates ont nié la capacité d’autres secteurs de « générer » une valeur économique dans le processus de production et de distribution.

Cette conception, qui confondait une science sociale telle que l’économie avec une branche de la biologie, peut être comprise et même justifiée dans les premiers temps du capitalisme comme l’une des premières tentatives de développer une discipline qui expliquerait les nouveaux processus économiques, mais aujourd’hui elle est insoutenable.

Mercantilisme

L’autre conception idéologique archaïque derrière cela est le mercantilisme, antérieur à la physiocratie, avec une forte influence dans la phase d’expansionnisme de la conquête impérialiste du XVe au XVIIe siècle. Pour cette conception, la clé de la richesse économique résidait dans l’accumulation de métaux précieux (or et argent) par le commerce, dans le meilleur des cas, ou dans le pillage des terres conquises, comme cela s’est produit en Amérique.

Quelle relation y a-t-il entre la conception mercantiliste et celle de nombreux dirigeants agraires contemporains argentins ?

L’idée que l’autre preuve que la seule génération de richesse est celle de la terre parce qu’il s’agit de l’activité dont la production permet d’obtenir l’essentiel des devises dont le pays a besoin, à travers le commerce extérieur, et que d’autres secteurs « parasitaires » les dépensent sans les produire. En d’autres termes, seule cette activité économique, qui génère et permet d’accumuler des devises, serait authentique.

Ce qui est certain, c’est que l’Argentine a une dotation très particulière de facteurs de production naturels, fournie par l immensité de son territoire fertile avec un climat tempéré qui, avec le progrès technologique et, parfois, avec le pillage environnemental de la déforestation sans discernement, font que le secteur agricole a une productivité beaucoup plus élevée que le reste des secteurs productifs.

Ce qui rend deux choses possibles :

  • Produire l’équivalent calorique de l’alimentation de 400 millions de personnes, même si la forme finale de l’alimentation humaine est principalement transformée en dehors du pays, et
  • Répondre à cette immense demande mondiale avec une valeur en dollars bien inférieure à celle des autres secteurs, grâce à ses coûts internes inférieurs en pesos, donnant lieu à ce que Marcelo Diamand a défini comme une « structure productive déséquilibrée ».

Valeur ajoutée et revenus

Heureusement, la science économique a évolué avec le développement du capitalisme et, malgré les différences doctrinales entre les différentes écoles, il n’est plus contesté aujourd’hui que la création de richesse économique est liée à la création de valeur ajoutée, de revenus et utilisation de toutes les activités dans le processus de production, avec leur circulation et distribution.

À cet égard, l’Indec tient un registre très intéressant et peu diffusé appelé Compte de Génération de Revenus et d’Intrant Travail (CGI-IMO), dont le dernier rapport couvre la période 2017-2019. Ce compte rendu enregistre les sources de création de valeur ajoutée, de revenus et d’emplois dans les principaux secteurs économiques.

En commençant par la Valeur Ajoutée Brute (VAB), équivalent au Produit Intérieur Brut (PIB) rapporté au coût des facteurs, les trois secteurs qui ont généré le plus de valeur en 2019 étaient :

Au-dessus de 10% du total

  • L’industrie manufacturière(15,3%)
  • Commerce (15,2%)
  • Immobilier et services de location (11,6%)

Les trois secteurs suivants ont contribué de 7 à 8% de la VAB :

  • Agriculture, élevage et silvicuslture (8,2%)
  • Administration publique (7,9%)
  • Transport et logistique (7,1%)

Ainsi, l’année dernière, le secteur agricole a généré moins d’un douzième du PIB total et un peu plus de la moitié de celui de l’industrie ou du commerce.

En moyenne, dans l’ensemble de l’économie, le coût salarial total en 2019 représentait 45,3% de la VAB, le Revenu Brut Mixte représentait près de 13% et l’Excédent Brut d’Exploitation (EBE, c’est-à-dire les bénéfices bruts) 43,5%, ce qui représente plus de 100% en raison des subventions à la production de certains secteurs, comme l’énergie et les transports.

Parmi les secteurs où la part du coût salarial est la plus élevée dans la VAB, on distingue :

  • Intermédiation financière (53%)
  • Transport (50%), construction (42%)
  • Industrie manufacturière (40%).

En bas de l’échelle de la part salariale la plus faible se trouve le secteur agricole, où la part des coûts salariaux dans la VAB n’est que de 16% et, bien que le revenu brut mixte des petits propriétaires et de leurs familles soit ajouté, cela n’atteint que 25%, tandis que l’excedent brut d’exploitation des entreprises du secteur est de 73,6% de la VAB.

Un tel taux d’exploitation, qui triple le coût salarial ajouté au revenu brut mixte, est-ce simplement parce qu’une graine en génère plusieurs ?

Création d’emplois

L’économie argentine a généré en 2019, selon ce rapport Indec, 20,8 millions d’emplois, dont 17,3 millions correspondent au secteur privé et 3,5 millions au secteur public, y compris les enseignants, les médecins, les infirmiers, policiers et autres employés.

Sur le total des emplois créés en 2019, près des trois quarts correspondaient à des emplois salariés (74,6%), tandis que le reste (25,4%) à des emplois non-salariés, parmi lesquels figurent les postes d’entrepreneurs et d’indépendants.

Dans le secteur privé, près de 70% sont des postes salariés et un peu plus de 30% sont non salariés, et au sein des premiers ils sont répartis en 41,3% déclarés et 28,2% non déclarés, ce qui implique que le taux de travail non formel ( non déclaré) représentait plus de 40% des salariés du secteur privé en 2019.

Les trois secteurs qui ont généré le plus d’emplois en Argentine en 2019 (salariés et non salariés, déclarés ou non) sont :

  • Commerce 17%
  • Industrie 11,2%
  • Enseignement public et privé 10,3%

Les quatre suivants étaient :

  • Service domestique (8,3%)
  • Construction (8,2%)
  • Administration publique (7,7%)
  • Immobilier et services aux entreprises (7%).

Ces sept secteurs représentaient près de 70% de la création totale d’emplois au cours de l’année écoulée et au 8ème rang se trouve l’agriculture, l’élevage et la silviculture avec 6,7% de participation, soit un quinzième de la création totale d’emplois .

Ce classement change lorsque seule la création d’emplois salariés est considérée. Les secteurs qui dépassent 10% dans la génération d’emplois salariés sont :

par ordre d’importance :

  • Enseignement (13,5)
  • Commerce (12,2)
  • Service domestique (11.2)
  • Industrie (10,5)
  • Administration publique (10.3)

Beaucoup plus long, en dessous de 7%, viennent :

  • Services de santé (6,9)
  • Construction (6.1)
  • Immobilier et services aux entreprises (6.1)
  • Agriculture, élevage et silviculture (5,8) désormais à la neuvième place

Les secteurs qui contribuent le moins à des emplois de qualité sont frappants en raison de la répartition entre des salariés déclarés et des emplois au noir :

  • Service domestique, 5% déclarés à 25% au noir, avec un taux de non déclarés de 70%
  • Construction, 4 et 11%, respectivement, avec taux de travail au noir de 56%
  • Agriculture, respectivement 3,2 et 11,5%, avec un taux de travail au noir de 62%.

Alors, pour continuer à affirmer que l’agriculture est le seul véritable secteur économique,

  • Ne devrait-il pas avoir une plus grande participation dans la valeur ajoutée totale du pays ?
  • Ne devrait-il pas avoir une répartition un peu plus équitable de la faible valeur ajoutée qu’il génère ?
  • Ne devrait-il pas avoir une plus grande participation dans la création des emplois totaux ?
  • Ne devrait-il pas afficher un taux de travail au noir moins scandaleux ?
  • Ne devrait- il pas s’acquitter d’ impôts plus élevés pour leur avantage productif naturel ?

Il est clair que ce mythe, issu de la « grâce divine » de l’extraordinaire dotation en facteurs naturels, ne justifie pas que certains propriétaires de cette richesse et leurs dirigeants ruraux croient que c’est pour cela qu’ils sont les propriétaires du pays.

Daniel E. Novak* pour Página 12

*Daniel E. Novak. Université nationale Arturo Jauretche, coordinateur adjoint du Bachelor of Economics.

Página 12. Buenos Aires, le 19 novembre 2020.

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo de la Diaspora. Paris, le 21 novembre 2020

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