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10 mars 2003

L’agenda politique des partis et les besoins des travailleurs vénézuéliens

 

Par Alvaro Sanchez,
Risbal , février 2003.*

L’image était assez oblique : par un samedi après-midi glacé de janvier, à la Calle 8 de Miami, entouré des plus importants représentants de la droite réactionnaire cubaine et vénézuélienne, Carlos Ortega soulignait sa détermination d’en finir avec le président vénézuélien Hugo Chávez par tous les moyens. Rappelons que Mr. Ortega n’est pas un citoyen ordinaire. Il est le chef ’autoproclamé’ du syndicat le plus grand et le plus influent de son pays : la Centrale de travailleurs du Venezuela (CTV). Or, n’importe qui supposerait que les dirigeants syndicaux n’ont rien à faire avec l’extrême droite réactionnaire. C’est que la CTV n’est pas non plus une centrale syndicale ordinaire… Dans toute l’histoire syndicale du Venezuela, la CTV s’est révélée être plus encline à réaliser l’agenda politique de l’Acción Democrática (AD, parti politique) qu’à répondre aux besoins des travailleurs vénézuéliens.

Tout a commencé en 1936, quand éclata une ’vraie’ grève pétrolière au Venezuela. À Cabimas, État de Zulia, les travailleurs avaient décidé de se croiser les bras, tant que leurs revendications de base ne seraient pas satisfaites. Parmi ces revendications figuraient, notamment : des négociations directes entre les syndicats et les compagnies pétrolières ; un salaire minimum de 10 bolivars ; l’égalité de salaire entre Vénézuéliens et étrangers ; une assurance-maladie, et de l’eau propre et potable dans les champs pétroliers. De telles exigences reflètent bien les piètres conditions de travail qui régnaient au Venezuela à l’époque.

C’est aussi en 1936 que furent adoptées plusieurs législations destinées à protéger les travailleurs dans tout le pays. Des lois qui ne furent jamais appliquées. Un groupe de ’véritables’ dirigeants syndicaux entra alors en scène. Leur principal objectif était de protéger les travailleurs, en particulier ceux du secteur pétrolier, qui se sentaient exclus de la législation du travail de 1936.

Ainsi naquit la CTV qui, tout comme la Fédération vénézuélienne d’enseignants (FVM), rassemblait une équipe engagée et déterminée de dirigeants syndicaux dans tout le pays.

Mr. Eleazar López était alors président de la République. Il avait besoin des syndicats, mais ne voulait pas de leurs dirigeants. Il invoqua donc l’article 32 de la Constitution de 1936 qui, en essence, interdisait l’activisme politique par toute personne liée à un groupe communiste. Or, presque tous les dirigeants de la CTV et de la FVM étaient communistes. La CTV disparut ainsi de la scène politique.

En 1945, le parti Acción Demorática (AD), alors de centre-gauche, prend le pouvoir après s’être allié aux militaires pour renverser le président Isaías Medina. Le nouveau chef de l’AD, Mr. Romulo Gallegos, ressuscite alors la CTV. Mais au lieu d’ouvrir la direction de la centrale syndicale à tous les travailleurs, Gallegos fait exactement le contraire et, par peur, probablement, de perdre le contrôle politique sur une vaste base de partisans potentiels, ou pour émuler la purge menée par Eleazar López, il n’accepte que des membres de son parti à la tête de la CTV. Toutefois, les jours de l’AD et de la CTV étaient comptés : en 1948, Marcos Pérez Jiménez renverse Gallegos par un coup d’État militaire et proscrit l’AD et la CTV, entre autres groupes et organisations.

Vint ensuite le 23 janvier 1958, lorsque les Vénézuéliens renversent définitivement Marcos Pérez Jiménez. Romulo Betancourt, leader de l’AD, gagne les élections générales et devient le premier président de la Quatrième République. Immédiatement, il rétablit la Fédération de paysans vénézuéliens (FCV), ainsi que la CTV.

Tout comme Gallegos auparavant, Betancourt place des membres de l’AD à la tête de la CTV. De la même manière, le parti COPEI, de centre droite, rival de l’AD à l’époque, crée sa propre organisation syndicale : la Confédération de syndicats autonomes (CSA). La gauche s’y met à son tour et fonde la Centrale unitaire de travailleurs vénézuéliens (CUTV). Autrement dit, après 1958, la stratégie des partis politiques était claire : pour gagner crédibilité et soutien à la base, les partis ont besoin de leur propre syndicat. Les centrales syndicales sont ainsi devenues des espèces de clubs politiques, au lieu d’être de véritables organisations engagées dans la lutte pour les intérêts et la protection des travailleurs exploités du Venezuela.

Par conséquent, la rivalité traditionnelle entre les partis politiques gagna le terrain syndical. Ainsi, en 1981, le syndicat Fetrametal, affilié à la CTV, prit le contrôle du syndicat de l’acier dans la région de la Guayana, contre l’avis des travailleurs eux-mêmes. En 1982, le président Luis Herrera, du parti COPEI, reprit au nom de l’État la Banque des travailleurs vénézuéliens (BTV). Il s’agissait d’une représaille, car la majorité des actions de la BTV appartenait à la CTV et le président de la BTV était aussi un haut dirigeant de la CTV. Cependant, force est d’admettre que la corruption était telle, tant au sein de la BTV qu’à la CTV, que la manœuvre du président Herrera parut juste et légale. De fait, après l’intervention de la BTV, Luis Herrera fut applaudi par l’opinion publique.

L’histoire contemporaine de la CTV est marquée par de multiples irrégularités et par la corruption. Selon l’adage, « un dirigeant de la CTV n’abandonne son poste qu’à sa mort ». Et ce fut le cas d’au moins deux d’entre eux : Augusto Malave et José Vargas. Par ailleurs, un ex-président de Fetrametal, José Mollegas, exigea de la Corporation vénézuélienne de la Guayana (CVG, holding public) le versement de 2 millions de bolivars. Mollegas affirmait qu’il s’agissait d’une rétribution pour son travail à la table des négociations en 1981.

Devenu président, Hugo Chávez tenta, en 1999, de nettoyer la maison syndicale vénézuélienne pour la rendre à la classe travailleuse. C’était une véritable gageure, et ça l’est encore, compte tenu de la tendance, ancrée de longue date dans ce pays, à utiliser les organisations syndicales pour jauger la popularité et offrir ou échanger des faveurs politiques.

Chavez promit d’organiser des élections publiques, ouvertes à tous les travailleurs vénézuéliens, pour choisir les dirigeants de la CTV et des autres organisations syndicales. Refusant tout net au départ, les dirigeants de la CTV acceptèrent finalement de se mesurer dans des élections. Ils mirent à profit leur machine politique bien huilée pour prendre le contrôle de nombreux centres électoraux. Mais ces élections syndicales, prétendument remportées par Carlos Ortega, sont encore contestées aujourd’hui, à cause des multiples irrégularités qui les ont marquées.

Hugo Chávez fait de son mieux pour remettre un peu d’ordre dans le mouvement syndical vénézuélien et en redorer le blason. Toutefois, la machine traditionnelle qui mène la barque de la CTV, mue par des normes purement politiques, a grandement réduit les espoirs de Chávez et, partant, ceux des travailleurs.

Ce même samedi après-midi, pas loin de la Calle 8, une autre manifestation avait lieu. Des groupes divers, organisations et individus, et même des dirigeants syndicaux de Miami, se rassemblaient à la Torche de l’Amitié pour protester contre l’intervention militaire américaine en Irak. Dommage qu’Ortega ait manqué cette manifestation anti-guerre pour se joindre à l’activité réactionnaire d’extrême droite pure et dure, parrainée par la ’riche et puissante industrie du mal installée à Miami’ (pour reprendre l’expression de Francisco Aruca) à la Calle 8.

*Traduction de l’anglais : Gil B. Lahout

© COPYLEFT Álvaro Sánchez 2003

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