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2 juin 2010

« L’Iran et la Corée du nord une fois encore : les périls à jouer avec les limites du possible »

par Immanuel Wallerstein *

 

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Les Etats-Unis clament depuis près de vingt ans leur détermination à empêcher l’Iran et la Corée du Nord de devenir des puissances nucléaires. Entre deux questions plus urgentes, le gouvernement américain réaffirme régulièrement l’importance de cet objectif. Comme l’Iran et la Corée du Nord ne sont clairement pas disposés à céder à ces exigences périodiques, l’Amérique ne cesse d’agiter la menace de mesures nouvelles.

Après tout ce temps, faut-il encore prendre cela au sérieux ? La politique du bord du gouffre (brinkmanship) est ce qui résume le mieux ce qui s’est passé, ce qu’on appelle aussi parfois « jouer à qui craquera le premier », un « game of chicken ». Chaque fois qu’une nouvelle partie est jouée, la question qui se pose est toujours de savoir qui craquera le premier, qui rompra l’escalade implicite menant à la guerre. Habituellement, les Etats-Unis jouent ce jeu soit avec l’Iran soit avec la Corée du Nord. En ce moment précis, ils jouent ce jeu avec les deux simultanément. D’un côté, du fait de cette simultanéité, les intentions américaines sont plus difficiles à prendre au sérieux. D’un autre côté, cette simultanéité rend aussi le jeu plus périlleux.

Quelles sont les histoires du moment ? Dans le cas de l’Iran, les Etats-Unis cherchent depuis quelques mois maintenant à obtenir une nouvelle résolution du Conseil de sécurité des Nations unies afin d’imposer à l’Iran de nouvelles sanctions, justement pour sanctionner son refus de la résolution du Conseil de sécurité qui exigeait une suspension de ses activités d’enrichissement d’uranium. Pour obtenir cette nouvelle résolution, les Etats-Unis négocient le soutien de la Russie et la Chine. Pour le moment, ces deux pays semblent avoir accepté donner leur soutien, mais à une résolution affadie par rapport au texte que veulent les Etats-Unis et en échange de diverses concessions sur d’autres sujets.

Jusqu’à présent, les Etats-Unis sont toujours partis du principe que s’ils avaient l’appui de la Russie et de la Chine, ils étaient ensuite en mesure de faire passer une résolution à l’unanimité au Conseil de sécurité. C’était sans compter sur le Brésil et la Turquie, deux membres non-permanents du Conseil de sécurité, qui sont subitement entrés dans le jeu et se sont engagés dans une diplomatie tout à fait publique sur cette question. Leurs dirigeants ont convenu avec l’Iran d’échanger environ la moitié de son uranium faiblement enrichi contre du combustible nucléaire. Les trois pays ont soutenu que cet accord contribue largement à satisfaire les exigences américaines. Les Etats-Unis, qui ne sont pas du tout pour leur résolution au Conseil de sécurité.

Les Etats-Unis ne savent pas comment gérer cette entrée turco-brésilienne dans le jeu. Ces deux pays sont censés être des pays amis. Ils sont censés être des pays subalternes, des junior nations, qui devraient laisser ces questions aux membres permanents du Conseil de sécurité. Les Etats-Unis ont peut-être même endossé leur initiative, partant de l’hypothèse qu’elle échouerait et que les arguments américains s’en trouveraient fortifiés. Ce qui ne s’est pas produit. Le Brésil et la Turquie ont réussi. A tout le moins, c’est ce qu’ils pensent. Et ils ne tiennent pas à être traités en cadets, en junior nations qui doivent être au service des aînés. En fait, ils sont d’avis que les Etats-Unis devraient saluer comme un succès leur accord avec l’Iran et retirer leur résolution.

Dans le même temps, tous les regards sont braqués sur la Corée. Le 26 mars, un navire de guerre sud-coréen y a sombré. D’abord, les Sud-Coréens ont déclaré qu’ils croyaient à un accident. Or deux mois plus tard, ce qui est un délai d’une durée suspecte, ils ont annoncé détenir la preuve qu’un sous-marin nord-coréen avait torpillé leur bâtiment. Des analystes sud-coréens suggèrent que le navire, qui était engagé dans des manœuvres militaire communes avec les Etats-Unis, avaient en réalité été coulé par erreur par un sous-marin américain. Ce soupçon a été ignoré par la presse internationale, qui préfère débattre des motivations de la Corée du Nord à commettre un tel acte. Hillary Clinton déclare qu’elle ne parvient pas à comprendre pourquoi la Corée du Nord aurait fait une telle chose.

Quoiqu’il en soit, la Corée du Sud a rompu ses relations avec la Corée du Nord, qui lui a rendu la pareille. L’actuel gouvernement conservateur sud-coréen a désormais sabordé tout ce qui restait de la « politique du rayon de soleil » (« sunshine policy ») de son prédécesseur vis-à-vis de la Corée du Nord. Les Etats-Unis veulent une résolution du Conseil de sécurité. La Corée du Nord déclare que si une résolution devait être adoptée, elle cesserait toute coopération quant aux inspections internationales de leurs installations nucléaires.

On se trouve donc pris dans une politique de bord du gouffre de haute volée. Et les marchés internationaux trahissent une extrême nervosité. Que va-t-il se passer maintenant ? Evidemment, tout le monde joue pour son public. Le gouvernement américain veut montrer au Congrès qu’il « fait quelque chose » de sérieux. Idem pour le gouvernement sud-coréen. Idem pour les gouvernements iranien et nord-coréen. Idem, sans aucun doute, pour les gouvernement brésilien et turc.

Qui craquera le premier ? A mon avis, aucun des pays en première ligne ne veut d’une guerre. Chacun d’eux a trop à y perdre. La vraie décision à prendre n’incombe, cependant, à aucun de ces acteurs mais au gouvernement chinois. La Chine mène la danse. Quel type de résolution les Chinois vont-ils à présent soutenir dans l’un et l’autre cas ? La Chine souhaite évidemment ardemment que tout le monde se calme et garde son calme. Le problème est que la politique du bord du gouffre peut être un jeu dangereux quand le monde – sa géopolitique et son économie – se montre aussi chaotique et volatile. Des accidents pourraient se produire. Un officier, quelque part, le doigt posé sur la gâchette, pourrait commettre une erreur, accidentellement ou délibérément.

Nous vivons époque intéressante.

Commentaire n° 282, 1er juin 2010

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